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Illustration : Simon Gronowski © Fabien Van Eeckhaut / "L’enfant du 20e convoi"
Publié le 27 janvier dans RTBF
Comme le raconte son livre, dans une nouvelle édition revue et republiée ces jours-ci, "l’histoire de Simon Gronowski aurait dû être celle d’un enfant ordinaire dans une famille ordinaire". Mais voilà, Simon Gronowski, avocat bruxellois bien connu, grand pianiste de jazz – grand par le talent plus que par la taille -, est juif.
Âgé aujourd’hui de 91 ans, il en a payé avec les siens le lourd prix aux pires heures de notre Histoire, l’antisémitisme, la Seconde guerre mondiale, l’Holocauste. Sa mère et sa sœur sont mortes à Auschwitz en 1943, son père, resté caché à Bruxelles, en est mort de chagrin en juillet 1945. Et c’est seul qu’il a dû alors survivre, choisir un destin, un métier, fonder une famille et finalement, après une longue période de silence, raconter, témoigner…
L’attaque du 19 avril 1943
A l’aube de la guerre, la famille Gronowski est installée à Etterbeek. Le père Leib (Léon), né entre Russie et Pologne, fils d’un marchand de chevaux, devenu commerçant en maroquinerie s'installe en Belgique dans les années 20 ; la mère Chana, venue de Lituanie, pour se marier en 1924 ; une sœur Ita née à Liège cette année-là ; et le petit Simon, né à Uccle le 12 octobre 1931. Une famille unie qui découvrira bientôt les restrictions, les interdictions de l’Occupant souvent relayées par les autorités locales, le port de l’étoile jaune, la confiscation des biens, du magasin et bientôt l’obligation de se cacher pour échapper à la "convocation pour le travail obligatoire" puis aux rafles à l’été 1942.
Pendant que le père est absent, hospitalisé, la mère, la sœur et Simon sont arrêtés par la Gestapo le 17 mars 1943. Ils transiteront d’abord par les caves sinistres de l’avenue Louise, puis par la caserne Dossin de Malines, antichambre de la déportation. Un mois avant l’annonce d’un "transfert" vers on ne sait où alors.
"Lundi 19 avril 1943, j’ai dû quitter ma sœur qui n’était pas déportée dans le même convoi. De nuit – les nazis faisaient rouler les trains de déportés de nuit pour ne pas alerter la population -, on m’a mis dans un wagon à bestiaux avec ma mère et cinquante autres personnes. La porte coulissante s’est fermée dans un grand bruit métallique. On ne voyait rien, noir complet, aucune lumière sauf par de petits interstices. De la paille par terre, pas de siège, nous étions enfermés. A destination d’un camp de travail, disait-on. Je ne savais pas alors que j’avais été condamné à mort et que ce train devait aller jusque Auschwitz, nom qui ne disait rien à personne alors".
Sauf que ce train, le 20ème convoi de déportés de Belgique (1631 déportés dont 262 enfants) devait être le seul au cours de la guerre à être attaqué – le seul en Europe de l’Ouest d’ailleurs ! – par la Résistance. Dans un virage de la voie ferrée près de Boortmeerbeek, en région de Louvain, trois jeunes résistants héroïques, armés d’un seul pistolet, de sept cartouches et d’une lampe-tempête drapée de rouge, parviennent à immobiliser le train et ouvrent quelques portes de wagons. 231 personnes réussiront à s’échapper.
"On ne voyait rien mais le train s’est immobilisé, j’entendais des pas le long des wagons, des cris, des coups de feu, des voix en allemand… Puis le train est reparti. Je suis tombé endormi dans les bras de ma mère. Mais avec l’impression que des hommes de mon wagon, enhardis par l’attaque, essayaient de l’intérieur d’ouvrir la porte. De fait, à un certain moment, ma mère me réveille ; je sens l’air frais qui entre, le train roule mais la porte est ouverte… Et pour me sauver, ma mère me conduit vers la porte et me fait sauter du train". Un train qui traverse alors le Limbourg.
L’incertitude du lendemain
Simon Gronowski se sauve seul, sa mère n’a pas eu le temps de sauter également. Il a alors 11 ans et demi. Il va courir à travers bois et champs, avant de tomber sur un gendarme qui va le protéger et l’aider à regagner Bruxelles le 20 avril 1943. Là, la guerre va durer encore un an et demi jusqu’à la Libération de septembre 1944. Une période où il va vivre caché dans différentes familles, la plupart du temps loin de son père avec lequel il échange des lettres, "dans la crainte permanente d’être repris".
