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Publié le 18 décembre dans L'Express
Le petit pays hébreu fait partie des pionniers sur le volet de la vaccination. Très rapidement, Israël s'est mis en ordre de marche afin d'organiser une campagne d'immunisation rapide et efficace. Au total, 70% de la population dispose d'un schéma vaccinal complet. Parmi eux, plus de 40% ont reçu leur dose de rappel en l'espace de quelques mois. Alors que la cinquième vague déferle sur de nombreux pays, les chiffres sanitaires israéliens font pâlir d'envie certains de ses voisins : sur les sept derniers jours en moyenne, on compte 659 contaminations de Covid-19, un taux qui reste stable depuis plusieurs semaines. Le professeur de microbiologie à l'Université hébraïque de Jérusalem, Hervé Bercovier, salue le démarrage de cette campagne de vaccination. Cependant, il regarde avec inquiétude le relâchement de la population et pointe du doigt l'abandon de l'État israélien envers certaines communautés qui ont payé le prix fort de la crise sanitaire.
L'Express : Quel bilan tirez-vous de cette campagne de vaccination ?
Hervé Bercovier : La vaccination qui a démarré fin 2020 en Israël a été bien appliquée. En particulier chez les personnes âgées grâce à un système de hiérarchie mis en place selon les classes d'âge. Cette campagne d'immunisation a permis de bloquer complètement l'épidémie tirée à l'époque par le variant britannique dit "Alpha". Selon moi, il s'agit non seulement d'un succès immédiat, mais aussi d'un succès à long terme, y compris lors de la récente épidémie due au variant Delta : Même chez les individus qui n'ont pas encore reçu une troisième dose, il y a eu 50% de mortalité en moins. Nous pouvons attribuer le succès de la vaccination à la qualité des vaccins mis sur le marché. Actuellement, certains se montrent un peu critiques envers le vaccin, mais c'est parce que l'on explique mal comment il fonctionne. Sauf pour la variole, aucun vaccin ne protège à 100% à long terme.
Alors que l'épidémie a baissé dans le pays, comment évolue cette campagne ?
En Israël, la mortalité liée au Covid-19 n'est pas élevée aujourd'hui. Par conséquent, la population commence à douter de l'intérêt immédiat de se faire injecter une dose de rappel ou de vacciner les enfants de moins de 15 ans. Il y a surtout des contaminations chez les enfants, mais cela n'entraîne que rarement des maladies graves. Contrairement à son prédécesseur, le gouvernement actuel - dirigé par le Premier ministre Naftali Bennet - essaie de ne pas utiliser une phraséologie dramatique - ce qui est juste. Le problème, c'est que les explications de l'exécutif ne sont pas assez bonnes pour convaincre les gens d'aller se faire vacciner dans une situation non-dramatique. Le public réagit très mollement. Les gens ne voient pas l'urgence ce qui explique aussi que la campagne de vaccination des 5 à 11 ans est très faible.
Les parents ne s'opposent pas à la vaccination des enfants, mais ils estiment que cela peut attendre. J'entends beaucoup ce type de discours autour de moi. En donnant aux gens la possibilité de refonctionner presque normalement, ces derniers se demandent : pourquoi faudrait-il se faire vacciner tout de suite ? A l'époque, le souvenir de la première vague marquée par un fort taux de mortalité poussait les gens à aller se faire vacciner. Aujourd'hui, le contexte est très différent : c'est très relax en Israël. De nombreuses mesures de restriction ne sont pas suivies : par exemple, le passe sanitaire n'est que peu respecté et la police ne donne pas d'amende aux personnes qui enfreignent les règles. Je pense que le variant Omicron va changer la donne. La plupart des pays vont sans doute connaître prochainement une belle poussée épidémique. A ce moment-là, les gens vont de nouveau se poser la question d'aller se faire vacciner.
Pourtant, déjà plus de 40% de la population a déjà reçu une troisième dose...
