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Publié le 23 Mai 2014

Syrie : La France propose une résolution courageuse au Conseil de Sécurité de l’ONU pour la saisine de la Cour Pénale Internationale

Par Eve Gani, directrice des relations internationales du CRIF

Textes du projet de résolution de la France, en date du 15 mai 2014, et Joint NGO Statement on the Use of the Veto téléchargeables ci-contre au format PDF.

Depuis mars 2011, la situation humanitaire en Syrie n’a cessé de se dégrader. On compte aujourd’hui plus de 160 000 morts, plus de neuf millions de déplacés et de réfugiés, une situation de famine et des épidémies. C’est pourquoi la  France a demandé le 22 mai 2014 au Conseil de sécurité de l’ONU de voter en faveur de la saisine de la Cour pénale internationale, pour mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves : les massacres de civils.

En proposant cette résolution, la France a souhaité dire qu’un jour quelqu’un paiera les crimes qui sont commis en Syrie, qu’ils soient commis par le gouvernement ou par l’opposition, par Assad ou par les groupes djihadistes. L’ambassadeur de France à l’ONU Gérard Araud a aspiré à ce que le Conseil de sécurité dise enfin qu’ « en 2014, on ne peut plus se comporter comme en 1942 ou comme en 1994 ».

Sur les 15 pays qui composent le Conseil de sécurité,  l’extrême majorité, c’est-à-dire 13 pays   ont soutenu le texte de la France. Malheureusement,  la Russie et la Chine ont encore opposé un veto. Comme l’a exprimé l’ambassadeur de Grande-Bretagne à l’ONU qui a signé en faveur du texte : “La Russie et la Chine devront justifier leur comportement auprès du peuple syrien ».

22 mai 2014 - Conseil de Sécurité - Syrie/vote sur la résolution pour la saisine de la CPI - intervention de M. Gerard Araud, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies

Monsieur le Président,

J’ai demandé à prendre la parole avant que ne commence le vote du projet de résolution qu’a eu l’honneur de présenter la France pour expliquer le sens de notre démarche.

En effet, la proposition de la France n’est pas un nouvel épisode des divisions qui affectent notre Conseil dans la crise syrienne, mais, au contraire, elle vise à retrouver l’unité de celui-ci autour des valeurs communes de ses membres.

Monsieur le Président,

Tous, autour de cette table, nous sommes horrifiés par la tragédie que traverse le peuple syrien. Plus de 160.000 morts, plus de neuf millions de déplacés et de réfugiés, un pays détruit, la faim, les épidémies, ce serait déjà un bilan accablant, mais s’y ajoute la certitude d’atrocités commises par les deux parties aux dépens des populations civiles. La présentation à ce Conseil et à la presse du rapport Caesar, à l’initiative de la France, en a souligné, il y a quelques semaines, la barbarie. Des milliers de photos, authentifiées par des experts indépendants, ont montré les cadavres torturés et morts de faim dans les prisons du régime.

On tue, on torture, on viole aujourd’hui en Syrie, non pas seulement comme la conséquence atroce d’une guerre civile, mais dans le cadre d’une politique délibérée pour terroriser et pour punir. Des chefs donnent toute licence à leurs troupes d’oublier le droit ou plus simplement l’humanité ; le gouvernement bombarde des quartiers civils avec des barils d’explosifs, avec des missiles et avec des armes chimiques ; des groupes terroristes commettent des attentats aveugles ; on fait disparaitre des dizaines de milliers de personnes, on torture sur une grande échelle, on affame. Nous assistons, dans un pays de vieille civilisation, à un déchaînement de brutalité et de cruauté dont les victimes ne sont pas des statistiques derrière lesquelles nous nous abritons trop souvent, mais des hommes, des femmes, des enfants, avec des noms, des visages, des êtres aimés. Monsieur le Président, en face de toutes ces vies piétinées, en face de cette négation des valeurs que représente cette organisation, rien n’est pire que le silence ; car le silence, c’est l’acquiescement, la compromission, la complicité.

