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Avant d’aborder ces questions, permettez-moi de vous quelques mots sur le CRIF. Je suis vice-président du CRIF, c’est-à-dire d’une institution créée au cœur de l’horreur nazie en 1943, par des Juifs dont les idées politiques pouvaient différer (certains étaient communistes, d’autres bundistes, .d’autre sionistes ou religieux) mais tous rassemblés par une volonté de justice face à ce que les Juifs d’Europe subissaient. C’est cette même volonté de justice qui nous réunit aujourd’hui.
Le CRIF est depuis 70 ans marqué par la vision de ces pères fondateurs et tache, avec d’autres, d’articuler la Mémoire de la Shoah avec les questions qui ont surgi par la suite dans le monde que nous connaissons.
S’inscrire dans la lignée de ces pères fondateurs ne nous donne aucun droit. Cela nous donne au contraire des devoirs. Oui, l’héritage de la Shoah (quelle bien étrange formule d’ailleurs), nous impose une vigilance particulière contre les dérives de l’histoire. Ces dérives prennent à chaque fois des formes spécifiques mais ont toujours en commun de faire ressortir la part d’inhumanité de l’homme.
Comprenez donc ma présence aujourd’hui avec vous, comme celle d’un militant qui considère que l’homme pour avancer ne doit surtout jamais renoncer à sa capacité d’indignation.
Je ne suis pas un spécialiste des questions politiques africaines. Mais je souhaiterais tout de même partager avec vous quelques points saillants en Afrique qui ont mobilisé ou mobilisent aujourd’hui toute l’attention du CRIF et, au-delà de tous les démocrates et les défenseurs des Droits de l’Homme :
Le première est bien entendu le génocide des Tutsis, qui a naturellement un écho particulier pour le monde juif. Par son ampleur et sa vitesse d’exécution, le génocide des 800 000 Tutsis exterminés en 3 mois à peine entre avril et juin 1994 ne peuvent qu’évoquer les plus de 800 000 Juifs exterminés dans le seul camp de Treblinka entre 1942 et 1943. Par leur mode opératoire, ces victimes rappellent bien entendu également le million et demi de Juifs exterminés par les Waffen SS, désormais reconnus victimes de ce qu’on a appelé la Shoah par balles.
Le second est la question du Darfour et plus largement les exactions commises par le régime de Omar El Bechir.
C’est un sujet que je suis régulièrement, étant également membre de l’association Urgence Darfour. Le Soudan, c’est également le cas de la jeune Mériam, condamnée à mort pour apostasie et qui croupit en prison, affaire pour laquelle la CPI vient d’être saisie. Mais je pense également aujourd’hui à la Centrafrique.
Notre première question aujourd’hui est de réfléchir à une question simple : comment prévenir les crimes contre l’humanité et plus particulièrement les génocides en Afrique? Je crois sincèrement que personne n’est en mesure d’apporter une réponse claire à cette question.
Je voudrais donc simplement partager avec quelques réflexions face à des éléments qui m’ont marqué.
L’Europe a comme l’Afrique connu une histoire lourde de conflits. De l’histoire européenne je retiens quelques grands principes pour identifier les sociétés offrant un terrain favorable au développement de crimes et de violences politiques. Bien entendu, je veux éviter dans le même temps tout eurocentrisme, en plaquant des schémas occidentaux sur des sociétés aux ressorts très différents. Mais les grands principes restent certainement de bons indicateurs dans l’absolu :
Parmi ces grands indicateurs retenons tout d’abord le sort réservé aux minorités culturelles, ethniques ou religieuses, le sort réservé aux femmes, le sort réservé aux homosexuels.
Retenons également peut-être le rapport à la violence politique : un dirigeant arrivé au pouvoir par un coup d’Etat a t’il en moyenne un exercice plus violent du pouvoir ? C’est une question à explorer. Mais pour aller plus loin dans l’identification des sociétés « à risque », il nous faut comprendre et analyser le processus sociétal qui mène au crime contre l’humanité. Un point me frappe : c’est le processus de deshumanisation.
La Shoah et le génocide des Tutsis ont en commun un processus sociétal clairement établi et qu’il convient ici d’expliquer pour pouvoir le distinguer :
- D’abord, la désignation d’un groupe comme bouc émissaire coupable de tous les maux,
- Ensuite, la libération de la parole à l’encontre de ce groupe,
- Puis, le positionnement des élites politiques et intellectuelles,
- Et enfin, le passage à l’acte.
Je veux évoquer ici la question spécifique des médias et de la propagande. Nombreux sont les experts m’ayant dit que sans la Radio des Milles Collines dont la responsabilité dans l’endoctrinement anti-Tutsi est fondamentale, le génocide n’aurait pas pu avoir lieu.
Pour rendre une population criminelle, il faut d’abord désigner un bouc émissaire, puis le déshumaniser pour supporter la violence qu’on va exercer contre lui. Sans cette propagande, il ne peut y avoir de génocide.
Concernant ensuite la prévention, une fois des exactions en cours, je dois dire combien je crois dans la responsabilité de la communauté internationale.
Le génocide arménien, comme la Shoah ou le génocide des Tutsis se sont déroulés dans un silence complet du monde. Ils n’ont été possibles que dans ce silence.
Cette mobilisation internationale passe par la sensibilisation des opinions publiques mais aussi des sanctions économiques et personnelles visant les dirigeants eux-mêmes. N’oublions pas que ces dirigeants réagissent en fonction de leur intérêt personnel. Ils sont sensibles à la saisie de leurs biens à l’étranger, aux interdictions de voyager etc.
Il nous faut rappeler et défendre ensuite, en cas d’échec de ces mesures, le principe du droit d’ingérence humanitaire. Ou plutôt le devoir d’ingérence humanitaire.
La Shoah n’aurait pas eu lieu si la communauté internationale – en l’occurrence les Alliés – avait cherché à empêcher concrètement son déroulement.
Face aux pays comme la Chine ou la Russie qui défendent un « chacun chez soi », ne cédons pas et revendiquons le devoir d’ingérence humanitaire.
Vous souhaitez que puisse être développé un outil de veille sur les génocides en Afrique. Soyez assurés du soutien du CRIF dans cette démarche.
Vous nous avez réunis aujourd’hui pour partager également notre inquiétude commune face à l’impunité des criminels de guerre ou contre l’humanité.
Le constat est là : des crimes contre l’humanité d’un côté et des criminels qui échappent aux poursuites de l’autre. Je ne suis pas un spécialiste, là encore de ces questions. Mais un homme incarne cela : Omar El Bechir. Premier président en exercice mis en cause par la Cour Pénale Internationale et pourtant toujours en place 5 ans plus tard puisque la première présentation de charges par le procureur de la CPI date du 14 juillet 2008.
Je terminerais par un simple point : ne distinguons pas la question de la prévention de celle de l’impunité des criminels. A mes yeux, La justice fait partie intégrante de la prévention. Le procès de Nuremberg a par exemple été l’un des outils de pédagogie majeurs. Une justice qui n’est pas une vengeance est un instrument de prévention sans équivalent.