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Publié le 17 Décembre 2024

Le Crif en action – Yonathan Arfi à l'UNESCO : lutter contre l'antisémitisme par l'éducation

« "T’as des lunettes et t’es juive", a t-on dit à Elora, une lycéenne de 14 ans, en la pointant du doigt, avant de lui lancer "sale juive" en pleine classe. La jeune fille n’a pas voulu faire de vague, ayant peur que ça empire. Ses vacances en Israël pour rendre visite à sa famille ? Ça fait longtemps qu’elle n’en parle plus à l’école. » Ce sont les mots avec lesquels le président du Crif a ouvert son allocution lors de la journée de réflexion autour de l'éducation comme outil de lutte contre l'antisémitisme organisé, mercredi 11 décembre 2024, par l'UNESCO. En partenariat avec le Congrès juif européen (CEJ), cette conférence réunissait les représentants des États membres ainsi que des organisations de la société civile impliquées sur le sujet.

Photos : ©UNESCO/Claire Dem

 

Mercredi 11 décembre 2024, l'UNESCO a organisé une journée de réflexion autour de l'éducation comme outil de lutte contre l'antisémitisme. Cette conférence, organisée en partenariat avec le Congrès juif européen (CEJ), réunissait les représentants des États membres ainsi que des organisations de la société civile impliquées sur le sujet.

Le président du Crif Yonathan Arfi était invité à prendre la parole sur la première séquence de la journée, dédiée à l'échange des bonnes pratiques en matière d'outils pédagogiques pour lutter contre l'antisémitisme. 

 

 

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Allocution du Président du Crif Yonathan Arfi 

 

« Chère Stefania Giannini, sous-Directrice générale de l'UNESCO

Cher Karel Fracapane,

Cher Ariel Muzicant, Président du Congrès juif européen,

Chers représentants des États membres,

Mesdames et Messieurs,

 

Lola, neuf ans, écolière dans une école publique du centre de Paris, parle de sa judeité avec sa copine juive, à l’école, mais le fait en chuchottant, parce qu’elle a peur.

"T’as des lunettes et t’es juive", a t-on dit à Elora, 14 ans, lycèenne à Lyon, en la pointant du doigt, avant de lui lancer "sale juive" en pleine classe. La jeune fille n’a pas voulu faire de vague, ayant peur que ça empire.
Ses vacances en Israël pour rendre visite à sa famille ? Ça fait longtemps qu’elle n’en parle plus à l’école.

Voici deux exemples de témoignages que nous avons recueillis, au Crif, quelques mois après le 7-Octobre 2023, dans le cadre d’un projet mené avec notre Commission éducation.

Ces témoignages ne sont qu’un infime reflet de ce que vivent les jeunes élèves juifs en France depuis le 7-Octobre. L’école, que nous considérions alors comme un sanctuaire, le lieu où sont transmises et enseignées les valeurs républicaines, n’a pas su les préserver de la vague d’antisémitisme que nous avons connue ces derniers mois dans la société française.

 

Nous pensions naïvement que la jeunesse saurait être immunisée. Les chiffres nous montrent pourtant qu’ils sont l’une des principales catégories touchées par ce fléau, qu’ils en soient les auteurs ou les victimes. Depuis le 7-Octobre, le milieu scolaire est l’un des lieux où le nombre d’actes a le plus augmenté. Les jeunes ont aussi une adhésion plus importante aux préjugés antisémites.

L’Éducation nationale a recensé 1 671 actes antisémites pour l’année 2023-2024 contre 389 l’année précédente.

Derrière ces chiffres, il y a Lola, il y a Elora, et tant d’autres. Il y a aussi cette collégienne de douze ans, agressée et violée à Courbevoie, en raison de ses "mauvais mots sur la Palestine".

Ne nous y trompons pas : le phénomène de l’antisémitisme à l’école n’est pas nouveau. Je participais il y a deux ans à une convention des Scouts juifs, où la plupart des jeunes m’avaient confié avoir déjà subi de l’antisémitisme à l’école.

Dans notre pays, au cours des 25 dernières années, dans de nombreux endroits des zones défavorisées, les familles juives ont quitté les écoles publiques et républicaines, par peur pour leurs enfants.

En 2019, le Président de la République Emmanuel Macron avait demandé un audit sur la fuite des enfants juifs de l’école publique tant le phénomène prenait de l’ampleur. Depuis, la situation s’est considérablement aggravée.

Plusieurs raisons peuvent être évoquées. Les réseaux sociaux d’abord, auxquels les moins de 18 ans sont évidemment les plus exposés, ainsi qu'à la diffusion d’informations eronnées, des fake news, à la désinformation, aux campagnes de propagande ou à la rhétorique antisémite la plus banale.
Ils sont aussi moins armés pour décoder une situation complexe que même les adultes ont aujourd’hui du mal à comprendre.

Et puis il y a cette fascination pour le conflit israélo-palestinien, qui incarne pour cette génération un ersatz de combat symbolique contre le colonialisme et l’oppression.
Pour les jeunes, la haine d’Israël est massivement considérée comme une nouvelle norme, comme l’était la cause du Vietnam il y a 50 ans. Pour cette génération, le sionisme est la pire insulte. Il incarne le colonialisme et l’oppression.

 

Il y a urgence à traiter ce problème. Comme nous le savons, plus la haine apparaît jeune, plus elle est difficile à déraciner. Si nous n’agissons pas maintenant, c’est toute une génération dont l’esprit se retrouvera imprégné de haine, et pour qui la mémoire de la Shoah ne résonnera plus comme un rappel traumatique.

Je suis persuadé que des solutions existent et qu’avec de la volonté nous pouvons réussir à protéger les jeunes de ce fléau de haine.

Depuis des mois, le Crif essaye de développer des solutions, en lien étroit avec les pouvoirs publics et la société civile, pour évaluer l’ampleur de la situation, pour recueillir les témoignages des élèves concernés et pour trouver des outils pédagogiques innovants.

 

De nombreuses mesures peuvent encore être envisagées ou consolidées.

Nous demandons une politique de tolérance zéro qui se reflète à la fois dans une remontée systématique des signalements et une exemplarité dans les sanctions.

Les enseignants et le personnel éducatif font partie de la solution et doivent être soutenus. Nous encourageons ainsi la formation massive, à la fois initiale et continue, à la lutte contre la haine et les discriminations, en incluant un volet spécifique pour savoir reconnaître les particularités de l’antisémitisme.

Concernant les élèves, une sensibilisation aux différentes haines qui fissurent notre société est primordiale mais ne suffit pas. J’appelle depuis de longues années à une évolution des programmes pour mieux valoriser l’histoire des Juifs en France et en Europe, en montrant qu’elle ne repose pas que sur des drames mais aussi sur des contributions positives.

Je vous remercie. »