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Publié le 18 Juin 2024

L'entretien du Crif - Renaud Muselier : « Français, réveillez-vous ! L’avenir du pays est en jeu. »

Président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, a été membre fondateur de l’UMP et du parti « Les Républicains » (LR), avant de rejoindre la majorité présidentielle. Il évoque pour nous l’enjeu « historique » des prochaines élections législatives. En réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet, le petit-fils de l’Amiral Muselier (grand Résistant qui avait dirigé les Forces navales françaises libres pendant la Seconde Guerre mondiale), fustige la « bascule » d'Éric Ciotti dans l’alliance avec le parti lepéniste RN : « je ne suis pas étonné par Monsieur Ciotti », nous déclare-t-il, mais « consterné » de voir qu’il cherche à « réaliser ce que souhaitait Jean-Marie Le Pen et dans son sillage Marine Le Pen, à savoir faire exploser la droite ! ». Le Président délégué de « Régions de France » se montre néanmoins confiant dans l’esprit de responsabilité et de conscience des électeurs, qui « voient très bien » la différence entre des élections européennes qui laissent libre cours à un vote protestataire sans impact et ces élections législatives, qui détermineront « l’avenir du pays ». Visant Jordan Bardella, il ajoute : « La France ne peut donner les clés du pays à quelqu’un qui, à 28 ans, n’a jamais rien géré de sa vie, ni ses affaires, ni une entreprise, ni une mairie ! » Il relève et précise aussi ici les nombreux risques que représentent à ses yeux, à gauche, les alliances et incohérences du « Nouveau Front Populaire » qui sont pour lui « le signe d’un délabrement total de la parole et de la cohérence politique ». En ce qui concerne LFI, il dénonce très vivement « son activisme et sa responsabilité » dans la montée de l’antisémitisme en France depuis le 7 octobre. Et il rappelle son soutien à l’État d’Israël et sa démocratie. Entretien.

Le Crif :  Quel sentiment domine chez vous, en ce moment politique d’une particulière gravité pour notre pays, à l’approche des élections législatives ?

Renaud Muselier : La question posée est celle de l’avenir de notre pays. Le Président de la République a pris la décision de dissoudre l’Assemblée nationale et de donner la parole aux citoyens. Immédiatement, les Français ont vu que certaines familles politiques sont dans une situation de vaste désordre, qui a tendance à dégoûter les citoyens que nous sommes, et moi particulièrement.

Voyons la gauche, comment peut-elle prétendre se retrouver unie après des semaines d’agressivité subie par Monsieur Glucksmann, qui représente la gauche socialiste pro-européenne classique, dont je ne partage pas toutes les options mais qui est tout à fait respectable. Après la longue et violente campagne de La France Insoumise (LFI) contre lui, y compris sur un registre personnel, la tête de liste Parti Socialiste (PS) aux européennes s’est retrouvé mariée avec des gens du NPA et des « Insoumis » radicalisés ! Tout cela n’a aucun sens. On a un ancien Président de la République qui se met avec Poutou, le leader de l’extrême gauche NPA investi dans la même alliance soi-disant « Nouveau Front Populaire » ! Ce sont les signes d’un délabrement total de la parole et de la cohérence politique à gauche.

Du côté de la droite républicaine, pour moi qui a milité au RPR, qui a été membre fondateur de l’UMP et de LR, pour moi chiraquien de la première heure, je suis consterné de voir un Éric Ciotti qui réalise ce que souhaitait Jean-Marie Le Pen et dans son sillage Marine Le Pen, de permettre ce que souhaitait le parti lepéniste depuis toujours, à savoir faire exploser la droite !

 

 

« Le grand reniement de Monsieur Ciotti ne m’a pas étonné. Il n’est pas moins honteux. »

 

 

Le Crif : Ce ralliement d’Éric Ciotti au parti lepéniste vous a étonné ?

Renaud Muselier : Non, venant de Monsieur Ciotti, ce grand reniement ne m’a pas étonné. Lui qui a été élu Président de Les Républicains en disant pourtant aux adhérents « le RN, jamais ! », à la première occasion venue, quand son mandat de député lui paraît en danger, le voilà qui renie sa parole, la ligne historique et actuelle de sa famille politique, qui masque son mauvais coup en mentant à tous ses anciens amis en se soumettant à Le Pen ! C’est lamentable.  Personnellement, cela ne m’étonne pas de sa part mais, politiquement et éthiquement, cela n’est pas moins honteux.

