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Publié le 28 Février 2022

Dîner du Crif - Le discours de Francis Kalifat au 36ème dîner du Crif

Jeudi 24 février 2022 s'est tenu le 36ème Dîner du Crif en présence du Premier ministre Jean Castex, représentant le Président de la République. Francis Kalifat, Président du Crif, a prononcé un discours fort en engagé. (Re)découvrez-le.

Discours de Francis Kalifat au 36ème dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France

"Monsieur le Premier Ministre,

Ce dîner a lieu en temps de guerre sur notre continent. A l’heure où nous parlons, le Président de la République est à Bruxelles pour une réunion d’urgence du Conseil européen.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous renvoie à des temps que nous voulions croire révolus. Comme vous tous, je suis inquiet et je pense aux victimes de ce conflit inédit. Je veux dire ce soir notre soutien au peuple Ukrainien agressé.
Ce dîner est traditionnellement un temps d’échanges avec les plus hautes autorités de l’Etat sur les sujets qui préoccupent les Français juifs. Le discours que j’ai préparé parle beaucoup de l’antisémitisme. Il pourra sembler décalé à certains en ces temps de guerre.
Je vais m’adresser à vous en ayant à l’esprit la situation en Ukraine et j’ai l’intime conviction que si l’on néglige l’antisémitisme, on affaiblit la démocratie.

Monsieur le Premier Ministre,
Madame Brigitte Macron,
Monsieur le Président du Conseil Economique, Social et Environnemental
Monsieur l’ancien Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres et Secrétaires d’Etat,
Monsieur le Président du Congrès Européen,
Madame la maire de Paris,
Madame la Présidente de la Région Ile de France,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Grand Rabbin de France
Mesdames et Messieurs les Représentants des cultes, des Médias et de la société civile,
Monsieur le Président du Consistoire central et Mesdames et Messieurs les Présidents de fondations d’institutions et d’associations,
Messieurs les anciens présidents du Crif, cher Henri Hajdenberg, cher Richard Prasquier, et cher Roger Cukierman.
Mesdames et messieurs chers amis,

Je pense ce soir, à deux hommes d’exception. Deux hommes dont l’existence fut au sens propre extraordinaire, jalonnée d'événements hors norme et en prise avec l’histoire la plus douloureuse du peuple juif, la Shoah.
Ancien président du Crif, et de l’Alliance Israélite Universelle, professeur agrégé de médecine et membre de l’Académie nationale de médecine, Ady STEG a toujours su concilier ses engagements juifs, citoyens, et républicain.
Il nous a quittés le 11 avril 2021, laissant la communauté Juive de France orpheline de l’un de ses derniers grands bâtisseurs de l’après-guerre. 
Investi dès les années 80 à l’Amicale d’Auschwitz, infatigable combattant de la mémoire, Raphaël Esrail, président de l’Union des Déportés d’Auschwitz nous a quittés le 22 janvier dernier à l’âge de 96 ans. Jusqu’au bout, il a porté avec force la parole des victimes de la barbarie nazie. Le Prix du Crif- Pierrot Kaufman que nous remettrons un peu plus tard à l’Union des Déportés d’Auschwitz sera l’occasion d’évoquer plus longuement son souvenir.
En mémoire d’Ady STEG et de Raphaël ESRAIL je vous demande de vous lever et d’observer une minute de silence.

Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et messieurs,
Je suis heureux et honoré de vous accueillir au 36ème dîner du Crif et de renouer avec un rituel républicain dont la pandémie de Covid-19 nous a privé depuis deux ans.
Revenons quelques semaines en arrière. Avant même la guerre en Ukraine, le tableau général du monde était bien sombre.
En France, des pans entiers de la population sont aujourd’hui dans la défiance, le complotisme ou la colère.
Notre nation prend la forme d’un archipel dont plusieurs composantes sont des terres fertiles pour la haine et la violence.
Violence contre des femmes avec 215 féminicides en 2020 et 2021.
Contre des pompiers qui sont caillassés lorsqu’ils viennent secourir.
Contre des policiers qui sont attaqués lorsqu’ils viennent protéger.
Contre des Juifs car notre pays a de plus en plus besoin de boucs émissaires.
En 2021, le Ministère de l’Intérieur et le SPCJ ont recensé 589 actes et menaces antisémites, en hausse de 75% par rapport à 2020.
73% de la totalité des actes antireligieux visent des Juifs.
Voilà la réalité que vit moins de 1% de la population de notre pays.

