Président du Crif, un militant juif et citoyen
Crédit photo : ©Alain Azria
Maison de la Chimie, Dimanche 24 novembre 2024
« Nous sommes au terme de cette 14e Convention nationale du Crif. Cette année encore, nous avons partagé une journée dense et intense : ensemble, nous avons pu échanger, douter, écouter, apprendre, nous questionner…
Merci au staff du Crif et à ceux qui leur ont prêté main forte, sans qui nous ne pourrions être là aujourd’hui. Merci à tous d’être venus si nombreux enrichir nos débats de votre présence et de votre contribution. Merci également à nos près de 80 intervenants d’avoir permis au cours de cette journée que la pensée se conjugue au pluriel. Aujourd’hui, chacun a pu penser « Le monde d’après » avec ceux qui lui ressemble mais aussi avec les autres, quitte parfois à penser contre soi-même.
Porter sa réflexion sur le monde d’après, c’est prendre nécessairement appui sur le monde présent et sur l’Histoire passée.
Le Monde d’hier, comme l’a évoqué au début de la journée Delphine Horvilleur, est le titre du testament littéraire de l’immense écrivain Stefan Zweig, publié en 1942. Dans Le Monde d’hier, Zweig, alors loin de l’Europe, déplore avec nostalgie l’effondrement d’un monde de culture, de stabilité politique et de liberté d’esprit. Une époque emplie d’espoir et de confiance en l’avenir, qui venait de s’effondrer sous ses yeux.
Je refuse toujours les comparaisons historiques trop faciles, entre deux époques, entre deux contextes bien différents, mais, comme nous tous, je m’interroge : qu’est-ce qu’un esprit européen comme Zweig aurait pensé de notre temps ? Qu’aurait-il pu nous en dire ?
Et plus largement, qu’est-ce que nos contemporains disent aujourd’hui des temps que nous vivons ? C’est justement ce que nous avons demandé à nombre d’entre eux durant cette journée.
Cette époque, notre époque, c’est d’abord celle où la liberté d’expression quand ce n’est pas la liberté tout court est menacée aux quatre coins du monde. Une époque où la démocratie, loin de progresser, subit les assauts de régimes autoritaires toujours plus nombreux et plus puissants.
Et puisque j’évoquais Stefan Zweig, permettez-moi de commencer par lancer ici un appel solennel, un cri du cœur, pour un autre écrivain : Boualem Sansal.
Boualem Sansal, qui est intervenu dans cette enceinte l’an dernier et avec qui nous partageons une passion si française pour l’universel. Boualem Sansal, qui a fait de sa plume, une arme dans le combat contre tous les obscurantismes.
Mesdames, messieurs, je vous demande des applaudissements pour faire entendre notre appel à la libération immédiate de Boualem Sansal en Algérie.
Notre époque, c’est aussi celle où la République est contestée sur son propre sol par des entrepreneurs identitaires, gonflés à l’islamisme et aux théories indigénistes et décoloniales.
Aujourd’hui, nous commémorerons en janvier les dix ans des attentats contre des caricaturistes, des policiers et des Juifs mais où fondamentalement rien n’a changé depuis, face à l’idéologie qui a armé les bras des terroristes.
Aujourd’hui, les populismes, d’extrême gauche comme d’extrême droite, ne nous y trompons pas, sapent peu à peu la confiance dans les institutions républicaines.
Cette époque, c’est celle qui voit la cause palestinienne dévoyée dans des raccourcis coupables où les Juifs sont désignés de fait à la haine et à la violence.
Nous vivons des temps où les instances internationales, celles-là mêmes nées dans le sillage du plus jamais ça de la Shoah, stigmatisent l’État d’Israël, et veulent retourner contre lui l’accusation ultime de génocide. Où la CPI, impose de fait une équivalence entre une organisation terroriste et une démocratie.
Nous vivons des temps où, 12 % des Français considèrent comme une bonne chose le départ de France de leurs concitoyens juifs, comme nous l’avons appris ce matin, dans le sondage réalisé par Ipsos pour le Crif et présenté par Brice Teinturier.
Notre époque, enfin, c’est celle d’une jeunesse, dont on nous dit sondage après sondage, qu’elle représente la population la plus perméable aux préjugés antisémites.
Émile Zola, déjà, en 1897, dans sa « Lettre à la jeunesse » s’inquiétait face à la progression de l’antisémitisme. « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibré ? »
Zola serait sans doute triste de voir l’Europe d’aujourd’hui, malade de l’antisémitisme, où des lynchages antisémites ont déshonoré les rues d’Amsterdam, devant l’impuissance des pouvoirs publics, et l’indifférence de toute une frange de la population.
Mesdames, messieurs,
Face aux menaces de notre temps, il y a ceux que la peur tétanise et ceux que les défis galvanisent.
Ensemble, nous avons la responsabilité de rejeter le défaitisme pour cultiver un monde d’après meilleur, au croisement de l’ambition juive du Tikkoun Olam, la réparation du monde, et du volontarisme républicain de lendemains meilleurs de la société.
Notre monde, c’est d’abord notre pays, plus fragmenté que jamais. Beaucoup de nos tables-rondes l’ont rappelé aujourd’hui : le 7-Octobre a été aussi un choc français, catalyseur et révélateur des fractures du pays.
