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La Marche des Vivants, qui fête son vingt-cinquième anniversaire – un salut amical à son président, Élie Benarroch, président du FSJU Provence Languedoc, et à son secrétaire général Jean-Charles Zerbib, délégué FSJU en Israël- a visité cette année la ville de Płońsk pour participer le 10 avril à l’inauguration de la place Ben Gourion. J’ai eu l’honneur d’être invité à donner le discours final aux quelques milliers de participants, de France, États-Unis, Israël et Pologne (excellente opportunité linguistique) dont le plus jeune était peut-être l’extraordinaire Noah Klieger, survivant d’Auschwitz, boxeur (« La boxe ou la vie », aux éditions Elkana), ancien journaliste israélien et héros de l’équipage de l’Exodus…
Le chef d’État-major de l’armée d’Israël, Benny Gantz, entouré d’une importante délégation, était venu quelques jours auparavant visiter Auschwitz avec la Marche des Vivants et son discours est resté dans la mémoire des participants.
Lorsque le maire actuel de Płońsk, Andrzej Pietrasik, a pris ses fonctions, il y a une vingtaine d’années, personne ne parlait de l’ancienne population juive: c’était comme si elle n’avait pas existé. Il y avait eu un ghetto à Płońsk, liquidé fin 1942 avec déportation à Auschwitz et depuis le souvenir était occulté.
Et pourtant, quand Ben Gourion quittait Płońsk pour « Eretz Israël », en 1906, la petite ville comptait 7000 Juifs parmi ses 12000 habitants. On trouvait des proportions semblables dans de nombreuses villes de Mazovie, et il importe aujourd’hui de faire l’effort d’imagination nécessaire pour remonter à notre conscience dans les lieux de son existence toute cette vie juive, personnes, maisons, écoles, lieux de prières et lieux de rencontre exterminée et à jamais disparue. Roman Vishniac, dans son extraordinaire série de photographies prises au cours des années 1935, années de crise, a fixé l’image de la pauvreté des « sztetlach » d’Europe centrale. Mais il ne faut pas limiter à la misère matérielle la vie des populations juives ces régions.
À la naissance de Ben Gourion, il y avait déjà dans la population juive de chacune de ces petites villes une petite bourgeoisie, yddishophone, mais de plus en plus polonophone, du commerce ou des professions libérales. Il y avait des cercles d’étude religieuse, hébraïque ou philosophique, des organisations communautaires de secours et de bienfaisance, même dans la partie russe de la Pologne où se trouvait Płońsk. Après l’attentat qui avait coûté la vie du tsar réformateur, Alexandre II, remplacé par son fils le réactionnaire Alexandre III, une vague de pogromes (1883/1886) avait frappé les populations juives de l’Empire russe. Elle avait enclenché des départs (États-Unis, Argentine, Afrique du Sud, Europe de l’Ouest… ), dirigé les jeunes issus des élites intellectuelles vers de nouvelles idéologies politiques (marxisme ou socialisme non marxiste), culturelles (bundisme) et réanimé le sionisme.
Le père de David, Avigdor Gryn, exerçait des fonctions d’avocat. Il avait lu Derishat Tsion, (1862) du Rabbin Kalisher de la ville voisine de Torun (prussienne). Kalisher est le précurseur du sionisme et le père spirituel du mouvement Hovevei Tsion dont des membres créèrent l’implantation de Rishon le Tzion en 1882. Avigdor Gryn organisa à Płońsk une antenne de Hovevei Tsion. David Gryn était donc né dans la marmite et poursuivra avec une énergie sans faille, une obstination inébranlable et un succès inégalé les espoirs apparemment utopiques que son père lui avait inculqués. Il abandonnera à son adolescence, malgré les objurgations paternelles, la pratique religieuse, il adoptera après la révolution de 1905 les idées socialistes et il gardera de façon définitive l’idée que le destin du peuple juif est de retourner vers la terre d’Israël et de la faire refleurir.
Ben Gourion n’a pas quitté Płońsk par antisémitisme, car, écrira-t-il bien plus tard « cette ville était remarquablement dénuée d’antisémitisme », ni pour des raisons économiques, mais par un idéal puissant d’obligation sioniste.
Chacun connaît les images de David Ben Gourion, prononçant le 14 mai 1948 le discours de création de l’État d’Israël. L’anniversaire (en date hébraïque) a lieu cette semaine même, quelques jours avant la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie. Cette conjonction de dates au lieu de naissance du géant de l’histoire d’Israël était profondément émouvante.
Richard Prasquier
Président du CRIF