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Publié le 23 avril dans La nouvelle République
Lire un pavé de 800 pages d’autobiographie, cela pourrait être rebutant, fastidieux, déroutant. Écrire un pavé de 800 pages d’autobiographie pourrait paraître présomptueux, voire périlleux. Mais avec Philippe Val, on est loin de tout ça. Son dernier livre, « Tu finiras clochard comme ton Zola », est un roman autobiographique qui se lit comme une balade au cœur du XXe siècle des artistes et des intellectuels. L’auteur s’explique : « J’avais essayé une autobiographie. Mais j’avais échoué au bout de 80 pages. Je trouvais que ma vie n’avait pas d’intérêt. Cela ne devenait intéressant que si c’était chargé des caractéristiques de cette époque-là. » Philippe Val a donc trouvé son fil conducteur. Un personnage s’adresse au jeune fils de l’auteur pour lui conter l’histoire de son père. « Il fallait que je me parle à moi-même. C’est une trame romanesque, mais tout est vrai. »
C’est un point de vue sur la seconde moitié du XXe siècle. Auteur prolixe, les articles de Philippe Val, ses chansons, ses livres, ses émissions de radio, sont autant de repères. Ses tournées dans toute la France lui ont donné « une connaissance physique du pays ».
Au bout du compte, en déroulant cette vie riche en émotions, en rencontres, Philippe Val arrive aujourd’hui avec « de la colère, mais pas d’amertume ». Il donne une dimension « devoir de mémoire » à ce volumineux ouvrage.
« Mon but est de dire ce qu’est le XXe siècle, qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on lègue. Le XXe est un des pires siècles de notre histoire et il faut éclairer les bonnes choses et les mauvaises. »
Comme des petits cailloux parsemés au long de cette balade, les références littéraires sont nombreuses. Le salut est dans les livres. « Je vivais la moitié du temps dans la bibliothèque, cela m’a influencé. Dostoievski, Proust, Thomas Mann m’ont aidé. J’ai une passion pour les auteurs carrefour. Pour le lecteur, le carrefour permet d’aller ici et là. Il sert à éclairer des petits chemins pour découvrir autre chose. Mon personnage est sauvé par les écrivains. »
Le salut est aussi dans les artistes. « Les chanteurs de variétés ont un rôle important car les gens qui n’ont pas de bibliothèque commencent par là. »
Un autre thème est récurrent, celui de son combat contre l’antisémitisme. « Le XXe est le siècle de la shoah. Sur ce sujet, on a un problème avec les élites françaises, mais la France n’est pas un pays antisémite. J’étais le premier à dire que l’antisionisme était un antisémitisme, et je ne suis pas juif. Ce sujet est un marqueur de la santé républicaine du pays. »
Dans ce XXe siècle, il y a aussi du positif. « Il y a des préjugés qui se sont brisés, sur la question des femmes et de l’homosexualité, c’est extraordinaire, même si ce n’est pas gagné. C’est un racisme fondamental qui précède les autres racismes. Maintenant, il y a la loi. La moitié de l’humanité ne peut pas vivre sans la liberté de l’autre. »
Philippe Val revient sur la publication des caricatures de Mahomet à l’origine de l’attentat à Charlie Hebdo. « Quand j’ai publié les caricatures, en 2007, on était terriblement seuls. Aujourd’hui, on l’est moins. Il y a des gens qui pensent assez librement. » Il parle de la liberté de parole au XIXe avant de revenir à son inventaire du XXe « Le gauchisme et le fascisme ont été les deux grandes idéologies qui ont assassiné le XXe. Des artistes ont vendu leur âme à des idéologies alors qu’ils étaient des génies. Au XXIe, on a les avatars médiocres du XXe, qui tiennent la critique et l’enseignement supérieur, mais cela ne va peut-être pas durer. Le XXIe a quelques graines prometteuses qui n’ont pas fini d’en baver. »
Que nous a donc légué ce XXe siècle analysé au fil des pages ? « L’évolution de la société en France n’est pas très réjouissante. » Philippe Val met en perspective l’histoire de notre pays pour expliquer une situation très actuelle. « La terreur qui éclate à partir de 1792 est dans le caractère français. La vision de l’égalité est une vision revancharde et de ressentiment qui permet toutes les violences. Je pense que les politiques culturelles et éducatives ont été négligées. C’est une volonté politique. Le malaise de l’inculture, cela s’appelle la violence, car il n’y a pas besoin de réfléchir. Les artistes ont un rôle à jouer. Ils donnent le goût du plaisir à vivre, le goût de la civilisation. Il faut que la société permette que les artistes puissent donner de la grâce. La liberté s’accomplit dans un sentiment de sûreté et de plénitude, pas avec la peur. »
Et ce maudit XXe siècle revient. « On a hérité d’un siècle de mensonge, donc on s’est habitué à mentir. Ils ont considéré du monde que ce qu’ils avaient comme idéologie. La bataille du réel est décisive. Il faut recevoir le réel et l’analyser, c’est l’exercice de la liberté. Les intellectuels sont faits pour ça, c’est leur job. »
Jeune père, Philippe Val conclut avec une recette de l’espoir : « Il faut garder le goût de la fantaisie, la possibilité de la joie, de la gaieté. Rire ensemble, c’est être humain ensemble. »
« Comment sortir vivants du XXe siècle ? » est le thème de la rencontre avec Philippe Val organisée ce mardi 23 avril.