Derrière ces chiffres, il y a des histoires d’agressions et de traumas, de vies inquiètes et retranchées, d’exodes vers des quartiers moins sensibles, de peurs pour ses enfants ou pour ses grands-parents.
L’antisémitisme ne se limite plus aux quartiers dits sensibles. Cela fait hélas bien longtemps qu’il frappe n’importe où, sans crier gare.
Comme à Strasbourg en 2021, lorsqu’un livreur algérien refuse de prendre les commandes d’un restaurant casher parce que, dit-il, « il ne livre pas les Juifs ».
Ou à Perros-Guirec, où la stèle à la mémoire de Simone Veil est dégradée quatre fois en quinze jours.
Ou encore à Champcueil dans l’Essonne, quand deux adolescents de 14 ans frappent un enfant de 11 ans, dans la cour du collège, en lui criant « sale juif, on va te gazer ».
Aucune institution n’est préservée.
Pas même la compagnie CRS 1 dont un membre a trouvé des croix gammées et « sale juif » gravés sur son casier.
Ni même l’Assemblée Nationale, où la Députée Yaël Braun-Pivet, traitée dans un mail de « youpine » et de « mal absolu », est menacée d’un funeste « bientôt les camps ».
Il faut aller sur Internet et les réseaux sociaux pour prendre la pleine mesure de l’antisémitisme dans notre pays. Des centaines de milliers de contenus antisémites y sont postés chaque année.
Deux études menées en France, l’une de IPSOS pour le CRIF, l’autre d’un think tank pour la Commission européenne, ont identifié, avec deux méthodes différentes, deux corpus de plus de 50.000 contenus antisémites sur l’année 2020.
Des contenus partagés, likés, retweetés ou commentés des millions de fois
Un mélange écœurant de stéréotypes complotistes, d’insultes à caractère sexuel, de haine des Juifs et d’Israël, de déni de la Shoah et d’amalgames avec le nazisme.
Un condensé toxique d’islam radical, d’extrême-droite et d’extrême-gauche, mais aussi des peurs, des frustrations et des colères de toute la société française.
On s’y attaque aux Juifs, coupables de tous les maux et qui tirent les ficelles.
Et c’est seulement la pointe émergée de l’iceberg, soulignent les deux études.
La crise sanitaire avait besoin d’un coupable et d’un bouc émissaire. Elle a aggravé notre situation.
Les Juifs auraient fabriqué le virus et les vaccins pour gagner plus d’argent et pour détruire les Français.
Ils sont vus comme des intouchables qu’il est interdit de nommer. Une question est devenue un cri de ralliement : « mais qui ? ».
Oui, qui tire les ficelles ? Qui veut nous faire disparaître ?
Dans une analogie malsaine et pernicieuse, certains manifestent contre ce qu’ils nomment le pass « nazitaire », en arborant l’étoile jaune.
Les obsessions antijuives se déversent désormais dans l’espace public à visage découvert.
Quand ce n’est pas le Juif qui incarne le mal, c’est souvent Israël.
Vous vous souvenez peut-être de l’élection de Miss France en décembre 2020. Il a suffi qu’une candidate indique l’origine italo-israélienne de son père pour que dans un réflexe pavlovien, grégaire et antisémite, Twitter s’enflamme et soit submergé d’un torrent de haine.
Houria Bouteldja, co-fondatrice du Parti des Indigènes de la République, a alors écrit, je cite : « on ne peut pas être israélien innocemment ». Elle n’est pas la seule en France à être obsédée par Israël.
Pour certains militants antisionistes, qu’ils soient d’extrême-gauche ou musulmans, Israël est un État illégitime et raciste, donc un État coupable qu’il faut absolument détruire.
Je combats résolument cette vision d’Israël.
Et si je pense qu’Israël est un État singulier, c’est pour des raisons radicalement opposées.
Commençons par une évidence : Israël est le seul Etat juif.
Certains vont ici crier au racisme, mais étonnamment, ils ne trouvent rien à redire au fait que de nombreux pays aient l’islam ou le christianisme comme religion d’Etat.
Les autres raisons sont moins enviables.
Israël est le seul État dont la population civile fut la cible de près de 4.400 roquettes et missiles en moins de dix jours en 2021.
Et lorsqu’il se défend, Israël est le seul État qui suscite des réactions automatiques d’appels à manifester.
En Allemagne, sans surprise, ces manifestations furent le théâtre de slogans antijuifs.
En France elles ont été interdites.
Merci monsieur le Ministre de l’Intérieur.
Mais où sont les manifestations contre la Chine ou la Birmanie ? Pour défendre les Ouïghours ou les Rohingyas ? Pour les peuples de Syrie, du Yémen, d’Afghanistan ou d’Iran ?

