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Publié le 24 Janvier 2022

France - "Une jeune fille qui va bien" de Sandrine Kiberlain sort le 26 janvier

Avec Une jeune fille qui va bien, Sandrine Kiberlain réalise un premier film très fort. Et sacre au cinéma Rebecca Marder, actrice éblouissante de vérité dans le rôle d’une étudiante juive à Paris sous l’Occupation. Talent, passion, transmission… ce qui les lie.

Publié le 20 janvier dans Madame Le Figaro

Devant la cheminée de l'hôtel Montalembert, à Paris, les clients attablés ne se doutent pas qu’ils assistent à une naissance. Ou deux naissances exactement. Celle d’une réalisatrice, Sandrine Kiberlain, mais aussi celle d’une grande actrice : Rebecca Marder. Aussi enthousiastes l’une que l’autre à l’idée de se retrouver pour évoquer Une jeune fille qui va bien, le premier film mis en scène par l’actrice césarisée, sélectionné à La Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, les deux complices se livrent avec entrain et sincérité.

Le destin que la réalisatrice retrace durant l’été 1942 est celui d’Irène, une étudiante juive de 19 ans passionnée de théâtre et pleine de vie. En choisissant d’aborder le quotidien de cette Parisienne aux temps troublés de l’Occupation, Sandrine Kiberlain, petite-fille de Juifs polonais, a exploré un pan de son histoire familiale, mais exploité également sa nature solaire et son indéniable résilience.

Pour incarner cette héroïne «façonnée pendant quatre ans», la réalisatrice a fait confiance à son instinct : Rebecca Marder lui est tout de suite apparue comme une évidence. En la découvrant à la fois «maladroite et gracieuse, drôle et émouvante», elle a su qu’elle tenait le personnage central de son histoire.

Un premier grand rôle au cinéma pour cette actrice de 26 ans qui se trouve être l’un des talents les plus convoités du moment. Pensionnaire de la Comédie-Française (la plus jeune à son arrivée en 2015), Rebecca Marder est attendue dans six films dont Simone, le voyage du siècle, d’Olivier Dahan, où elle incarne Simone Veil jeune. Son charme, son naturel et sa personnalité mêlant force et fragilité la distinguent des actrices de sa génération et laissent présager un futur doré.

"Il fait toujours beau les jours de catastrophe"

Sandrine Kiberlain. - Je suis partie de cette phrase lue dans Le Journal d’Hélène Berr, qui m’avait beaucoup frappée : «Il fait toujours beau les jours de catastrophe». Je voulais parler du beau temps, de l’avant-bascule, juste avant que quelque chose ne vienne surprendre l’enchantement. Le film ne cherche pas le rire ou les larmes, il raconte la vie. C’est d’ailleurs ce qui était compliqué : comment raconter les 19 ans d’une fille dont tous les rêves sont permis ? J’ai porté ce projet pendant quatre ans et mon nom a été à la fois un avantage et un inconvénient. Ma notoriété a facilité le premier contact avec les décideurs, mais il a ensuite fallu redoubler d’énergie pour montrer ma légitimité en tant que réalisatrice.

Finalement, j’ai pu convaincre les financiers en exposant une vision très claire de ce film traité sous un angle plutôt radical. Et pour être honnête, je ne me suis jamais posé la question de la légitimité car je ne me suis jamais empêchée quoi que ce soit dans la vie : j’ai réalisé un court-métrage, sorti des albums alors que je n’étais pas du tout chanteuse, mais à chaque fois cela venait d’une nécessité d’écriture. Mon père ayant été dramaturge, il y a peut-être, l’air de rien, une forme d’hérédité, car dès l’âge de 15 ans, je lisais ses textes en secret et j’ai le souvenir qu’ils me faisaient rire. Par la suite, j’ai joué pendant un an la pièce qu’il avait écrite sous le pseudonyme David Decca, Le Roman de Lulu. Mais l’écriture est une discipline ambivalente : c’était parfois très laborieux d’écrire Une jeune fille qui va bien, alors que je pouvais tout à coup ressentir une force miraculeuse qui me faisait coucher sur papier exactement ce que je ressentais.

"On ne parlait pas de la guerre dans nos familles"

S. K. - Mes grands-parents n’ont jamais parlé de leurs proches exterminés dans les camps. Ils préféraient partager leurs souvenirs heureux en Auvergne où ils étaient cachés, par des Justes, dans un hôtel. Ma grand-mère considérait cette période comme l’une des plus belles de sa vie. C’est pour cela que j’ai réalisé un film évoquant les moments doux de la vie d’Irène.