Il y a bien-sûr le débordement de l’antisémitisme. Mais, comme dans toutes les crises, l’antisémitisme est un symptôme et c’est l’édifice républicain tout entier qui est mis en danger. Des attaques visent tous les symboles d’autorité publique, la laïcité est brocardée, le pluralisme est dénoncé comme une faiblesse, les discriminations et le racisme persistent plus que jamais, la violence dirigée contre les élus eux-mêmes explose...
Nous savons qu’il n’y a qu’une seule réponse aux attaques contre l’idée de République : plus de République !
Monsieur le Ministre, je souhaite à ce sujet vous remercier très sincèrement d’avoir maintenu le match France-Israël le 14 novembre, malgré la menace sécuritaire, et d’avoir ainsi démontré toute la fermeté de la République face à l’antisémitisme.
Ce soir-là, votre présence au Stade de France aux côtés de nombreux responsables politiques, dont le Président de la République et le Premier ministre, était un geste fort car la République a besoin de symboles.
La République, c’est aussi l’ambition sans cesse renouvelée de l’émancipation. Aucune nation n’a accordé dans sa construction nationale une place aussi importante à l’école que la France.
Les terroristes l’ont bien compris, en s’attaquant à trois reprises à des professeurs, sentinelles de la République à leur façon : Jonathan Sandler, Samuel Paty et Dominique Bernard. De l’école maternelle à l’université, la République, c’est d’abord celle du savoir et de l’esprit critique.
Elle s’honore en choisissant, comme annoncé hier par le Président de la République, de faire entrer au Panthéon l’immense historien et résistant, Marc Bloch. Son attachement viscéral à la République, sa foi en l’éducation comme arme citoyenne, sa détermination de Français juif pétri de valeurs universelles sont un message d’une nécessité toute actuelle.
Monsieur le ministre, permettez-moi ce soir de dire ce que vous ne pourrez peut-être pas dire vous-même : notre désolation devant la décision du tribunal administratif d’autoriser la conférence de Rima Hassan à Sciences Po. L’université doit permettre la rencontre apaisée et sincère des opinions, pas l’agitation et l’hystérisation des débats et encore moins une certaine complaisance à l’égard d’organisations terroristes. La volonté de prendre en otage les universités représente un vrai trouble à l’ordre public académique !
Le monde d’après, nous le voulons meilleur, pour nous, et meilleur au-delà de nos frontières.
Faire advenir ce monde meilleur, cela commence par soutenir la résistance qui, partout, s’oppose aux régimes autoritaires. C'est un devoir moral, mais aussi une nécessité existentielle. C’est notre devoir vis-à-vis de l’Ukraine, comme de Taïwan. Mais surtout, défendre leur souveraineté, c'est protéger nos libertés.
De la même manière, en affirmant notre solidarité avec les femmes opprimées en Iran et en Afghanistan, nous protégeons la liberté des femmes ici en France et en Europe. Si nous scandons « Femmes, Vie, Liberté ! », c’est parce que la liberté des femmes là-bas conditionne la liberté de toutes et tous, ici.
Un monde meilleur, c’est un monde où l’on se souvient qu’il n’y a pas de fatalité à la guerre. Le Moyen-Orient tôt ou tard, trouvera le chemin de la paix.
Un jour prochain, nous l’espérons, les 101 otages toujours retenus à Gaza, rentreront chez eux. Parmi eux, deux de nos compatriotes : Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi. Autour des « Mères de l’Espoir », nous continuerons à appeler tous les vendredis à leur libération sans conditions.
Jamais, le Hamas et le Hezbollah, et avec eux la République islamique d’Iran, ne viendront à bout de notre aspiration à la paix. Jamais ils ne nous feront renoncer à notre humanité qui nous fait déplorer tous les morts civils, quel que soit leur camp.
Ces valeurs, ce sont précisément celles qui sont en partage dans le dialogue entre la France et Israël, deux démocraties amies, dans le combat qui les unit face au terrorisme. Ces valeurs partagées sont plus fortes, j’en suis certain, que les discordes passagères.
Mesdames, messieurs,
Puisque cette convention était aussi un temps de culture, puisque nous avons évoqué Stefan Zweig, Boualem Sansal, Émile Zola et Marc Bloch je souhaite conclure en me référant aux mots d’un homme dont le combat incarne le refus de la fatalité et la quête de liberté : Kamel Daoud.
Rarement la remise d’un prix littéraire m’a rendu aussi fier de mon pays.
Dans son combat contre le fanatisme, Kamel Daoud écrivait :
« Tous les intégrismes, qu’ils soient religieux ou politiques, commencent par un livre. Ils prendront fin lorsqu’on écrira beaucoup plus de livres ».
Chers amis,
De ces livres précieux qui ouvrent l’esprit et élargissent l’horizon, chacun de nous a la responsabilité d’écrire une page nouvelle, juste, sincère, et de la mettre en partage.
Alors, à nous tous de prendre la plume pour écrire, inventer, et vivre la France et le monde d’après.
Je vous remercie. »
Yonathan Arfi, Président du Crif