Que dire de l’Assemblée Générale des Nations Unies ou de son Conseil des Droits de l’Homme ou Israël est discriminé comme un État paria.
Et que dire d’Amnesty International qui diabolise Israël en le qualifiant d’apartheid ?
Non, Israël n’est pas un Etat d’apartheid ! Comme la France, Israël est une démocratie dont tous les citoyens, quelle que soit leur origine ou religion, sont égaux en droits.

Monsieur le Premier Ministre, à la différence de l’Allemagne, du Royaume Uni ou des Etats-Unis, pourquoi la France n’a-t-elle pas rejeté les conclusions biaisées, outrancières et diffamatoires du rapport d’Amnesty International.
Dans un autre registre, Israël est le seul Etat qui ne pourrait pas choisir sa capitale.
Monsieur le Premier Ministre, au moment où la France préside le Conseil de l’Union Européenne, n’est-il pas temps qu’elle reconnaisse Jérusalem comme capitale d’Israël, montrant ainsi la voie à l’ensemble des pays européens ?
Enfin, Israël est le seul État dont la disparition est au programme d’un autre Etat, l’Iran, qui pour se donner les moyens de cette funeste ambition cherche à tout prix à se doter de l’arme nucléaire. Tout doit être fait pour l’en empêcher.
Plus près de nous, trois associations actives en France ont aussi pour objectif la disparition d’Israël : BDS, le collectif Palestine vaincra et le Comité Action Palestine.
La volonté de faire disparaître Israël n’a rien à voir avec la critique de la politique israélienne. C’est un appel antisémite à la haine et à la violence.
Monsieur le ministre de l’Intérieur, vous avez annoncé cet après-midi le déclenchement de la procédure de dissolution de ces deux collectifs.
Je veux ce soir vous en remercier.
Face à cela, la plus cinglante des réponses est venue des Accords d’Abraham. De nouveaux horizons s’ouvrent au Proche-Orient, porteurs d’un nouvel avenir pour les peuples Marocain, Émirati, Soudanais, Bahreïnien et Israélien.
Je salue chaleureusement leurs Ambassadeurs présents ou représentés.
Revenons aux obsessions antisémites en France. J’ai évoqué plusieurs fois l’extrême droite et l’extrême gauche. L’antisémitisme y est plus présent que dans les autres courants politiques.
Qu’en pensent leurs leaders ? Luttent-ils contre l’antisémitisme ? Pas vraiment !
Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour multiplient les polémiques sur le dos des Juifs. Pour l’un, les Juifs ne sont pas assez universalistes. Pour l’autre, ils ne sont pas assez français.
Les deux ont en commun une grande propension à réécrire l’Histoire, surtout celle des Juifs. Pour l’un, c’est le complot juif. Pour l’autre, c’est Pétain, sauveur de Juifs.
Quant à Marine Le Pen, ses tentatives de dédiabolisation ne trompent personne : le Rassemblement national s’accommode toujours des préjugés antisémites dans ses rangs.
Aux prochaines élections, j’appelle à faire barrage à tous les candidats d’extrême-gauche et d’extrême-droite.
Heureusement, l’échiquier politique ne se réduit pas aux extrêmes dans notre pays.
Le Président de la République, comme ses prédécesseurs, est engagé dans la lutte contre l’antisémitisme.
Il a eu des paroles très fortes le 26 janvier, lors de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah.
Et vous, Monsieur le Premier Ministre, que j’ai eu l’honneur d’accompagner à Auschwitz, vous avez, vous aussi, trouvé les mots justes, aux côtés des derniers survivants.
Les gouvernements successifs, l’administration, de nombreux élus locaux et de nombreux acteurs de la société civile sont, depuis longtemps, sur la même ligne.
A toutes celles et tous ceux qui se mobilisent contre l’antisémitisme, je tiens, ce soir, à dire notre reconnaissance.
Je suis reconnaissant, mais permettez-moi de nuancer mon propos car je ressens un malaise autour du combat contre l’antisémitisme. Je souhaite maintenant m’en ouvrir à vous.
L’Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté la définition de l’antisémitisme qui fait référence au niveau international et qui est aujourd’hui le socle de la Commission européenne dans sa stratégie contre l’antisémitisme. Cette définition élaborée par l’IHRA décrit toutes les formes actuelles d’antisémitisme, y compris la haine d’Israël.
Pourtant, peu de choses ont véritablement changé depuis ces votes. S’agirait-il seulement de belles déclarations, sans conséquence, ni lendemain ?

