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Ce que le film ne dit pas, c’est le contenu des informations découvertes dans la demeure ultrasécurisée du terroriste le plus recherché au monde. Dans ces lettres adressées à ses « émirs », trois éléments retiennent l’attention :
1) la gêne de Ben Laden face à la nouvelle rhétorique de Barack Obama, tournant le dos à la fameuse « guerre contre la terreur » ;
2) la condamnation ensuite par le n°1 d’Al Qaeda des attentats de ses filiales contre des civils musulmans qui, en l’espace de quelques années, ont achevé de saper la popularité du mouvement terroriste auprès de ses coreligionnaires ;
3) c’est enfin le rattachement de l’action d’Al Qaeda à des luttes locales (en Afghanistan, au Yémen) qui est la cible de nombreuses critiques de Ben Laden pour qui seule la « cause palestinienne » devait servir de caution légitimante à l’action de l’organisation.
Ben Laden éliminé, que reste-t-il d’Al Qaeda ? Le professeur Jean-Pierre Filiu, l’un des meilleurs spécialistes de la question, évoquait en 2009 dans un livre important « les neuf vies d’Al Qaeda », depuis la fondation en 1988 de la « Base de données » (« Qaida alMalumat ») des volontaires arabes ayant participé à la « guerre sainte » contre le géant soviétique en Afghanistan. 25 ans après, Al Qaeda n’est toujours pas mort. Mouvement polymorphe, à la capacité de résilience avérée, le symbole du djihadisme du début du XXIe siècle a tiré les leçons de ses nombreux échecs au cours de la dernière décennie. Pourtant, les révolutions arabes globalement pacifistes dans leur déclenchement auront constitué originellement une défaite tant stratégique qu’idéologique pour Al Qaeda : c’est moins par les bombes que par les manifestations que les régimes honnis de Ben Ali et Moubarak ont finalement succombé. Al Qaeda profite néanmoins aujourd’hui du vide politique et des défaillances de gouvernance dans le Sahel et la Péninsule arabique pour raffermir ses positions et se renforcer au niveau opérationnel. Dans ces zones de non-droit, ces « zones grises », l’afflux gigantesque d’armements libyens permis par la chute de Kadhafi conjugué à l’affaiblissement notable des forces antiterroristes – les redoutées « moukhabarrat » – en Libye et en Tunisie notamment ont concouru à l’accroissement du pouvoir de nuisance d’Al Qaeda au Mali, dans le Sinaï ou au Yémen.
Phénomène essentiel parmi tous, les nouvelles cellules djihadistes ne se privent plus aujourd’hui de s’allier à d’autres mouvements sunnites pour renverser les pouvoirs en place : c’est notamment le cas du groupe armé « Al Nusra » en Syrie, considéré aujourd’hui comme la filiale al qaediste la plus dangereuse au monde. Il en va de même au Nord-Mali où AQMI (Al Qaeda au Maghreb islamique), à mi-chemin entre la guerre sainte et le gangstérisme, s’est allié aux Touaregs revenus surarmés de Libye, après avoir combattu pour défendre le régime kadhafiste. Au djihad organisé verticalement et centré autour de son chef, se substitue ainsi une forme de relations plus lâches, horizontales, entre le nouveau n°1 d’Al Qaeda, Al Zawahiri, et ses filiales clairement en voie d’autonomisation. Par là même, c’est la stratégie chère à Ben Laden dite de « l’ennemi lointain » - frapper prioritairement les cibles américaines – qui s’éclipse au profit d’un combat contre toutes les formes d’« oppression de la Oumma ».
Al Qaeda 2.0, tentacule reliée par Internet, n’en serait-il plus pour autant une menace pour les États-Unis ? L’administration Obama, pour l’heure dans une position d’observateur attentif, mais à distance face aux périls dans le Sahel, pourrait un jour se mordre les doigts d’avoir négligé cette nouvelle phase de « counter terrorism » post-Ben Laden, au Mali comme en Syrie.