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Le Crif : Cela va faire un an le 7 octobre que le Hamas a déclenché son attaque terroriste d’une ampleur inégalée sur Israël provoquant la guerre de haute intensité à Gaza contre ce mouvement islamiste. On parlait de 25 000 à 30 000 combattants armés du Hamas avant cette guerre. Où en est, selon vous, l’état des forces du Hamas d’un point de vue militaire ?
Mohamed Sifaoui : En vérité, en termes d’effectifs, il faut comptabiliser les terroristes armés et les militants politiques du Hamas, soit plus de 50 000 hommes (et femmes), ceux du Jihad islamique qui compte quelques 20 000 membres mais aussi ceux des autres factions qui ont participé aux attentats du 7 octobre, en l’occurrence les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa (dissidents du Fatah), les hommes du FPLP, ceux du FDLP, ainsi que quelques petites milices très actives. Selon plusieurs recoupements, surtout auprès de sources israéliennes mais aussi de quelques journalistes palestiniens opposés au Hamas, un tiers de ces terroristes a été éliminé. 17 000 selon Israël, en plus de ceux qui sont désormais en prison.
C’est dire qu’objectivement les organisations terroristes qui sévissent à Gaza ne sont pas encore vaincues. Elles gardent leur capacité de nuisance, une partie de leur armement, des stocks de munitions et de nombreux tunnels. J’évoque ces fameux tunnels car ils représentent une donnée stratégique qu’il ne faut pas négliger. Pour détruire militairement le Hamas et ses complices, il ne suffit pas de tuer et d’emprisonner des terroristes, il faut impérativement détruire les tunnels et tarir les sources d’approvisionnement en armes.
Le Crif : Le caractère radicalement islamiste du Hamas est parfois effacé des commentaires en France sur cette organisation, qui réussit en cela aussi à amalgamer et instrumentaliser la cause palestinienne. Côté palestinien, quelles sont les forces qui peuvent éviter d’être pris à ce piège, quels sont leurs alliés et peuvent-ils permettre à ce que les Palestiniens soient débarrassés de ce mouvement terroriste qui veut la destruction de l’État d’Israël ?
Mohamed Sifaoui : Vous avez raison. Il y a un problème d’interprétation idéologique et politique, y compris dans nos démocraties. Le Hamas est d’abord un mouvement islamiste qui veut détruire l’État d’Israël et ériger au sein de ce qui est appelé la « Palestine historique », de la mer au Jourdain, un État islamiste, une théocratie totalitaire. Cela est clairement mentionné dans la littérature du Hamas, à commencer par sa fameuse charte publiée en août 1988. Par ailleurs, ce mouvement a voulu, dès sa création, phagocyter la « cause palestinienne », l’islamiser et l’inscrire dans l’objectif des Frères musulmans qui vise à ré-islamiser l’ensemble des sociétés dites « musulmanes » et ainsi ériger un bloc monolithique, formé par plusieurs pays, reposant sur la doctrine islamiste.
En vérité, d’un point de vue stratégique, et à long terme, les Palestiniens doivent constater que le Hamas – et toutes les organisations islamistes – ne sont pas des groupes nationaux qui visent un objectif louable mais des mouvements qui œuvrent pour dissoudre la « question palestinienne » dans l’islam politique, mais aussi pour la manipuler selon leur agenda. De surcroît ils sont inféodés à une pensée transnationale, celle des Frères musulmans, et ils sont manipulés depuis plusieurs années par quelques États toxiques, au premier desquels la République islamique d’Iran et ses mollahs.
Outre le fait, que cette cause est également manipulée par d’autres régimes, je pense naturellement au Qatar et à la Turquie mais aussi par des autocraties, l’Algérie ou la Tunisie par exemple. Par conséquent, si l’édification d’un État palestinien est une revendication légitime, elle ne pourrait être sérieusement débattue que si elle est portée par des Palestiniens capables de reconnaître l’État d’Israël, acceptant de vivre dans un cadre de paix et de bon voisinage avec lui et conscient qu’il n’est pas dans l’intérêt des Palestiniens d’essayer de construire un État totalitaire, inféodé aux mollahs iraniens ou à d’autres puissances islamistes ou États voyous. Se débarrasser du Hamas doit être aussi un objectif pour les Palestiniens.
