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Publié le 21 avril dans Le Monde
A Clichy-sous-Bois, commune d’un peu moins de 30 000 habitants située en Seine-Saint-Denis, la crise sanitaire liée au Covid-19 creuse chaque jour davantage les inégalités qui minent les quartiers populaires, explique Olivier Klein, maire socialiste de la ville depuis 2011 et président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Clichois d’origine qui a grandi dans la cité du Chêne-Pointu, il plaide pour des mesures d’urgence et la mise en place, sur le long terme, de politiques publiques plus ambitieuses.
Olivier Klein : Pour ceux qui étaient déjà dans la précarité, cette crise sanitaire génère une explosion et une accélération des difficultés. Personne n’avait mesuré l’ampleur de l’impact. Des difficultés de logement − se confiner à plusieurs dans un petit logement insalubre au sein d’une copropriété dégradée est une véritable épreuve −, de papiers pour certains, de travail et de santé. Et puis, la faim. Les acteurs habituels de la solidarité comme Les Restos du cœur, le Secours populaire ou encore le Secours catholique ont été obligés de fermer leurs portes, du moins pendant les quinze premiers jours du confinement, car beaucoup de leurs bénévoles sont âgés. Nous avons donc fait appel à des volontaires pour les rouvrir et à d’autres associations comme AC Le Feu. Il y a aussi l’augmentation des prix dans les supermarchés et la fermeture des marchés alimentaires. Tout ça mis bout à bout crée une grande misère. Le risque de ne pas être capable de donner à manger à leurs enfants oblige certains parents à mettre leur fierté dans leur poche pour aller faire la queue lors de distributions alimentaires. Dans ces files d’attente, il n’y a pas de profiteurs, il n’y a que des gens qui sont dans l’urgence, dans des logiques de survie. Nos quartiers sont au bord du gouffre. Chaque jour, nous frôlons le point de rupture.
Olivier Klein : L’école, ou la continuité éducative, est une autre difficulté majeure. L’annonce par les ministres de l’éducation et de la ville d’un investissement de 15 millions d’euros pour l’achat de matériel informatique et de connexion et pour le développement du mentorat est une bonne chose, mais il faut aller plus loin. A Clichy, nous avons récupéré une centaine d’ordinateurs auprès de la Fondation BNP que nous avons ensuite distribués aux familles qui en avaient le plus besoin. Nous les avons identifiées grâce aux professeurs. J’ai aussi lancé des appels via LinkedIn à Microsoft et Apple pour qu’ils participent à la solidarité. C’est en cours. Même chose auprès des opérateurs, j’ai interpellé Orange et Free notamment, afin qu’ils donnent des clés 3G et proposent des abonnements Internet gratuits dans les quartiers populaires. On attend…
Olivier Klein : Avec des règles et en appliquant les mesures barrières, oui. Il y va de l’intérêt des enfants et du respect d’une forme d’équité. Il ne faut pas culpabiliser les parents qui n’ont pas pu ou pas su suivre les devoirs à la maison. Il faut laisser aux professeurs la possibilité de s’adapter et de faire basculer une partie du programme sur l’année prochaine s’ils le jugent nécessaire. Mais il faut que les enfants reprennent le chemin de l’école, même si ça n’est qu’un mois et demi avant les grandes vacances, et même si c’est une école un peu aménagée, différente. Il faut redonner un cadre. Si on enchaîne directement sur les mois d’été, la coupure sera trop longue et d’autant plus difficile à rattraper.
Olivier Klein : Cent cinquante euros pour les familles bénéficiaires du RSA ou de l’allocation de solidarité spécifique, plus 100 euros par enfant, et 100 euros par enfant pour les familles touchant des aides au logement, c’est une première étape − nous avons milité pour depuis le début du confinement − , ça donnera de l’oxygène. Mais nous savons que la crise va durer, il faut maintenant vite se pencher sur la seconde étape et imaginer des mesures permettant aux habitants des quartiers populaires d’affronter la période qui vient. Je milite pour le doublement de la prime de rentrée scolaire. Je pense qu’il faut également suspendre les loyers des HLM pendant deux mois et créer un fonds pour soutenir les bailleurs sociaux qui en ont besoin. Par ailleurs, il faut annoncer dès aujourd’hui qu’il n’y aura pas de reprise des expulsions jusqu’à la prochaine trêve hivernale, dans un an donc.
Olivier Klein : Il faut refuser cette misère durable. Si on veut vraiment changer les choses et organiser « l’après », il faut dès à présent mettre en place un système de suivi social. En une seule matinée par exemple, le centre communal d’action sociale, le CCAS, a reçu 300 appels ! Depuis le début du confinement, le nombre de personnes prises en charge a doublé. L’Etat doit aider davantage les CCAS et les assistantes sociales départementales. Il doit aussi augmenter son soutien financier aux villes et aux départements afin de développer la politique des bons alimentaires et déployer plus massivement le dispositif « territoire zéro chômeur », coûteux mais efficace. C’est aussi le bon moment pour relancer les emplois aidés, du moins dans les quartiers. Les PEC [parcours emploi compétences], qui sont venus les remplacer, ne sont pas à la hauteur : c’est trop compliqué et trop long, les critères d’éligibilité sont trop nombreux. Ça ne marche pas. Il existe des formules bien plus simples. On voit à quel point le tissu associatif est essentiel, les associations ont besoin d’un vrai coup de pouce. Je pense aussi que c’est le bon moment d’envisager le revenu universel, j’y crois. Ce n’est pas de l’assistanat, c’est de la solidarité.
Olivier Klein : La précarité sociale a de lourdes conséquences en termes de santé publique. En Seine-Saint-Denis, 35 % des habitants n’ont pas de médecin traitant. A Clichy-sous-Bois, on doit avoir des zones avec des pics à 50 %. Contrairement aux idées reçues, le non-recours aux médecins est la règle ici. Les habitants des quartiers ne connaissent pas leurs droits et n’en profitent pas, ou peu. Alors même qu’il y a beaucoup de comorbidités, comme le surpoids et le diabète. Les quartiers populaires sont de vrais déserts médicaux, l’Etat doit repenser la médecine de proximité et réinventer une politique publique de centres territoriaux de santé. Il existe dans certaines communes des centres municipaux de santé, mais cela coûte cher aux municipalités. Dans ma ville, je n’ai pas les moyens.
Olivier Klein : Non, mais ça peut déraper à tout moment. On est sur une poudrière, la situation est très tendue depuis le début du confinement. L’étincelle, ça peut être la faim, ça peut être un jeune homme blessé lors d’un accident impliquant la police… Tout ça tient debout grâce au travail que nous menons avec les associations. Mais pour combien de temps encore ?