Je n’ignore pas les divisions de ce Conseil ; je connais les analyses divergentes des uns et des autres. Je les respecte même si je ne les partage pas. Mais, certains faits sont clairs pour nous : comme nous l’a dit M. Brahimi, devant ce Conseil, il y a quelques jours, n’existe aujourd’hui, en Syrie, aucune perspective de négociation. Le lieu et le moment ne sont pas d’en imputer la responsabilité à une partie, mais de le constater. Arguer que l’intervention de la justice internationale porterait atteinte à un processus de paix n’a donc pas de sens parce qu’il n’y a pas de processus de paix, parce qu’il n’y a, à court et moyen terme, aucune perspective de processus de paix. On ne négocie pas parce qu’on veut vaincre et parce qu’on croit qu’on peut vaincre ; on ne négociera pas parce qu’on pense qu’il s’agit de tuer ou d’être tué ; on ne négociera pas avec ceux dont on a tué et torturé les frères et les femmes ; on a trop peur de leur vengeance ; il faut les tuer à leur tour.

Dans ce contexte, la proposition de la France part de la conviction que cette impasse ne doit pas nous conduire à fermer les yeux sur les atrocités commises tous les jours en Syrie. Elle veut transcender nos désaccords pour s’adresser à la part d’humanité que nous avons tous en commun. Le projet de résolution a été rédigé pour être acceptable par tous. Il met en œuvre un principe déjà agréé à propos de la Syrie dans les résolutions 2118 et 2139, celui du refus de l’impunité. Il couvre l’intégralité du territoire syrien. En ce qui concerne les responsabilités des parties, il reprend du langage maintes fois agréé et il se contente d’appeler à la reconnaissance de la compétence de la Cour pénale internationale dans la guerre civile syrienne, selon des termes proches des résolutions 1593, pour le Darfour, et 1970, pour la Libye, contre lesquelles aucun Etat-membre n’avait voté. Ce Conseil, uni, dira ainsi qu’il n’oubliera pas les crimes qui sont massivement commis aujourd’hui en Syrie ; qu’il n’oubliera pas que des chefs les ont tolérés voire encouragés ou même ordonnés. Il dira ainsi qu’en 2014, on ne peut plus se comporter comme en 1942 ou comme en 1994 ; qu’il ne permettra pas le retour à l’Etat de barbarie.

Peut-être arrêterons-nous ainsi un bourreau au bord du crime, mais, en tous cas, nous rendrons à ce Conseil son honneur en lui permettant de dire le droit, de rétablir la morale au-dessus de ses divisions. Parce que, j’en suis convaincu, au-delà de celles-ci, nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes indignations et la même détermination. C’est le moment de le dire ; c’est le moment de le prouver.

Le projet que j’ai l’honneur de présenter au suffrage de mes collègues est donc un appel à la conscience humaine. Ce n’est pas un geste politique ; c’est un geste simplement moral.

Et, si ce Conseil ne l’adoptait pas, ce serait une insulte aux millions de Syriens qui souffrent, ce serait la preuve que certains n’ont tiré aucune leçon de l’histoire, ce serait le rappel que certains ont choisi, quoi qu’ils prétendent, le soutien inconditionnel au régime de Damas, quels que soient les crimes qu’il commet au point de choisir d’en exonérer par la même occasion Al Qaïda. Couvrir de la même impunité tous les criminels, ce n’est pas un paradoxe ; il y a une fraternité dans le crime.

Un véto aujourd’hui le rappellerait ; un véto couvrirait tous les crimes. Un véto, ce serait opposer un véto à la justice. Ce serait aussi fournir une nouvelle justification à la proposition française de limiter l’usage du droit de véto dans le cas d’atrocités de masse.

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Source : http://www.franceonu.org/la-france-a-l-onu/espace-presse/article/22-mai-2014-conseil-de-securite