Le Crif : Les négociations entre Israël et le Hamas ont échoué. Peut-il y avoir un terme à la guerre à Gaza et, selon vous, au-delà bien sûr de la libération des otages détenus par l’organisation terroriste, quelles sont les conditions pour qu’une gouvernance viable, réaliste géopolitiquement et durable puisse voir le jour à Gaza ?
Mohamed Sifaoui : Je n’ai jamais pensé qu’il puisse y avoir un vrai accord entre le Hamas et Israël. Ceux qui en parlent ne se posent jamais la question de fond : quel accord peut trouver une démocratie avec une organisation terroriste qui ne la reconnaît pas et qui veut sa destruction ? Je trouve certaines approches très légères. Je vise celles qui parlent de « négociations avec le Hamas », de « solution à deux États », dans ces circonstances, ou encore celles qui appellent à un cessez-le-feu durable. Il ne peut y avoir à mon sens, de cessez-le-feu parce que le Hamas espère revenir à une situation ante 7 octobre. Comme si les massacres et les pogroms n’avaient jamais eu lieu. Du style « on tourne la page et on recommence ». De son côté, le gouvernement israélien, à juste titre, estime que le Hamas ne doit plus jamais diriger la bande de Gaza. Ce sont deux positions totalement antagonistes et irréconciliables.
Je crois qu’il faut éliminer le Hamas en tant que force paramilitaire, désarmer tous les habitants de la bande de Gaza, permettre aux Palestiniens, qui refusent le Hamas, de se réapproprier ce territoire, avec l’aide de certains pays arabes, je pense notamment à ceux qui ont signé une paix avec Israël. Il faut aussi éliminer le Hamas en tant que force politique. En d’autres termes, cette organisation terroriste doit cesser d’être considérée comme un acteur mais comme une force toxique et dangereuse à éliminer nécessairement.
Le 7 octobre, le Hamas et le Jihad islamique ont choisi d’opter pour une logique similaire à celle de Daech. Par conséquent, il faut utiliser la réponse qui fut opposée à Daech. Je suis conscient que pour mener une telle politique, il faut plusieurs années. Mais c’est le prix à payer par Israël si cet État ne veut pas exposer sa population à une autre tragédie. Certains disent « on ne peut pas vaincre le Hamas ». Certes, il n’est pas possible de détruire leur idéologie mais il s’agit de les détruire militairement et politiquement, même si, malheureusement, subsistera cette idée islamiste et antisémite.
Le Crif : Au Liban, le Hezbollah revendique 100 000 combattants, soit 40 000 de plus que l’armée libanaise régulière. Quelles sont les similitudes et les différences entre le Hezbollah et le Hamas ?
Mohamed Sifaoui : Le Hezbollah est une milice encore beaucoup plus dangereuse. Cela dit, l’organisation terroriste libanaise est piégée parce qu’elle a désormais un autre statut que celui qu’elle avait lors de la guerre de 2006 et qui la fragilise : elle est comptable de la gestion du Liban étant donné qu’elle a fait main basse sur ce pays et sur ses principales institutions. Les Libanais souffrent d’une terrible crise socio-économique et ils ne peuvent pas se permettre une guerre contre les États-Unis et Israël. Si le mouvement chiite tempère son action militaire, il évite la guerre ouverte pour privilégier un conflit d’usure, c’est parce qu’en vérité, il n’a pas les moyens de sa politique.
Le Crif : Une confrontation de grande ampleur avec le Hezbollah au Sud-Liban vous semble-t-elle être inéluctable, sachant que 70 000 israéliens ont dû quitter leur maison au Nord d’Israël et souhaitent naturellement retourner chez eux ?
