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Publié le 11 Mars 2021

Crif - Deux visages effrayants de la barbarie terroriste

Neuf années séparent plusieurs attentats commis par Al Qaïda. Le terrorisme frappe à Madrid et à Toulouse, frénétiquement, provoquant le chaos. Le terrorisme islamiste menace le monde. Récits.

Par Marc Knobel

11 mars 2004, les attentats de Madrid

Le 11 mars 2004 aurait pu être un jour comme un autre. Les passagers se pressaient pour prendre des trains de banlieue, en pleine heure de pointe, s'agglutinent dans les wagons, parlant, se reposant ou lisant tranquillement. Les trains se dirigeaient vers la gare d’Atocha, en plein centre de Madrid. Un jour comme un autre, avec son cortège de banlieusards, sauf que, soudainement… entre 7 h 37 et 7 h 39 heure locale, dix bombes explosent presque simultanément dans les gares d’Atocha, Santa Eugenia, El Pozo ainsi que dans un train, près d’Atocha.

Nous nous souvenons de ces images, de ces reportages terribles, de l’effroi, la sidération, l’horreur absolue, les taules déformées ou éventrées des trains. Les sauveteurs qui courent, déblaient les taules, les victimes allongées à même les rails, sur la voie, les hurlements des blessés. Combien de morts ? 20 ? 50 ? 90 ? Non. 191 personnes ont été assassinées, plus de 1500 personnes ont été blessées.

Dans un premier temps, le gouvernement conservateur espagnol de Maria José Aznar pointe du doigt la responsabilité de l’organisation séparatiste basque ETA. C’était sûr, ce ne pouvait être que l’ETA. Sauf que, le soir même, à la grande surprise du gouvernement, une branche d’Al Qaïda revendique l’attentat. Le communiqué exige que Aznar retire les forces espagnoles de l’intervention militaire en Irak, dont Asnar était un fidèle partisan.

Al Qaïda avait utilisé là un mode opératoire inouï : dissimuler des bombes dans des gares ou des trains, au milieu des voyageurs. Le carnage était assuré, la médiatisation était assurée, la terreur se déplaçait et frappait monsieur et madame tout le monde. Dès lors et dans le monde entier, qui pouvait prétendre être en sécurité dans une gare ou un train ? 

Trois semaines après cet attentat qui avait plongé l’Espagne dans le chaos, les forces de l’ordre encerclaient un immeuble. Sept terroristes présumés étaient retranchés dans un appartement. Les policiers mènent l’assaut. Mais, les terroristes se suicident à l’explosif.

11 mars 2012 et les jours qui suivent, à Toulouse

Le 11 mars 2012, dans le quartier tranquille de Montaudran, à Toulouse, le maréchal des logis-chef Imad Ibn Ziaten, 30 ans, gare sa moto sur une esplanade. Il est en civil.  Quelques jours auparavant, il avait mis sa moto en vente sur un site Internet, une Suzuki 650 cm3. Sans doute avait-il rendez-vous avec un acheteur potentiel ? Justement, un homme arrive en scooter et s’arrête à sa hauteur. Bizarrement, il garde la visière de son casque rabattue. Subitement, froidement, méthodiquement, sortant une arme à feu de sa poche, il tire, quasiment à bout portant, ne laissant au militaire aucune chance de s’échapper et même de comprendre ce qui se passe. Le jeune Imad Ibn-Ziaten est abattu froidement par cet inconnu. La balle a traversé la pommette gauche, jusqu’à l’aplomb de l’œil.

Quelques jours plus tard, le jeudi 15 mars, à Toulouse encore, le soldat de première classe Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad, 24 ans, retire de l’argent dans un distributeur. Il est accompagné par deux camarades. Un homme à scooter, casqué et vêtu de noir ralentit, s’approche des militaires par derrière et ouvre le feu. Il abat Mohamed Legouad et son ami Abel Chennouf. Quant à Loïc Liber, il est touché à la moelle épinière.