Lorsque la France s’est félicitée d’accueillir,certes pour raisons humanitaires, Ramy Shaath, l’un des fondateurs de BDS, pourquoi n’a-t-elle pas, en même temps, rappelé que le boycott d’Israël, prôné par BDS, est illégal dans notre pays ?
Et que dire de la résolution sur Jérusalem présentée fin 2021 à l’Assemblée Générale des Nations Unies, une résolution négationniste effaçant le Mont du Temple et parlant seulement de l’Esplanade des Mosquées ?
A la différence de l’Allemagne, des Pays-Bas et d’autres Etats-membres, pourquoi la France a-t-elle choisi de voter cette résolution, s’associant ainsi à ceux qui manipulent l’Histoire ?
Ma dernière interrogation porte sur la stratégie de la France contre l’antisémitisme.
La Commission européenne a construit une stratégie spécifique de lutte contre l’antisémitisme. Elle y encourage chaque Etat-membre à adopter une stratégie nationale sur ce sujet d’ici fin 2022.
Alors que la France est le pays comptant le plus grand nombre de Juifs en Europe et qu’elle exerce la présidence du Conseil de l’Union, pourquoi refuse-t-elle une stratégie spécifique contre l’antisémitisme ?
Pourquoi vouloir diluer la lutte contre l’antisémitisme dans une stratégie plus globale et moins efficace de lutte contre tous les racismes et toutes les haines ?

Toutes ces questions me donnent le sentiment très désagréable que les victimes de l’antisémitisme ne sont pas des victimes légitimes, des victimes à part entière.
L’approche globale ne fonctionne pas. Chacun peut constater l’inquiétante progression des racismes et des haines dans notre pays. Mais alors, pourquoi persévérer ?
Certains invoquent l’universalisme. Je pense qu’ils se trompent.
Être universaliste, c’est être lucide sur tous les fléaux qui abîment la France : le sexisme, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la xénophobie, la haine des Musulmans, et je ne suis pas exhaustif. C’est les combattre en disant haut et fort qu’aucun n’est plus grave, ni plus prioritaire que les autres.
Mais être universaliste, ce n’est pas courir après la chimère d’un remède universel contre toutes les haines.
Ce n’est pas, non plus, s’enfermer dans des idéologies ou des bons sentiments qui refusent de voir que des victimes du racisme peuvent, elles aussi, commettre des actes racistes.

