Lu dans la presse
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Publié le 23 Mai 2019

France/Antisémitisme : Injures «antisémites» contre Finkielkraut: l’antisionisme en question

Le parquet de Paris a requis mercredi 22 mai six mois de prison avec sursis contre un «gilet jaune» qui comparaissait pour «injures antisémites» proférées contre Alain Finkielkraut, en marge d’une manifestation en février.

Publié le 23 mai dans Le Figaro

Le philosophe a fait son apparition quelques minutes avant l’ouverture d’audience. S’il a refusé de se constituer partie civile, Alain Finkielkraut a néanmoins été invité à témoigner en tant que victime. Sous le crépitement des flashs, devant les caméras et micros des journalistes, il explique: «Ce n’est pas en tant qu’individu que j’ai été agressé et insulté, mais en tant que représentant parmi tant d’autres d’une “sale race”: en tant que juif. (…) À travers moi, les juifs, la France et la République ont été insultés. Il revenait donc au ministère public (…) de prendre en charge l’accusation.»

«Même si je n’ai pas été traité de “sale juif”, considérer tous les juifs comme des racistes (…) c’est la forme moderne de l’antisémitisme», reprend l’académicien et essayiste, avant d’ouvrir la porte de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. La couleur est annoncée: ce n’est pas le procès d’un antisémitisme «classique», celui des années 1930, dont il est ici question… mais d’un antisémitisme «dissimulé» sous l’antisionisme, comme l’avanceront Alain Finkielkraut et le parquet au cours de l’audience, qui prendra parfois des allures de débat philosophique ou de cours d’histoire.

Dans la salle d’audience, le philosophe se place à droite. Quelques rangées plus loin, à gauche, entouré de ses deux avocats, figure son agresseur: Benjamin W., originaire de Mulhouse, 36 ans, poursuivi pour injure antisémite contre Alain Finkielkraut. Lors du XIVe acte des «gilets jaunes», le 16 février dernier à Paris, l’essayiste avait été pris à partie par un groupe de manifestants qui lui avaient lancé un torrent d’insultes, suscitant l’indignation d’une grande partie de la classe politique, dont le premier ministre, Christophe Castaner et Emmanuel Macron lui-même.

Benjamin W. a été identifié sur une vidéo de Yahoo Actualités. On l’y entend proférer insultes et menaces, énumérées longuement par le président du tribunal: «sale merde», «sale race», «raciste haineux», «tu vas mourir en enfer», «Dieu va te punir, le peuple va te punir, le Créateur va te punir», «enculé», «sioniste», «sale merde sioniste»… Après avoir été entendu par la police judiciaire de Mulhouse, ce vendeur de téléphones portables était cité à comparaître par le parquet de Paris, ce mercredi 22 mai, pour «injure publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion».

«Étoile jaune» et «croix gammée»

Les premiers arguments de la défense sont rapidement rejetés par le parquet: le mot «race» n’aurait finalement aucun sens, puisque «les races n’existent pas». Appelé à la barre, l’académicien, dont le père avait été déporté à Auschwitz en 1942, rétorque: «Les nazis ne savaient pas que les races n’existaient pas!». Et hausse le ton: «L’antisionisme peut être une forme d’antisémitisme» ; en le taxant de «raciste» et de «sioniste», «on veut coudre sur la poitrine des juifs non plus l’étoile jaune mais la croix gammée!».

«Sioniste» contre «salafiste»

La défense tente alors une autre tactique: Alain Finkielkraut ne serait-il pas, de fait, un polémiste et «sioniste» assumé?

Me Ouadie Elhamamouchi: «Vous êtes clivant.» ; Alain Finkielkraut: «Je ne suis pas un polémiste. J’aime débattre, mais être traité de raciste, c’est être expulsé du genre humain». L’avocat reproche alors au philosophe d’avoir lui-même taxé son client de «salafiste» dans la presse. Si «sioniste» est une insulte, qu’en est-il de «salafiste»? Ces accusations, sorties dans la presse, lui ont été confirmées par la police, rétorque l’intéressé. Est-il sioniste? «Le sionisme est un mouvement d’indépendance nationale. Je suis un patriote français, mais je suis attaché à l’existence d’Israël», répond posément l’essayiste, avant de rappeler qu’il défend, depuis des décennies, l’existence d’une solution «à deux États» au conflit israélo-palestinien. Et de conclure: s’il est sioniste, c’est «au sens large». Il se rassoit.

