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Le témoignage d'Arlette Testyler à la cérémonie nationale d'hommage
"Je me nomme Arlette Testyler.
Je suis née Arlette Reiman, à Paris, de nationalité française. Mes parents étaient des émigrés de Pologne, amoureux de la France. Mariés à Paris. Mon père disait que la France de Zola de Rousseau de Voltaire était le pays des droits de l’homme et un pays tranquille pour les juifs.
En 1939, mon père s’engage volontaire pour défendre la France au sein du 21e bataillon à Barcarès.
1940 : C’est l’époque de l’occupation, de la spoliation, du statut des juifs et de la collaboration.
1941 : Arrestation par la police française de mon pèrelors de la rafle dite du Billet vert, à destination du camp de Pithiviers (baraque huit).
1942 : Déportation de mon père, par le convoi numéro 4, à destination sans retour du camp d'Auschwitz-Birkenau.
Le 16 juillet 1942, à 6h du matin, j’ai huit ans et demi. Commence alors l’opération vent printanier.
Des coups sont frappés à la porte, je vois la scène comme si c’était hier, maman demande "qui est là ?". C’est la police. Deux policiers français en pèlerine tenaient une fiche à la main "On vient arrêter votre mari". Maman répond, "il a déjà été arrêté et emmené vers une destination inconnue".
C’était les seules informations que nous avions reçues.
Alors les policiers répondent : "C’est vous et vos enfants Madeleine et Arlette que nous arrêtons", Ni nos larmes, ni nos supplications ne les atteignent. Ma mère a réagi violemment, elle a résisté de toutes ses forces, elle a jeté sur les policiers des bibelots, des vases et des tabourets.
Les policiers continuent "dépêchez-vous prenez quelques affaires et des provisions".
Mais quelles provisions ? Alors que les tickets d’alimentation suffisaient à peine à nous nourrir.
Nous ne pouvions faire autrement qu’obéir. Maman a mis quelques vêtements dans une petite valise. Les policiers ont pris les clés de l’appartement, et nous sommes descendues comme des voleuses.
Oui cette arrestation avec les pleurs des femmes, les cris des enfants est un cauchemar.
Dans la rue les autobus stationnent sur toute la longueur de la rue du temple. Des policiers partout, le temps est lourd et une toute petite pluie fine tombe par moment comme si le ciel pleurait avec nous.
Nous nous entassons avec toutes les familles de l’immeuble. Tous sont désorientés, déboussolés. Les autobus ont démarré et nous nous sommes retrouvés devant un bâtiment fait d’une structure métallique le Vélodrome d’hiver que je ne connaissais pas. Des policiers français partout en uniforme, pas un seul allemand.
Et ce fut le début d’un autre cauchemar.
Nous nous sommes installés avec les voisins de l’immeuble sur des gradins en béton occupé déjà par d’autres familles, des malades, des femmes enceintes, des grabataires, des estropiés, des enfants, des bébés...
Les autobus déversaient comme de la marchandise cette foule de pauvres gens qui arrivaient de partout jour et nuit.
Sous la verrière Peinte en bleu des haut-parleurs hurlaient des noms de famille et d’enfants pour les regrouper.
Nous nous étions réunis avec les 4 familles de notre immeuble dont les enfants Serge, Lazare et Régine 3 ans, une petite blonde yeux bleus qui ne reviendront pas, ni son frère ni sa maman ni les 4 familles de notre immeuble. J’ai une envie de faire pipi il faut enjamber les gradins monter au niveau supérieur.
Et là des odeurs horribles m’envahissent que je sens encore à présent lorsque je vous parle. Le film se déroule dans ma tête. Je vois des excréments partout, avec du sang, les gens se cachent pudiquement derrière un vêtement pour se soulager le long du mur.
Les WC sont fermés par manque d’eau, mais il y a beaucoup de sang, ce sang me fait très peur. Je me mets à hurler "ils vont tuer tout le monde".
Je fais pipi dans ma culotte en rejoignant maman qui me calme et me donne quelques vagues explications, mais à 8 ans et demi on ne sait pas que la venue de ce sang fera de vous plus tard une jeune femme.
L’eau se fera rare ainsi que la nourriture.
Il n’est pas bon d’être malade, la chaleur devient suffocante, les enfants courent sur la piste cyclable.
J’ai aussi vu une personne se jeter du haut des gradins, un suicide, les gens se mutilaient dans l’espoir de se faire rapatrier vers les hôpitaux.
C’était dantesque. Combien de jours sommes-nous restés dans ce Vélodrome d’hiver ? J’ai perdu la notion du temps.
Notre nom est appelé au micro, nous revoilà dans ces horribles autobus direction la Gare d’Austerlitz que je déteste jusqu’à ce jour, trop d’angoisse est liée à cette gare. Il fait très chaud, les quais sont chauffés à blanc par le soleil, la gare est vide de passagers, seuls des wagons à bestiaux stationnent. Ils sont pour nous. Pas de fenêtres. Comment respirer lorsque les seules ouvertures grillagées sont à la hauteur des naseaux des chevaux !
Moi je suis toute petite maman demande que des adultes prennent un enfant dans les bras, le soulève pour qu’il puisse respirer.
Ma mère, courageuse, écrit un petit mot sur un bout de papier destiné à un voisin non Juif pour lui expliquer que nous avons été arrêtés arbitrairement, que ses enfants sont français. Elle roule le tout comme une cigarette, elle y ajoute un petit billet et le noue avec quelques-uns de mes cheveux.
Elle a jeté ce petit mot sur la voie ferrée.
Plus tard nous avons appris que ce petit mot est arrivé à destination.
Nous sommes arrivés dans le camp de Beaune-la-Rolande.
Après bien des péripéties, Maman a réussi à nous faire sortir de ce camp. Elle a trouvé une famille d’accueil toute simple, Jean et Jeanne Philipaux, qui au péril de leur vie, nous ont sauvé nous et d’autres enfants juifs.
Juste parmi les nations, nous leur devons la vie.
Oui, je suis née à Paris mais en réalité je suis né à Vendôme près des châteaux de la Loire dans cette France que mes parents avaient aimé qu’ils avaient choisi et moi que j’aime jusqu’à ce jour.
Chaque année, je me sens coupable d’être sortie vivante de cette enfer à 8 ans.
Chaque année, je pleure Serge Lazard Régine et tous les autres petits qui sont partis en fumée parce que nés Juif. Et je m’indigne.
Rien ne s’efface rien ne doit s’oublier, l’oubli fait partie intrinsèque de la mémoire.
Ce souvenir c’est faire acte de respect de sagesse envers l’histoire, Il faut absolument maintenir vivante la mémoire du génocide et du nazisme.
La vigilance ne doit pas être un vain mot.
Parce que l’oubli serait une ouverture aux révisionnistes aux négationnistes.
Arlette Testyler née Reiman
Dans le cadre des 80 ans de la rafle du Vel d'Hiv et de l'année 1942, les portraits photographiques de 42 survivants de la Shoah français sont exposés sur les grilles du Jardin du Luxembourg, à Paris.
Parmi eux, celui d'Arlette Testyler. Voici sa photo et son témoignage : Lest We Forget - Arlette Testyler