Monsieur le Premier Ministre,
Je vous demande d’acter le passage à une stratégie spécifique et ciblée de lutte contre l’antisémitisme.
Une stratégie qui s’appuiera sur la définition votée par l’Assemblée Nationale et le Sénat et qui ciblera toutes les formes d’antisémitisme, y compris la haine d’Israël.
Une stratégie qui inscrira et qui déploiera cette définition dans les politiques publiques sur quatre grands sujets : la sécurité, la justice, l’éducation et la régulation d’Internet.
Ces quatre sujets sont au cœur des missions de l’Etat et des attentes de tous les Français.
S’agissant de la sécurité, je veux rappeler que la police et la gendarmerie ont déjoué ces deux dernières années plusieurs projets attentats préparés par des islamistes et par des complotistes d’extrême-droite. Certains d’entre eux visaient des synagogues.
Ce soir, je veux dire ma reconnaissance aux policiers, aux gendarmes et aux militaires qui assurent la sécurité publique et notamment la sécurité des lieux juifs.
Je serai un peu plus long sur la justice.
Nous vivons le procès des attentats du 13 novembre 2015 et celui de l’assassinat du père Hamel.
Ils viennent après deux autres procès majeurs : le procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher et le procès des meurtriers de Mireille Knoll.
Mais il y a les procès que nous attendons toujours : ceux des attentats de la rue des Rosiers et de la rue Copernic.
Et il y a le procès dont l’absence ne passe pas et fait mal, très mal : le procès de l’assassin de Sarah Halimi.
Le député Meyer Habib n’a pas ménagé ses efforts dans le cadre de la Commission d’enquête parlementaire qu’il a présidé sur cette faillite judiciaire. Je veux qu’il en soit ce soir remercié.
Je resterai, quant à moi, marqué à jamais par mes entretiens avec le fils et le frère de Sarah Halimi, par nos déceptions et nos colères à chaque péripétie du dossier, par cette plaie condamnée à rester béante,
Parce que la justice a refusé de passer et de cicatriser,
Parce que, n’étant pas fou, l’assassin sortira bientôt de l’hôpital.
Au-delà de l’affaire Sarah Halimi, la justice ne va pas bien dans notre pays.
La France a besoin de plus de juges et de plus de greffiers et, contre le racisme et l’antisémitisme, elle a besoin de jugements qui dissuadent. Trop d’auteurs d’actes antisémites sont des multirécidivistes.
Les juges ont une responsabilité dans la lutte contre l’antisémitisme.
Il est urgent d’en finir avec les rappels à la loi, les peines symboliques et les peines non appliquées.
J’en appelle solennellement ce soir au sens des responsabilités des magistrats pour que l’antisémitisme soit sanctionné de manière systématique et dissuasive.
Comme chacun d’entre vous, j’ai été effrayé par la décapitation de Samuel Paty.
Le Ministère de l’Education prend à bras le corps tous les sujets liés à la laïcité, mais c’est récent et l’on part de très loin.
Plusieurs études et témoignages décrivent l’autocensure des enseignants, les hommages perturbés ou la pression du religieux à l’école.
Je vous invite, par exemple, à lire l’étude menée par l’IFOP pour la LICRA auprès de lycéens en janvier 2021. Ses résultats nous interpellent sur le futur de la France.
J’en citerai un seul que je trouve glaçant.
13% des lycéens ne condamnent pas totalement l’assassinat de Samuel Paty. Ce chiffre atteint 25% chez les lycéens musulmans.
Chacun devine que la tâche est gigantesque et qu’il y a urgence, mais comment avancer lorsque même des manuels scolaires dérapent ?
Je vais citer un manuel d’histoire de l’éditeur Magnard, pour les élèves de terminale, à propos d’Israël:
« David Ben Gourion proclame la naissance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948. Cette décision est à l’origine de cinq guerres israélo-arabes ».
Ce mensonge historique fait d’Israël un État coupable à sa naissance.
Comment lutter contre l’antisémitisme s’il est légitimé dans des manuels d’histoire ?
Le dernier grand sujet est la régulation d’Internet. Ici encore, il y a urgence.
Je suis heureux que la France ait enfin fixé des obligations plus strictes aux réseaux sociaux et que l’Union Européenne avance, elle aussi, dans cette voie.
Le temps de l’impunité est-il révolu pour tous ceux qui postent ou partagent des contenus haineux ? Je le souhaite, mais le diable est dans les détails et la désinvolture de Twitter n’incite pas à l’optimisme.
J’ai néanmoins une certitude : il est temps que la France et l’Europe fixent une obligation de résultat à Facebook, Twitter et consorts et qu’elles les sanctionnent pour les contenus haineux qui passeraient entre les mailles de leurs filets.

