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Publié le 15 mars dans Libération
Une croix gammée formée par des gobelets en plastique, entourée par des étudiants faisant le salut nazi et soulignée par la légende «German Rage Cage» («bière pong allemand», jeu consistant à lancer une balle de ping-pong dans des verres remplis d’alcool). Cette photo, prise le premier week-end de mars lors d’une soirée à Costa Mesa en Californie, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux aux Etats-Unis. Face à l’indignation de nombreux internautes, certains des jeunes de la photo se sont excusés, d’autres ont décrit leur comportement comme une «blague», mais tous démentent une quelconque appartenance ou tendance nazie.
Les deux établissements scolaires concernés ont directement mis en place une enquête afin de sanctionner les élèves, mineurs, de ce comportement. Et le lycée de Costa Mesa a organisé une rencontre avec Eva Schloss, demi-sœur d’Anne Franck et survivante de l’Holocauste. Durant cette réunion, les jeunes se sont de nouveau excusés et ont assuré «ne pas avoir réfléchi sur le moment», raconte à Libération Peter Levi, directeur régional de l’Anti-Defamation League pour le comté d’Orange (ADL). Ce manque de réaction l’inquiète tout particulièrement. «Quand les jeunes ne réfléchissent pas, on assiste à une normalisation des actes antisémites. Et c’est un phénomène qui grandit aux Etats-Unis, notamment au sein des écoles», poursuit Peter Levi.
Ce comportement n’est en effet pas isolé et l’antisémitisme est de plus en plus fréquent dans les milieux scolaires et universitaires américains. Croix gammées taguées sur les portes des toilettes, tracts antisémites niant l’existence de l’Holocauste, harcèlement d’élèves de confession juive, soutien à Hitler… La liste est longue et démontre un antisémitisme croissant dans les écoles, qui font état de la plus forte augmentation d’actes haineux parmi tous les milieux sociaux, d’après le dernier rapport de l’ADL. En 2017, l’organisation relevait 457 incidents antisémites dans les écoles, contre 235 en 2016 et 114 en 2015, soit une augmentation de 94%.
Comparaison entre 2016 et 2017 du nombre d’incidents antisémites dans les écoles (jusqu’au lycée). Source : 2017 Audit of anti-Semitic incident.
Sur les campus, la hausse extrême est la même, puisque le nombre d’actes antisémites est passé de 108 à 204 cas reportés, soit une progression de 89%.
Les institutions et les écoles juives ont, elles aussi, vu leur nombre d’incidents doubler. Une majorité des actes reportés relèvent de vandalisme, puis viennent les cas de harcèlement, très loin devant les agressions. Pourtant, Peter Levi craint que ces incidents ne soient que les «fondations d’un problème bien plus grave. L’Holocauste ne s’est pas réalisé en un jour, il est basé sur des siècles d’antisémitisme. On assiste aujourd’hui à ce même processus de montée de haine». Un processus de haine qui pourrait être la source d’une hausse des actes de violence similaires à l’attentat de la synagogue de Pittsburgh. Cette attaque, qui avait causé onze morts en octobre, est restée la plus meurtrière jamais réalisée aux Etats-Unis à l’encontre des communautés juives.
Et si l’antisémitisme augmente parmi les jeunes, Internet n’y est pas étranger. Jonathan Weisman, journaliste au New York Times et auteur de l’ouvrage Sémitisme : être Juif aux Etats-Unis à l’ère de Donald Trump, estime que les réseaux sociaux jouent un rôle primordial dans la diffusion des discours haineux. Au cœur de cette tendance, les influenceurs et les youtubeurs. Weisman cite le vidéaste suédois aux 89 millions d’abonnés, PewDiePie, qui avait, en 2017, publié une vidéo dans laquelle de jeunes Indiens dansaient et déployaient une pancarte où était écrit «mort à tous les Juifs».
La vidéo a rapidement été retirée de la plateforme, mais «le youtubeur présentait cette scène comme une blague. Pourtant, quand ces paroles haineuses se répètent, les jeunes l’intègrent facilement comme une réalité et pensent qu’ils peuvent utiliser ces propos eux aussi», poursuit Weisman.
Des propos qui, auparavant, ne pouvaient pas être tenus en public. Pourtant, depuis trois ans, «ce qui était inapproprié semble devenir approprié», pour Jacques Berlinerblau, directeur du Centre pour la civilisation juive de l’université de Georgetown. Les réseaux sociaux laissent la possibilité de «s’exprimer sur tous les sujets et de faire partie de groupes divers, sans être régulé par les autorités».
Ainsi, les jeunes suivent les débats politiques sur les minorités et ils décident, ensuite, de s’emparer eux aussi du sujet, sur les réseaux mais également dans la vraie vie. «Les personnes de confession juive ne sont pas les seules à être concernées, même si ce sont elles qui sont les plus touchées. Toutes les minorités sont la cible d’attaques», rappelle Berlinerblau. En effet, en 2017, le FBI a recensé 140 crimes haineux de plus qu’en 2016, une hausse touchant toutes les confessions.