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Le Crif : Vous avez présidé le 27 janvier une cérémonie de restitution d'un bien spolié à une famille juive pendant la Deuxième guerre mondiale. C'est un geste fort en ce 27 janvier, 76ème anniversaire de la libération du Camp d'Auschwitz devenue journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité. Quel était votre message lors de cette cérémonie ?
Benoît Payan : Marseille avait rendez-vous avec son histoire. Au-delà de son inestimable valeur artistique, le tableau d’André Derain a une histoire singulière. L’œuvre appartenait à un héros juif de la Résistance, René Gimpel, arrêté et mort en Déportation. Cette œuvre spoliée a été rendue à sa famille. C’est un honneur pour moi. Aujourd’hui nous devons aller plus loin dans l’instruction des dossiers de spoliation car plus de la moitié des procédures ne sont pas instruites. C’est pourquoi j’ai invité les maires à accélérer ce travail pour que la justice soit rendue et que les réparations culturelles et matérielles aient enfin lieu.
Il s’agissait aussi d’écrire une page d’histoire. Longtemps occultée, l’Histoire de la Shoah est sortie de l’amnésie collective grâce à quelques artisans et une communauté qui ont entretenu la mémoire de la Déportation et du Génocide. Cette mémoire est devenue aussi Histoire. Les derniers survivants de l’Holocauste disparaissent mais nous avons un devoir de mémoire et un devoir d’histoire. Nous devons, en toutes circonstances, faire œuvre de pédagogie et rappeler les racines de l’antisémitisme qui ont germé en France. Nous devons en toutes circonstance expliquer les mécanismes ayant conduit au processus génocidaire. Je crois qu’il faut aussi dénoncer avec une grande fermeté l’idée selon laquelle le régime de Vichy aurait protégé les juifs comme l’affirme Eric Zemmour. C’est une absurdité historique et ce négationnisme qui rejaillit aujourd’hui est un poison. Vichy a contribué activement à la Déportation et à l’extermination des Juifs qu’ils soient étrangers ou français. Nous devons regarder notre histoire en face.
La ville de Marseille a une place singulière dans cette histoire. C’est un port et beaucoup de personnes, avaient trouvé ici un refuge et attendaient de pouvoir partir comme Raymond Assayas. Des réseaux de Résistance s'organisèrent alors et la communauté juive y a pris toute sa place. Se souvenir, en faire l’histoire c’est aujourd’hui d’une impérieuse nécessité pour que l’antisémitisme recule. Nous sommes fiers d’avoir contribué à écrire une page de cette histoire le 27 janvier 2021.
Le Crif : Sur le plan de la lutte contre l'antisémitisme, Marseille a été exemplaire avec la création en 1990 de Marseille Espérance qui réunit les responsables religieux autour du Maire de la Ville pour lutter contre toutes les formes de discrimination et les conflits entre les communautés. Souhaitez-vous poursuivre ce mouvement ?
Je suis maire de tous les Marseillais et à ce titre je crois pouvoir dire que ce qui fonde l’identité de notre ville c’est précisément le vivre-ensemble et l’écoute. Je suis soucieux de maintenir nos institutions dans un cadre laïc. La Ville de Marseille, comme toutes les institutions républicaines, ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. La Laïcité, de ce fait, reconnaît toutes les religions. Je crois pouvoir dire aussi qu’il y a sur notre territoire une relative harmonie entre les confessions. Nous avons su maintenir un dialogue souvent utile et toujours fécond. A maintes reprises, cela a permis d’apaiser les tensions dans un contexte précisément marqué par une intensification des positions et une radicalisation de la vie politique et religieuse dont les impacts sur le corps social sont trop souvent douloureux et sèment la division. J’ai souhaité maintenir cette instance de dialogue et nous devons nous attacher à la faire vivre.
Le Crif : Quelle sera votre position pour lutter efficacement contre toutes les formes d'antisémitisme au sein de la ville, à un moment notamment ou l'antisionisme et la haine d'Israël sont des formes réinventées de l'antisémitisme ?
Il ne peut pas y avoir de concession sur la question du racisme et plus précisément de l’antisémitisme. Le ventre de la bête immonde est hélas encore chaud. J’ai grandi avec l’idée qu’une meilleure compréhension de l’histoire permettrait de ne plus revivre les atrocités de la Seconde Guerre mondiale. C’est en les résumant à grands traits les leçons que nous livrait Primo Lévy. Depuis, l’histoire a fait son œuvre et des historiens d’une nouvelle génération, comme Christian Ingrao, montrent la logique implacable du processus génocidaire qui a été mis en place. Il ne faut jamais relâcher l’effort de l’apprentissage et de la connaissance. C’est une obligation morale mais aussi historique. Cependant, si la connaissance historique a progressé et si les programmes scolaires l’ont complètement intégré, nous constatons que l’antisémitisme, loin de disparaître, reste une réalité tenace.
L’antisémitisme sous quelque forme que ce soit doit être vigoureusement combattu. Pour répondre précisément à votre question, je crois que nous ne devons pas importer en France le conflit israélo-palestinien. Nous pouvons avoir un avis sur la politique menée par le gouvernement israélien actuel. Il est même possible de le critiquer. Mais la critique d’une politique ne doit pas glisser vers des messages de haine, d’intolérance conduisant inexorablement vers l’antisémitisme. Ces amalgames nauséabonds doivent là aussi être dénoncés politiquement. Ils doivent aussi donner lieu à des procédures judiciaires car l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit.
Le Crif : Enfin, la ville de Marseille est jumelée à Haïfa (Israël) depuis 1958. Une longue histoire lie ces deux ports de la Méditerranée. Souhaitez-vous développer les relations entre les deux villes ? Avez-vous l'intention de vous y rendre quand les conditions sanitaires le permettront pour poursuivre le rapprochement entre les deux populations?
L’histoire d’Haïfa et de Marseille sont liées depuis 1958. Ce jumelage est un bien précieux que nous devons entretenir et renforcer. Nos histoires sont certes différentes mais nous avons de nombreux points communs. Tout comme Marseille, Haïfa est une ville cosmopolite et multiconfessionnelle. C’est une ville de partage où juifs et arabes cohabitent. C’est une ville aussi qui a de grandes ambitions pour son port avec un programme de modernisation renforçant ainsi sa centralité dans les échanges entre Israël et le Moyen-Orient. Enfin, c’est une ville dirigée par une maire progressiste depuis 2018. Il y a donc aussi une proximité politique même si nos cultures politiques sont différentes.
Lorsque les conditions sanitaires le permettront, j’aimerais me rendre à Haïfa. Je crois qu’il faut plus que jamais construire des liens, bâtir des ponts entre nos peuples. C’est le sens de l’histoire, c’est le sens de notre histoire.