C’est encore à Toulouse, dans le quartier Jolimont, que le lundi 19 mars, peu avant 8 h 30 du matin, à l’heure où les élèves de l’école Ozar Hatorah s’apprêtent à entrer en cours, que l’homme casqué gare son scooter. Il s’avance d’un pas tranquille, sort une arme et ouvre le feu sur un groupe de personnes massées devant l’établissement. Un professeur de religion du collège, Jonathan Sandler, 30 ans, est atteint au ventre. Il s’écroule au pied de son fils Arieh, 5 ans, mortellement touché lui aussi. Le tueur fait quelques pas dans la cour, ouvre le feu à nouveau. La fille du directeur de l’école, Myriam Monsonego, 7 ans, tente de s’échapper. Elle ne fait que quelques foulées, avant d’être atteinte d’une balle dans le dos. Le tueur tire alors sur le petit Gabriel Sandler, 4 ans. Puis, il revient vers Myriam, l’empoigne férocement par les cheveux et l’achève d’une balle dans la tête, avant de prendre la fuite sur son deux-roues.

Le 8 juillet 2012, vers 18 h 30, le présentateur de l’émission Sept à huit, sur TF1, annonce que vont être diffusés à l’antenne les enregistrements du terroriste, pris juste avant sa mort, alors que le Raid assiège son appartement. C’est la première fois que l’on entend la voix du terroriste, une voix calme, assurée, déterminée. La stupéfaction le dispute à l’horreur et à la colère face à l’irresponsabilité de la chaîne. Aussitôt, le parquet de Paris lance une enquête préliminaire pour violation du secret de l’instruction. « À ce rythme, ce sont les vidéos des tueries qui se retrouveront sur la Toile et l’atteinte sera alors irrémédiable », s’indigne une avocate des familles, Me Samia Maktouf.

Sur l’enregistrement, le timbre de voix ne laisse rien paraître : aucune émotion, aucun regret, aucune peur, si ce n’est la seule certitude d’avoir accompli sa « mission ». L’homme dit être un agent d’Al-Qaïda. Il affirme avoir été partout pour brouiller les pistes. Mais, ce n’est qu’au Pakistan qu’il a pu entrer en contact avec les terroristes. Là, après une formation, on lui aurait proposé de commettre des attentats en utilisant des bombes. Mais en France, poursuit-il, il est difficile de se procurer certains produits. Il demande alors aux terroristes un entraînement spécifique pour tirer au pistolet. Pour apprendre à tuer méthodiquement, n’importe quelle cible tant qu’il pourra tuer.

De retour en France, le terroriste continue de brouiller les pistes, égarant les agents du renseignement chargés de le surveiller. Puis il passe à l’action. Il frappe, il assassine méthodiquement, froidement, des militaires. Le hasard l'empêche d’atteindre sa prochaine cible. S’il avait pu, il aurait aimé s’attaquer à la synagogue de Bagatelle. Alors il se rabat sur une école juive : « J’ai repris le scooter et je suis passé comme ça, ce n’était pas prémédité, enfin si, je comptais le faire, t’as vu, mais le matin en me réveillant, ce n’était pas mon objectif. » « Au début, les frères [les djihadistes pakistanais] m’ont dit de tuer tout, tout ce qui est civil et mécréant, tout : les gays, les homosexuels, ceux qui s’embrassent publiquement […]. Mais moi, j’avais un message à faire passer […]. J’ai tué des enfants juifs parce que mes petits frères, mes petites sœurs musulmanes se font tuer. Donc moi, je savais qu’en tuant que des militaires, des Juifs, le message passerait mieux. Parce que si j’avais tué des civils, la population française aurait dit que, euh voilà, c’est un fou d’Al-Qaïda, c’est juste un terroriste, il tue des civils. Même si j’ai le droit, mais le message est différent […]. Je tue des Juifs en France parce que ces mêmes Juifs-là… euh tuent des innocents en Palestine. » Il était, dit-il, prêt à commettre de nouveaux carnages. Mais il savait qu’un jour « ça allait être vraiment chaud pour [lui], qu’il y allait avoir des barrages, tout ça » : « J’aurais tout fait au culot, je serais entré dans les commissariats, j’aurais abattu le policier qui est à l’accueil, j’aurais abattu des gens dans la rue, des gendarmes qui circulent en voiture, aux feux rouges, j’aurais mis des guet-apens. »

Le terrorisme islamiste frappe ainsi, mais il peut utiliser des modes opératoires différents. Le mode opératoire est une chose, la barbarie en est une autre. Les terroristes sont animés par les mêmes objectifs : assassiner le plus grand nombre, froidement, méthodiquement. L’étendard d’Al Qaïda ou de Daech et des groupes affiliés portent la même folie, la même hystérie, la même cruauté. Ces gens sont des monstres.