Mohamed Sifaoui : S’ils savent faire preuve de pragmatisme, les chiites, ont aussi ce culte du martyr. Nous savons que le Hezbollah est sous la botte du Guide suprême iranien et tant que ce dernier n’aura pas donné son feu vert, le proxy libanais ne changera pas de stratégie. Je crois que lorsqu’il y aura une guerre ouverte, ce sera contre l’ensemble de l’arc chiite (l’Iran, le Hezbollah, les milices irakiennes et syriennes, les houthis au Yémen, etc.) et on verra, d’une manière ou d’une autre, l’implication de puissances régionales notamment l’Arabie Saoudite et celles de la plupart des démocraties. Il s’agira, à ce moment-là, d’une opération aussi importante que fut la première guerre du Golfe contre Saddam Hussein, au lendemain de l’invasion du Koweït. Je ne pense pas que ce scénario est envisageable à court terme parce que l’Iran n’a pas intérêt à s’exposer aujourd’hui à cette éventualité. Elle deviendra incontournable si les mollahs s’entêtent à acquérir des armes de destruction massive ou à lancer une offensive d’envergure contre Israël. Je crois que les lignes rouges sont tracées et, pour l’instant, si le Hezbollah et l’Iran les frôlent, ils évitent de les franchir.
Je cite dans mon livre une phrase – ou plus précisément une stratégie – dévoilée par Hassan Nasrallah, le Secrétaire général du Hezbollah. Il dit en substance que pour détruire Israël, il faudrait mener une guerre d’usure, au quotidien, pour que les Israéliens ne puissent plus se sentir en sécurité chez eux et ainsi « retourner d’où sont venus leurs parents et grands-parents ». Il faut bien comprendre cette phrase et ses conséquences, car contrairement à ce que pensent certains, les islamistes ne comptent pas détruire Israël avec une bombe nucléaire mais en créant les conditions pour empoisonner la vie des Israéliens et les tuer d’une certaine manière à petit feu. Voilà pourquoi Israël ne peut plus se permettre d’avoir une autre organisation terroriste à ses frontières sud. De plus, je crois que tôt ou tard, il faut réduire, avec l’aide des États-Unis, la capacité de nuisance du Hezbollah au niveau de la frontière.
Le Crif : Rima Hassan, élue députée au Parlement européen sur la liste LFI, est accusée d’apporter son soutien au Hamas. Qu’avez-vous pu constater à cet égard, la concernant comme concernant les élus LFI, et quelles sont les conséquences, juridiques mais aussi politiques qui doivent selon vous être tirées en France, notamment en ce qui concerne la gauche et ses alliances ?
Mohamed Sifaoui : Personnellement, je ne serais pas choqué si des juristes se penchent sur la question de la dissolution de LFI et si, comme il est demandé à l’initiative de la députée Caroline Yadan et d’autres parlementaires, est examinée la levée de l’immunité parlementaire de Rima Hassan. La revendication peut en apparence sembler choquante dans une démocratie. Mais à bien regarder, que fait LFI a fortiori depuis le 7 octobre ? Cette formation politique fait semblant de s’occuper à la marge des vrais problèmes des citoyens et de leur quotidien, mais en vérité elle est devenue une caisse de résonnance d’une organisation terroriste. Elle épouse l’ensemble du narratif du Hamas. Sébastien Delogu parle « d’entité sioniste », terminologie du groupe terroriste ; Rima Hassan veut faire admettre qu’il y aurait un « génocide » à Gaza ; propagande du Hamas ; Danièle Obono qualifie le Hamas de « mouvement de résistance », reproduisant ainsi la manière dont l’organisation terroriste se définit elle-même ; d’autres cadres ou militants veulent « nazifier » Israël, ce que fait le Hamas à travers sa charte et ses déclarations depuis 1988 et j’en passe.
Je crois qu’il n’est pas excessif de dire que LFI est devenue une sorte de relais propagandiste d’un groupe terroriste. Nous n’avons jamais vu cela. Comme nous n’avons jamais vu de grands partis de gauche comme le Parti socialiste s’allier avec une organisation que d’aucuns qualifient désormais d’antisémite. C’est très grave. Je ne sais pas comment font les cadres de cette organisation – je parle de ceux qui ne sont pas antisémites – pour continuer à légitimer une politique qui, quoi qu’on en dise, favorise la libération de la parole antisémite et encourage insidieusement à mettre les Français juifs dans une situation d’inconfort et d’insécurité. Ces irresponsables veulent manifestement fragmenter la société française et la cliver. Il y a des moments de l’histoire qui révèlent. Et de ce point de vue, le 7 octobre aura révélé des salauds.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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