Monsieur le Premier Ministre,
Je viens d’évoquer Samuel Paty qui est mort pour avoir enseigné la liberté d’expression.
Je souhaite évoquer Mila, cette jeune femme qui a reçu près de 30 000 menaces sur les réseaux sociaux et qui vit désormais retranchée du monde, parce qu’elle a fait usage de la liberté d’expression.
Et je souhaite évoquer Ophélie Meunier et Amine Elhabi, tous deux menacés de mort pour avoir fait usage de la liberté d’informer.
Face à ces drames, face à l’antisémitisme et à de nombreux problèmes, notre société pratique trop souvent, au choix, l’indignation, la polémique, le relativisme ou le dialogue de sourds.
Il est urgent d’aller au-delà des mots et de passer à l’action.
C’est un 24 février que Lamartine proclama la Deuxième République, celle qui instaura notamment le suffrage universel.
Dans quelques semaines nous pourrons tous exercer notre droit de, mais je suis inquiet car la démocratie ne va pas bien dans le monde et dans notre pays.
Des forces hostiles rêvent de lui porter un coup fatal.
Certaines sont à l’œuvre en Russie et dans plusieurs pays autocratiques qui miment régulièrement des élections aux résultats connus d’avance.
Ces forces hostiles qui abusent tant de nos compatriotes en colère ou dans la misère, ce sont les mêmes, à l’extrême-droite, à l’extrême-gauche et dans l’islam radical, qui ont besoin de boucs émissaires. Ils commencent par les Juifs, mais ne s’arrêtent jamais aux Juifs.
Le Président de la République a déclaré le 26 janvier que « le combat contre l’antisémitisme [était] essentiel à la civilisation européenne […] et à la France comme Nation et comme République ».
Monsieur le Premier Ministre Mesdames et Messieurs,
À titre plus personnel, il s’agit du dernier dîner où je m’adresse à vous depuis cette tribune car mon second mandat arrive à son terme en juillet prochain.
Je tiens à vous dire avec émotion et gravité que le combat contre l’antisémitisme a été le fil conducteur et ma priorité à la tête du Crif. Ce combat est vital pour nous, Français juifs, mais il est aussi vital pour tous les Français qui veulent un pays de libertés, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Car ce qui est en jeu dans l’antisémitisme, ce sont des sujets existentiels pour tous les Français qui, comme moi, aiment leur pays, ses valeurs et la démocratie.
Quels que soient nos choix électoraux, il est urgent que nous ayons, tous ensemble, une obligation de résultat.
La situation l’exige et l’efficacité le commande.
J’ai confiance en mon pays et, même si nous allons vers des jours terribles, je sais que nous réussirons parce que c’est notre seule option.

Vive la République, Vive la France !"