Le CRIF en action
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Publié le 10 Février 2014

« Ceux qui font courir ce bruit de fond « du ras-le-bol de la shoah » ont des raisons politiques de le faire... Les autres, tous les autres se laissent entraîner par ignorance »

Discours de Nicole Bornstein, Présidente du CRIF Rhône-Alpes, dimanche 9 février 2014, lors de la Commémoration de la rafle de la rue Ste Catherine

Cette année, jour pour jour, le 9 février,71 ans plus tard, nous voici à nouveau réunis en ce lieu, le 12 de la rue Ste Catherine, pour commémorer, honorer et aussi redonner éphémèrement vie aux 86 hommes et femmes jeunes et moins jeunes raflés ici même, un par un, souvent par surprise dans l’escalier de l’immeuble, puis déportés pour disparaître à jamais à l’exception de trois d’entre eux. 

Au fil des années, ce lieu s’est transformé. D’abord simple lieu de pèlerinage, à l’occasion de chaque anniversaire, il s’est enrichi du poids de la mémoire et de l’histoire.

Progressivement se sont succédé recueillement spontané, cérémonie républicaine, identification des victimes après un long travail de recherche et enfin pause d’une plaque sur laquelle sont définitivement gravés leurs noms.

Ce long cheminement n’aurait jamais pu aboutir sans la détermination et le travail acharné de rescapés, descendants de victimes et d’historiens, sans la volonté politique, sans le consentement et la coopération des autorités publiques locales et nationales.

Ce long cheminement s’est enrichi ces dernières années de l’engagement de l’éducation nationale, de ses enseignants et du fruit de leurs travaux avec leurs élèves.

La présence régulière des élèves du lycée Ampère en est un vivant témoignage et nous les en remercions.

Mais nous voici parvenus à un palier…

Au moment même où s’éteignent les lumières des garants de la mémoire, alors que peu à peu les derniers témoins disparaissent et que l’on se demande avec angoisse ce qu’il va advenir de cette mémoire et de ce passé si lourd à porter après, je me présente ici face à vous le cœur lourd…

Le cœur lourd de ce bruit de fond…

Ras le bol de la shoah…

Trop plein…

Ressassement…

 

A-t-on trop voulu faire reconnaître ? Trop voulu se souvenir ? Trop voulu enseigner ? Trop commémorer ? Trop écrit ? Trop entendu ? Trop témoigner ?

 

On en vient à douter…

 

À quoi bon discourir, quand dans le même temps :

 

-les mots raflé, déporté sont invoqués à tort et à travers…

 

-le mot "gazer" employé à gauche ou à droite pour rapporter telle ou telle intervention musclée de la police…

 

À quoi bon sacraliser, quand dans le même temps, la dernière des subversions à la mode consiste justement à profaner des lieux de mémoires…

 

On en viendrait à douter de l’utilité même de toute commémoration…

 

Mais au fond posons-nous la question :

 

Qui en a ras-le-bol de la Shoah ? Qui profane ? Qui amalgame ?

 

-           Bien sûr ceux qui sont les héritiers en idéologie de ceux qui ont perpétré ces crimes ou qui en ont été les complices : toute l’idéologie d’extrême droite et de ses compagnons de route. À ceux-là, nous n’avons rien à leur dire. Ils nous ont choisis comme ennemis, nous devons les traiter comme tels.

 

-           La deuxième catégorie des « ras le bol de la shoah », ce sont les néo antisémites-antisionistes. Ils avancent sous le masque humanitaire de soutien au peuple palestinien. Cet antisionisme, totalement indépendant de telle ou telle critique normale d’un gouvernement israélien, est un réel antisémitisme, car il dénie à ceux des juifs qui le désirent le droit de vivre dans un état nation, droit fondamental reconnu pour tous les autres peuples.

 

Cet antisionisme qui fait d’Israël le « bouc émissaire de tous les maux de la terre » est de l’antisémitisme.Cet antisionisme qui fait d’Israël la source de tous les maux du proche et du Moyen-Orient, c’est aussi de l’antisémitisme, car volontairement et cyniquement il ferme les yeux sur le million de morts de la guerre Iran Irak, sur les centaines de milliers de morts des conflits chiites sunnites en Irak, Syrie et Liban, il ferme les yeux sur les agressions contre les chrétiens d’orient et leur exode, sans parler des conflits en Afrique… Faire d’Israël la source de ces conflits est indécent et je le répète, c’est de l’antisémitisme.