«Lobby sioniste»

Le personnage principal du procès, qu’on avait finalement peu entendu, est enfin appelé à la barre. Le président du tribunal tente de comprendre comment Benjamin W., venu participer à une mobilisation parisienne des «gilets jaunes», s’est retrouvé à proférer de telles insultes à l’endroit d’Alain Finkielkraut. Depuis son siège, ce dernier écoute attentivement. Sur ses genoux, une pile de feuilles et un essai de Pascal Bruckner: Un racisme imaginaire:islamophobie et culpabilité. À ses côtés, son épouse, Sylvie Topaloff. Sur la rangée de derrière, leur fils, Thomas, qui chuchote régulièrement dans l’oreille de son père.

Le prévenu: «Chez les “gilets jaunes”, il y a des gens d’extrême gauche et des gens d’extrême droite. J’ai une cause palestinienne, je suis antisioniste. (…) Ma cause de cœur est venue devant.»

Le président du tribunal l’assaille de questions: quel lien entre les revendications des «gilets jaunes» et l’antisionisme? Qu’est-ce que le sionisme pour lui? Le prévenu botte en touche: «Pour moi, les juifs sont victimes du sionisme. Le sionisme fait du mal au peuple juif, aux musulmans». Mais le parquet insiste: pourquoi ces termes?

Le prévenu, mal à l’aise: «Il y a une influence du sionisme… Il y a des lobbys en France, qui dirigent la France.»

Le mot est lâché.

Le parquet: «Un lobby sioniste?»

Le prévenu: «Oui, un lobby sioniste qui nous stigmatise. Les “gilets jaunes” sont aussi contre le lobby sioniste (…). Il y a une influence du sionisme sur la politique française, et cela fait du mal à tout le monde».

Ces propos feront le miel du réquisitoire de la procureure, qui s’empressera de noter la référence: «En général, ce sont plutôt les juifs qui sont visés, et leur influence supposée dans les élites, les médias…». Altercation ciblée, mélange de propos politiques et religieux… pour le parquet, il n’y a pas de doute: «C’est un antisémitisme dissimulé derrière l’antisionisme revendiqué».

«Salafiste» ou militant antiraciste?

Que sait-on, au juste, de Benjamin W.? Né le 5 novembre 1982 à Constantine, en Algérie, il se serait converti à l’islam en France. Il est connu des services de renseignement pour avoir évolué dans la mouvance radicale islamiste en 2014. Une source proche du dossier l’a décrit à l’AFP comme un «petit délinquant, proche de la mouvance salafiste mais pas fiché radicalisé». Père de cinq enfants, il aurait effectué plusieurs actions à l’étranger avec l’association des Palestiniens de France, basée à Mulhouse. Cela fait-il de lui un salafiste radicalisé animé par la haine des juifs? Après le visionnage des vidéos montrant l’altercation subie par Alain Finkielkraut, ce dernier enfonce le clou: «“Dieu va te punir, le Créateur va te punir“ (…) c’est un appel au meurtre. Une espèce de fatwa.»

Durant la plaidoirie, la défense s’attache cependant à dépeindre une tout autre image du prévenu. Radicalisé? «Il a fréquenté une mosquée salafiste il y a dix ans», balaie Me André Chamy, connu pour avoir défendu l’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein et son ministre des Affaires étrangères Tarek Aziz lors de leurs procès devant la justice irakienne. L’avocat tente même de brosser un portrait psychologique de son client: il se serait converti pour retrouver «les racines de son père» mais aurait depuis quitté le mouvement salafiste, tout en restant musulman. «La France, elle est à nous», a lancé son client à Finkielkraut? «C’est en tant qu’antiraciste de la France multiculturelle, black blanc beur», ose encore l’avocat. Me Ouadie Elhamamouchi, dénonce quant à lui une «pression politique et médiatique» sur le parquet, avant de scander: «Benjamin W. est le coupable idéal».

Le parquet de Paris a requis six mois de prison avec sursis contre Benjamin W.. Le jugement, ainsi que la décision du tribunal sur plusieurs recours de la défense, sera mis en délibéré le 12 juillet.