Simon et son père attendent, mais les nouvelles de la découverte des camps de la mort à l’Est vont mettre fin à tous leurs espoirs. "J’étais pourtant certain que ma mère et ma sœur allaient revenir. Vous voulez savoir pourquoi ? Et bien parce qu’à l’époque j’avais une totale confiance en Dieu. Après mon évasion, je récitais tous les jours ma prière juive pour demander à Dieu que ma mère et ma sœur reviennent vite. Et comme j’étais caché dans des familles catholiques, je me suis dit 'je vais prier aussi l’autre Dieu'. Et… Elles ne sont pas revenues. J’ai alors totalement perdu la foi, je suis devenu athée. Mais je ne critique absolument pas ceux qui ont la foi, je les admire, je les envie".
Léon Gronowski meurt, désespéré en juillet 1945. Chana, sa femme, est probablement morte à dès avril 1943 et son arrivée au camp. Ita, sa fille, a dû subir le même sort lors de sa déportation de Malines dans un autre convoi en septembre 1943. Aucune trace (administratrive), aucune immatriculation des deux femmes à Auschwitz. Simon se retrouve seul. Il fait alors le choix de la vie, vivre pour le présent et l’avenir, sans oublier le passé.
L’utilité de témoigner
Pendant plus de 50 ans, Simon Gronowski ne va pratiquement pas raconter son parcours. "J’ai parlé très peu de ces événements. D’abord parce que si j’avais constamment remué ces faits tragiques, je serais tombé malade, j’aurais fait une dépression. Ensuite, si ma mère m’a sauvé en me faisant évader, ce n’est pas pour que je ne réussisse pas ma vie, mais pour que je sois heureux. C’est presque un devoir pour moi d’être heureux par fidélité pour elle et ma famille. J’ai choisi de construire ma vie, faire des études, fonder une famille (2 filles, 4 petits-enfants). Autre raison de mon silence, je me sentais aussi coupable : comment suis-je vivant alors qu’eux sont morts ?'. J’étais gêné par ça. Et puis j’avais des amis, il y a des sujets de conversations plus agréables. Je me disais aussi que je n’étais qu’un cas parmi des milliers, beaucoup ont encore plus souffert que moi… Donc pendant très longtemps je n’ai pas parlé. "
C’est l’Histoire qui le rattrape avec des recherches d’experts et spécialistes qui publient son nom (dont Maxime Steinberg dans ses importants travaux sur la déportation des Juifs en Belgique) ou veulent retracer l’histoire de l’attaque du 20e convoi et le contactent comme le "plus jeune rescapé de la déportation belge". De quoi le pousser alors à ouvrir une "malle aux trésors" où il conservait les archives, des lettres, des documents, des photos sur sa famille, documents qu’il n’osait pas lire. Maxime Steinberg et d’autres l’encouragent à écrire et rompre le silence. Un premier livre paraît en 2002.
"Mon histoire personnelle vient illustrer l’Histoire en général et en est un complément utile et nécessaire. J’avais un besoin finalement d’expliquer ; j’ai ressenti comme une mission d’informer pour expliquer l’importance de la solidarité humaine, de l’amitié, de la compréhension et de la paix. Et je ne fais pas ça parce que c’est nécessaire car c’est parfaitement spontané. Je suis positif, ça me fait du bien ; ça me paraît utile même si c’est une petite goutte dans la mer des bonnes volontés, c’est mieux que rien. Et c’est peut-être nécessaire vu le contexte actuel de recrudescence de l’extrême droite".
Il continue à témoigner de la barbarie nazie devant des jeunes (dans les écoles) et moins jeunes, en Belgique et ailleurs, de sa foi en l’homme, l’avenir, l’amour pour la vie et son pays, appelant à la paix et au respect entre tous, avec pour seuls "adversaires " le fascisme, le racisme et l’antisémitisme dont il a été victime. Il continue aujourd’hui encore, covid ou pas. "Et ce n’est pas à mon âge que je vais m’arrêter", ajoute-t-il avec un sourire éternellement malicieux…
Simon Gronowski, "L’enfant du 20e convoi", est paru aux éditions Renaissance du Livre.