 

-           Et c’est cet antisionisme qui a réussi à s’infiltrer dans un troisième groupe de « ras-le-bol de la shoah », et cela nous fait mal, car il fait croire que la mémoire de la shoah étouffe la mémoire des autres souffrances : celle de l’esclavage, celle de la colonisation.

 

Quelle aberration que cela ! Parlait-on plus de l’esclavage dans les livres d’histoire d’avant-guerre ? Bien sûr que non !

 

Qui connaissait le code noir  qui d’ailleurs commençait par un  article d’exclusion des juifs ? J’oserai même dire qu’à l’inverse, dans une certaine mesure, c’est la mémoire de la shoah prise comme référence qui a permis de ramener à l’actualité la mémoire de l’esclavage.

 

Quant à la mémoire de la colonisation, elle vient juste de rentrer dans l’histoire et tout le monde sait de quelle manière polémique et sans aucun rapport avec la shoah.

 

En dépit des horreurs antisémites vues et entendues ces derniers mois, ces dernières semaines, l’actualité aura au moins eu le mérite de dévoiler aux yeux de tous, la réalité crue de cet antisionisme-antisémitisme qu’il soit d’extrême droite, d’extrême gauche ou de l’islamisme extrême.

 

Ne nous y trompons pas ceux qui font courir ce bruit de fond « du ras le bol de la shoah » ont des raisons politiques de le faire... Les autres, tous les autres se laissent entraîner par ignorance. C’est à tous ceux-là que nous devons très spécifiquement nous adresser.

 

Et contre l’ignorance, les a priori, toujours les mêmes clichés présents dans les esprits, dans les lycées et collèges, sur les réseaux sociaux, quelle meilleure solution que la commémoration, le témoignage, l’enseignement ?

 

Parle-t-on trop de la shoah… Oui disent certains. Non, répondent la plupart des enseignants. Mais, parle-t-on bien de la shoah ? Bien sûr, il y aura toujours sur ce terrain  des progrès à faire, notamment à travers la formation ; la qualité de l’enseignement peut varier en fonction du vécu des enseignants, de leur âge, de leur propre investissement.

 

N’ignorons pas la difficulté de cet enseignement, car comme l’écrit A. Wievorka :

« L’évènement est encore contemporain-il n’appartient pas tout à fait à l’histoire ».

 

Mais, inlassablement, poursuivons dans la même voie celle de la connaissance et la connaissance des faits historiques.

 

Nous faisons pour cela confiance en l’école de la république.

 

Les échos  d’élèves revenus de voyage à Auschwitz cités récemment par le Monde en attestent : « tous les antisémites devraient y aller » ou bien « ça rend réel ce qu’on a appris ».

 

C’est, sans conteste, un encouragement à poursuivre sur cette voie.

 

Je dois vous avouer que pour cette cérémonie et pour ce moment de recueillement, en réponse à ceux qui ont libéré leur parole par « Juifs, la France ne vous appartient pas », ou « Faurisson a raison », plutôt que de discourir j’avais la très forte tentation de silence.

 

Cependant, ce sont les quelques vers ajoutés par Boualem Sansal au poème de Primo Lévy qui m’en ont dissuadée.

 

Primo Lévi écrit en parlant de la shoah et en paraphrasant probablement le chema, texte essentiel de notre liturgie :

« N’oubliez pas que cela fut,

non, ne l’oubliez pas :

Gravez ces mots dans votre cœur.

Pensez-y chez vous, en vous couchant, en vous levant ;

Répétez-les à vos enfants. »

 

Ce à quoi Boualem Sansal répond par la voix de son héros ignorant tout de la shoah :

« Les enfants ne savent pas ;

Ils vivent, ils jouent, ils aiment.

Et quand ce qui fut vient à eux ;

Les drames légués par les parents ;

Ils sont devant des questions étranges,

Des silences glacés

Et des ombres sans nom.

Ma maison s’est écroulée et la peine m’accable ;

Et je ne sais pas pourquoi

Mon père ne m’a rien dit. »

 

CRIF