 

Le Crif : Comment appréhendez-vous les conséquences de cette bascule du Président de votre ancienne formation politique, LR, vers le camp RN ?

Renaud Muselier : Vous avez observé que la totalité des dirigeants et des cadres de LR ont tenu bon, ils n’ont pas du tout suivi Monsieur Ciotti et dénoncé son reniement moral et politique. Cette formation politique n’a plus depuis longtemps de leader charismatique mais elle a une ligne politique qui est assez claire, qui n’a jamais été celle d’une porosité avec le parti d’extrême droite RN. Simplement, à refuser sans cesse, en tant que parti de gouvernement, toute conciliation sur des réformes dont le pays a besoin, à rejeter les propositions des Premier ministres successifs d’Emmanuel Macron, LR s’est retrouvé dans un entonnoir et, alors que ce parti est de droite, par exemple sur le plan économique, Monsieur Ciotti a fait le choix de rejoindre le RN qui, sur certains aspects économiques et sociaux, est bien plus proche des positions de la gauche et de LFI !

Et sur les défis de sécurité et d’autorité publique, qui restent importants à relever bien sûr, je suis le premier à en convenir, croyez-vous que Monsieur Ciotti, au-delà de paroles démagogiques, ferait concrètement mieux que Monsieur Darmanin ? Évidemment, non. Tout cela n’a donc pas d’autre sens, pour lui, que de tenter de sauver son siège de député en habillant la manœuvre d’un vernis « d’union nationale », qui a craqué.

 

 

« Je suis pour une droite républicaine, humaniste, qui reste ouverte au débat, à l’esprit de dialogue »

 

 

Le Crif : Vous qui avez affronté, aux régionales, le parti d’extrême droite qui était un moment dirigé dans votre région par Marion Maréchal-Le Pen (qui, après sa défaite, avait d’ailleurs déclaré qu’elle quittait la politique…), que dîtes-vous aux électeurs de droite pour les dissuader de basculer vers le RN cette fois-ci ?

Renaud Muselier : Dans notre région, le RN est électoralement fort mais les lepénistes n’ont jamais réussi à emporter la région, vraisemblablement parce que ma personnalité est très affirmée dans un camp politique, la droite : une droite républicaine, humaniste, qui reste ouverte au débat, à l’esprit de dialogue et à la société – j’ai quatorze formations politiques représentées dans ma majorité au conseil régional, des écologistes raisonnables à une droite très affirmée mais jamais extrême. Je dis aux électeurs de droite forte qu’on peut bien sûr entendre un vote protestataire, et dans une certaine mesure le comprendre, mais cela ne doit pas déboucher sur une bascule dans un vote populiste extrême qui amènerait le pays à l’aventure et à des risques graves, à la fois sur le plan économique, le plan sociétal et le plan politique. Je pense d’ailleurs que les électeurs voient très bien la différence entre des élections européennes, où les protestations n’ont pas d’impact direct sur la vie quotidienne, et des élections législatives, qui ont et auront des conséquences directes. Les électeurs peuvent protester sans prendre un risque inconsidéré d’une bascule dans un sombre inconnu.

 

 

« Dans notre vie démocratique, il y a des règles de base sur lesquelles on ne peut pas transiger : lutter sans concessions contre l’antisémitisme, faire respecter la Laïcité »

 

 

Le Crif : Dans le contexte de flambée de l’antisémitisme qu’on a connu dans toute la France depuis le 7 octobre, comment la France peut-elle trouver un équilibre et faire face à ce qui la menace ?

Renaud Muselier : Dans notre vie démocratique et républicaine, il y a des règles de base sur lesquelles on ne peut pas transiger, notamment celles de lutter sans la moindre concession et de manière implacable contre toutes formes d’antisémitisme, comme contre toutes formes d’intolérance et de haine. Le respect des principes de la Laïcité dans notre pays est aussi un élément fondateur du socle, qui fait la force de la République française. Il faut par conséquent redoubler de vigilance sur ces deux points clés.