En Israël, la campagne de rappel est en cours : au total 4,1 millions de personnes ont reçu une dose de rappel sur les six millions de personnes qui ont reçu un vaccin. Le problème est que les gens âgés ont reçu leur "booster dose" au mois d'août, il y a 4 ou 5 mois - et on ne sait donc pas pendant combien de temps elle sera efficace contre le nouveau variant Omicron. C'est pour cela que la question de la quatrième dose fait débat dans le pays. Pour moi, tout dépendra de l'efficacité à fabriquer une nouvelle formule du vaccin contre le Covid-19. Si l'on venait à connaître une épidémie dramatique, il est clair qu'une troisième récente ou une quatrième dose pourraient protéger contre le variant Omicron. Le dilemme sera le suivant : soit une nouvelle formule du vaccin est disponible, soit la quatrième dose sera utilisée. Vu la façon dont les choses évoluent aujourd'hui, il y a de bonnes chances qu'on ait besoin d'une quatrième dose.
Aviez-vous eu des craintes au début de cette campagne ?
A l'époque, certaines critiques portaient sur le fait que le vaccin avait été réalisé trop rapidement. Or, les personnes qui ont réalisé les essais cliniques - quelles que soient les trois grandes entreprises (Pfizer BioNTech, Moderna et Astrazeneca) l'ont fait de façon sérieuse. On pouvait s'attendre à très peu de surprise lorsqu'on est passé à la vie réelle. Personnellement, je n'avais pas de craintes particulières.
Il y avait un doute sur qui serait capable de faire une vaccination de masse, car avant cette campagne, l'ex-chef du gouvernement, Benyamin Netanyahou, et le ministre de la Santé voulaient tout prendre en main: une véritable catastrophe, car ils n'avaient aucune expérience sur le terrain. Heureusement en fin de compte la vaccination s'est faite au niveau des caisses de maladie. Nous en avons quatre en Israël, elles sont semi-publiques, c'est-à-dire qu'elles sont indépendantes et subventionnées par l'État. On peut parler d'un grand soulagement, sinon on aurait été droit vers la catastrophe
Quelles sont les critiques que vous pouvez faire concernant cette campagne ?
Pendant la vague du Delta - - l'été-automne dernier - on comptabilisait une trentaine de morts par jour en moyenne - en majorité non vaccinés - contre 70 durant la vague Alpha. Le succès de la vaccination a eu un effet pervers en Israël : les ministres de la Santé et l'ancien Premier ministre n'ont pas ciblé les personnes qui n'ont pas été vaccinées. Autrement dit, les couches de la société moins éduquées n'ont pas été prises en compte dès le départ. Si l'on regarde la proportion de personnes décédées durant la pandémie, on remarque que ce sont les populations arabo-israéliennes et les orthodoxes qui ont payé le prix fort.
Je trouve que c'est inacceptable que les membres du gouvernement aient négligé de faire de la prévention ciblée vers ces populations. Si ces personnes refusent la vaccination, c'est principalement un problème de préjugés et d'ignorance. Ils pensent que "tout est écrit dans le ciel". La campagne de vaccination auprès de ces populations a été un ratage complet. Il est facile de convaincre des gens éduqués qui lisent les journaux, voient les informations... Mais il y a eu de nombreuses poches non vaccinées qui ont trinqué.
Comment voyez-vous la vaccination contre le Covid-19 dans le futur ?
La vaccination contre le Covid-19 va nous accompagner quelque temps. Il semble que les gens avaient oublié que les vaccins - quels qu'ils soient - ne donnent pas lieu à une protection à long terme. Si l'on prend le vaccin contre la grippe, il est moins efficace que celui contre le Covid-19 Cependant, la grippe est devenue une maladie hivernale, donc si l'individu n'est pas bien protégé en juin ou en juillet, ce n'est pas grave puisque le virus de la grippe ne circule pas. Relativement nouveau, le SARS-CoV-2, n'est pas encore devenu un virus saisonnier. A long terme, c'est ce qu'il va lui arriver, mais en attendant on risque d'avoir besoin de vaccination répétée pendant quelques années.
Pour toutes les maladies virales, nous disposons de très peu de médicaments efficaces ; exceptés pour le VIH et l'hépatite C. Par conséquent, je n'ai pas été surpris que l'on ne trouve pas de médicament pendant des mois. Cependant, deux laboratoires (Pfizer et GSK) ont développé des antiviraux qui ont une efficacité relative - mais prometteuse. Je pense que d'ici à quelque temps, on pourra prescrire un traitement rapide aux patients infectés - afin d'éviter de revacciner toute la population à tout moment. Il y a de bonne chance que cela change la dynamique de la vaccination de masse.