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Je voudrais rendre compte de ma réaction immédiate après avoir vu les deux documentaires diffusés le 6 mars par France 3. « L’Itinéraire d’un tueur », réalisé par l’agence Tony Comiti a été suivi par « Pièces à Conviction » produit par « Les films de la chance » (Delphine Byrka et Pascale Labout).
Cette association de deux productions indépendantes l’une de l’autre donne un poids encore plus grand aux dysfonctionnements du travail policier, conclusion la plus frappante de ces deux émissions.
Les ratés de la surveillance de Merah, de l’évaluation du danger qu’il représentait, de sa si tardive mise en cause (ce qui, il ne faut pas l’oublier, lui a laissé le temps de perpétrer son attentat à l’école Ozar Hatorah), sont accablants, bien qu’il soit gênant de porter des jugements d’après-coup dans un domaine où tant de paramètres sont à prendre en compte, où la bonne volonté et le professionnalisme des personnels impliqués ne sont pas en cause et alors même qu’un crime n’existe pas s’il n’a pas eu un début d’exécution. Mais, comme le rappelle le juge Trévidic, la prévention est l’essence même de l’activité anti-terroriste. Elle fut ici dramatiquement en échec.
Les épisodes sont nombreux et « Pièces à Conviction », en particulier, les détaille en faisant appel au témoignage de spécialistes. Guerre des polices ou entre justice et certains services de police écartant certains professionnels de terrain de l’analyse des documents, négligence par les analystes lointains de la DCRI des soupçons des services locaux de Toulouse, fichiers S non fonctionnels ou non interrogés au passage des frontières, crédulité apparente quant aux mobiles “touristiques” donnés par Merah à ceux qui l’interrogeaient, etc. Et cette incroyable sortie de Merah, par la cave de son immeuble, le plus surveillé de France, cerné par le Raid depuis plusieurs heures, pour passer quelques heures en ville où il aurait pu continuer ses assassinats, puis revenir et se préparer à l’assaut des forces de l’ordre.
Les services de police ont travaillé d'arrache-pied pour contrôler les données, les membres du Raid ont risqué leur vie dans cet assaut, certains ont été gravement blessés; il n’est pas question à mon niveau de distribuer des mauvais points à qui que ce soit, mais les assurances de Manuel Valls d’une clarté complète dans ce dossier et d’une analyse sans œillères des dysfonctionnements pour en tirer toutes les conséquences opérationnelles sont bienvenues.
Cela étant, il ne faudrait pas oublier que l'affaire des attentats de Toulouse et de Montauban, c'est avant tout l'affaire de l'islamisme radical et de ses dangers.
De ce point de vue, qui me parait fondamental, deux choix éditoriaux me laissent mal à l’aise.
Le premier est que l’exposition de tous ces ratés, avec l’omniprésence du personnage Merah et de ses feintes risque de conforter l’image d’un Zorro se jouant des policiers et luttant jusqu’à la mort contre des ennemis nombreux, puissants, surarmés. Dans le reportage, la reconstitution des dialogues montre un Merah maître du jeu jusqu’aux derniers moments. Non pas qu’il faille parler de complaisance, je n’en ai pas vu, mais le principe même d’un docu-fiction qui nous met continuellement dans les pas de l’assassin, dans ses rencontres et dans ses logiques, risque de faire que subrepticement il puisse nous devenir proche. Et on sait par ailleurs les conséquences dramatiques et mimétiques des assassinats sur l’augmentation de la violence antisémite. Merah héros de l’Islam risque d’augmenter ses émules.
Les notions de lâcheté et de morale élémentaire sont en danger aujourd’hui, l’assassinat de personnes désarmées, y compris des enfants, ne génère qu’un sourire chez le mentor spirituel de Merah, l’imam pakistanais. Là est l’horreur, là est la rupture civilisationnelle majeure, là est le danger qui nous menace tous. J’aurais aimé qu’on en parle un peu plus. Mais aujourd’hui, autant on laisse la parole aux prosélytes de la haine, autant on a peur du ridicule en martelant quelques vérités traditionnelles. Et dans le champ laissé libre, le fanatisme se faufile.
Le second point est évidemment l’interview de la mère et de la sœur. Le parti pris apparent de « Itinéraire d’un tueur » était d’en faire des victimes et rien que des victimes. Larmes à l’appui, assurance d’une grande peine pour les morts, tous les morts, tout cela ne correspondait pas à ce que nous savions par ailleurs de l’ambiance familiale, décrite par le frère aîné, Abd el Gani (non interrogé), pleine de haine ancienne contre les Juifs et, au moins à partir d’une certaine époque, de prosélytisme islamiste. Mohamed Sifaoui dans son reportage l’avait montré sans ambages. Oui, c’était à la caméra cachée, mais comment faire autrement pour pénétrer la réalité des individus ?
C’est pourquoi, lorsque le réalisateur se déclare convaincu de la sincérité de la sœur de Merah, nous ne pouvons qu’être sceptiques. Elle sait très bien ce qu’il pourrait lui en coûter de faire des déclarations explosives en public. En outre, nous ne pouvons qu’être stupéfaits que l’environnement familial, ses liens avec les milieux radicaux, en France et à l’étranger (Belgique, Égypte…) aient été gommés de l’émission, ce qui accrédite l’image d’un loup solitaire, que l’enquête suivante de « Pièces à conviction » met à bas.
Aussi fouillés que soient ces reportages, il faut toujours se demander ce qu’ils ne montrent pas et pourquoi.
Richard Prasquier