Rebecca Marder. - Cette période de l’Histoire reste fondatrice pour moi car toute la famille américaine de mon père, juif new-yorkais, est passée par les pogroms en Russie, en Pologne et en Ukraine avant d’atterrir à Ellis Island. Tous ceux qui n’avaient pas émigré ont été déportés. J’ai su, par ailleurs, que l’on avait peint sur la veste de mon arrière-arrière-grand-père débarqué aux États-Unis une croix blanche qui signifiait qu’il était trop faible pour reconstruire le pays et sa femme avait retourné son manteau pour lui éviter d’être renvoyé en Pologne. Par la suite, mon grand-père américain a fait le débarquement à Utah Beach et a reçu deux médailles pour son courage, mais il disait qu’il s’agissait d’une erreur… ! Du côté français de ma famille, mon arrière-grand-père était un résistant de la première heure et un des premiers à posséder un poste émetteur en France. Toutes ces histoires personnelles sont gravées en moi et m’ont forcément influencée.

"Le théâtre nous a construites"

S. K. - On raconte forcément beaucoup de soi quand on écrit. Or, à l’image d’Irène, j’ai eu l’impression de naître à 19 ans. Comme elle, je me suis affranchie d’une famille aimante pour commencer à vivre, notamment grâce au théâtre. Je pense que jouer m’a sauvée parce que j’étais un peu transparente et passive dans la vie. Moi, j’observais. Quand je suis entrée au conservatoire et que j’ai commencé à incarner des héroïnes de Marivaux ou la Bélise des Femmes savantes, les textes sont venus me nourrir, me remplir, m’épanouir. Le théâtre m’a fait voir d’autres univers et m’a un peu «déprotégée» : il m’a appris beaucoup sur moi et j’ai commencé à exister en me remplissant des rôles.

R. M. - J’ai aussi l’impression que le théâtre m’a construite. Mes sept années à la Comédie-Française m’ont forgé une discipline. C’est une chance de pouvoir jouer les grands textes avec un travail de répétition très approfondi et épanouissant. Mais au cinéma, un rôle comme celui d’Irène est tout aussi passionnant. J’ai conscience de la chance que j’ai de jouer des personnages ayant, comme elle, des traversées incroyables, qui offrent une large palette de jeu, car il m’est déjà arrivé de jouer «la jeune fille timide n°3», dont la seule réplique était : «Salut, ça va ?». Le cinéma peut donc être tout aussi fondateur que le théâtre, mais c’est le théâtre qui a musclé mon jeu et m’a enseigné une facette plus artisanale du métier. Par ailleurs, j’aime ce rapport au public et au temps : je trouve précieux de me dire que pendant deux heures et demie, je ne suis disponible pour personne et que la scène est l’unique endroit au monde où rien ne peut m’atteindre. Les comédiens et le public sont réunis pour écouter le même texte et je trouve magnifique de prendre ce temps ensemble.

"C’est bien que le film sorte en ces temps bousculés"

S. K. - Une jeune fille qui va bien montre tout ce dont on peut priver quelqu’un. L’idée est de mettre en lumière ce qu’il y a de mieux dans la vie et dont des fous dangereux privent certains. Les choses sont dites sans les montrer, je laisse l’imaginaire du spectateur faire son travail. Sachant que ce film est né de thèmes qui ne m’ont jamais quittée et me hantent encore, à savoir, l’intolérance et l’injustice, et que ces sujets sont visiblement toujours d’actualité, je trouve bien que le film sorte en ces temps bousculés. On sent bien que notre époque est trouble et qu’on ne sait pas jusqu’où cela peut aller, mais je suis portée par une force de vie, sans doute héritée de ma famille qui s’est relevée du pire. Et tant qu’on n’est pas mort, j’ai l’impression qu’on peut se remettre de tout…

R. M. - En regardant derrière moi, je me dis que je suis finalement contente de certaines épreuves qui me sont arrivées - et que je préfère garder pour moi - car je me sens aujourd’hui blindée. Je sais que je peux renvoyer une image un peu fragile mais je me sens très forte. C’est une chance à 26 ans, surtout à une époque où l’on est assailli de problématiques écologiques, politiques, pandémiques…

"Rebecca n’a pas fini de travailler"

S. K. - Rebecca est une passionnée et elle est inspirante donc je pense qu’elle n’a pas fini de travailler… Mais elle est prête pour ça ! Et en la filmant, elle, et toute la bande de jeunes du film, j’étais très émue car je me revoyais débuter.

R. M. -Je suis très heureuse car une année magnifique se profile. Je me sens un peu planante et portée par une énergie de travail intense.

 

  • Une jeune fille qui va bien, de Sandrine Kiberlain avec Rebecca Marder, Anthony Bajon, André Marcon, Françoise Widhoff… Sortie le 26 janvier.