Notre démocratie est en difficulté, c’est vrai, car il y a des ingérences extérieures, des menaces persistantes de l’islamisme et parce que, au niveau de notre vie politique, il y a des acteurs, à l’extrême gauche, qui attise l’antisémitisme. Là est aussi le danger et la difficulté à laquelle nous devons faire face, précisément en étant solide et combatif sur les principes de notre pacte républicain. On a clairement vu, ces derniers mois, des acteurs politiques, à LFI notamment, donner raison au Hamas – dont ils ont refusé de reconnaître le caractère terroriste ! – et donner systématiquement tort à l’État démocratique qui a subi l’attaque terroriste du 7 octobre, l’État d’Israël. À partir de ce moment-là, on a eu en effet dans notre pays des résurgences d’antisémitisme, favorisées par un activisme militant qui, sous couvert de défendre la cause palestinienne, défend et porte en fait la dangereuse cause d’un Islam politique et prosélyte, qui menace notre démocratie comme les autres démocraties.

J’ai pour ma part toujours eu la même position, elle est nette et inflexible : je soutiens l’État d’Israël, sa démocratie, et il ne peut y avoir de solution dans cette partie du monde si tous les otages du Hamas ne sont pas libérés.

 

 

« La France ne peut donner les clés du pays à quelqu’un qui, à 28 ans, n’a jamais rien géré de sa vie, ni ses affaires, ni une entreprise, ni une mairie, élu à la proportionnelle au Parlement européen où il n’a jamais travaillé ! »

 

 

Le Crif : À l’approche de ces décisives élections législatives, pensez-vous que la majorité présidentielle, à laquelle désormais vous appartenez, peut réussir un sursaut suffisant pour être, en perspective du second tour le 7 juillet et après, le lieu d’un large rassemblement républicain ? Et la majorité pourra-t-elle éviter un nombre important de triangulaires (trois candidatures dans une circonscription) qui pourraient lui être fatal ?

Renaud Muselier : Oui, ce sursaut est non seulement souhaitable mais possible. C’est aux citoyens maintenant de se déterminer en toute responsabilité et conscience, je suis confiant. Il ne faut d’ailleurs pas craindre, en soi, des triangulaires. J’ai moi-même été élu et réélu en tant que député, dans des triangulaires à Marseille. Bien sûr, si elles se développent trop, les triangulaires compliquent le match du deuxième tour. Mais la campagne est lancée et elle doit éclairer les Français, elle va mettre en lumière les positions des uns et des autres, et dévoiler les incohérences, les complaisances, comme les lâchetés et les indignités politiques. Je crois que tout cela va jouer et que la défense courageuse et argumentée des valeurs démocratiques et républicaines peut être majoritaire dans notre pays, malgré – ou à cause de – toutes les démagogies. Aux citoyens et citoyennes de ne pas se tromper de choix, il sera historique pour l’avenir de notre pays, le 30 juin puis le 7 juillet.

Du côté gauche-extrême gauche, il y a de graves risques et des incohérences majeures du point de vue de la politique à suivre, qu’elle soit économique, énergétique, européenne, internationale, ou concernant la Laïcité et la lutte contre l’antisémitisme. Et l’extrême droite reste l’extrême droite. Il y a eu, en façade, une stratégie de dédiabolisation et de « notabilisation », qui masque toute une culture et une histoire contraire aux principes fondateurs de notre République que le Général de Gaulle et d’autres avaient pu sortir de quatre années de déshonneur à la Libération, avant de les consolider ensuite en fondant la Vème République, autour des principes républicains qui ont toujours été défendus depuis lors, notamment par le mouvement gaulliste, contre les assauts constants et furieux du parti lepéniste qui, aujourd’hui, menace.

La France ne peut pas aujourd’hui renoncer à ses idéaux républicains et à ses précieux acquis, en donnant les clés du pays à quelqu’un qui, à 28 ans, n’a jamais rien géré de sa vie, ni ses affaires, ni une entreprise, ni même une mairie, un tout jeune cadre du parti d’extrême droite qui n’a été élu que sur un scrutin de liste pour le Parlement européen, où il n’a jamais travaillé ! Ohh, Français, réveillez-vous !!! Ouvrez les yeux !  Ne vous méprenez pas quand l’essentiel est en jeu. Je pense que les Français, dans leur ensemble, commence a bien voir le problème et le danger.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -