Racisme – antisémitisme : le non-respect de leurs obligations légales par des sociétés étrangères sur le Net

21 Mai 2015 | 1645 vue(s)
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Viralité des messages, impunité des auteurs, Marc Knobel a choisi de faire le constat de la haine sur internet et de la responsabilité des réseaux sociaux.

Dans une page quelconque d’un compte sur Facebook, on proclame: « Arnaque à la Shoah plus de 42 millions de dollars détournés... » Là, une vidéo du négationniste Robert Faurisson y a été déposée. Ailleurs, on peut lire : « Mensonges sur l'extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ». Plus loin, quelqu’un a déposé ceci: « Auschwitz: la surprenante vérité occultée: pourquoi les chambres à gaz sont un mythe ». Une autre page proclame « Vaincre l'oligarchie pour les générations futures », elle s'ouvre sur une vidéo de Faurisson. Quant aux dieudonnistes de Haute-Savoie, ils ont déposé une vidéo négationniste: « La vérité sur les camps de concentration: les preuves! » Ailleurs encore, le « Mouvement Quenellier via Quenellesat », affiche « l'hymne de l'ananas » avec « six millions de vue ». Un peu plus loin encore, une caricature immonde et un champ d'ananas... Que dire également des dénigrements, des insultes, des appels aux meurtres, à la pendaison, à la lapidation… que nous trouvons fréquemment sur Twitter ?

Voilà donc le type de messages que nous pouvons lire ici ou là.

Que faire ?

L’équipe digitale du CRIF -dont les missions consistent (entre autre) à centraliser les informations, former des modérateurs, expertiser des dossiers et adresser des signalements- signale quelques-uns de ces comptes à Facebook. Elle signale également des vidéos déposées sur Youtube, dont les contenus contreviennent aux dispositions pénales en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations.

A leur connaissance, l’équipe porte donc les contenus illicites que Facebook ou Youtube devraient retirer ou en rendre l’accès impossible, conformément à l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, car les liens Facebook ou Twitter incitaient gravement à la provocation publique à la discrimination à la haine ou à la violence, nationale ou religieuse (art. 23, 24 alinéa 6 et 7, art. 42 de la loi du 29 juillet 1881) et constituent également l’infraction d’injure raciale publique (art 23, 29, 33 alinéa 3 et 4, art 42 de la loi du 29 juillet 1881).

Mais voilà.

Quelques jours plus tard, nous recevions une étrange réponse de Facebook : « Les liens, s’ils ont prêté à de nombreuses discussions, n’ont pas été retirés pour diverses raisons ».

Lesquelles ? 

1° Soit parce qu’ils ne sont pas considérés par Facebook comme un discours de haine explicite.

2° Soit parce qu’il s’agirait d’un discours politique ( ?)

3° Soit parce que selon Facebook, ces messages ne seraient pas explicitement négationnistes.

Prenons quelques exemples.

A)    La cellule digitale signale à Facebook, cette caricature antisémite : l’on voit un rabbin se tenant devant l'entrée de Birkenau avec la légende « Chacun son business... ». Qu’un Rabbin, dans une caricature immonde, parle de « business », devant l’entrée de ce camp d’extermination aurait dû alerter le modérateur de Facebook.

B)    Dans un autre signalement, l’équipe digitale du CRIF pointe un compte qui publie une quarantaine de photographies de journalistes prétendument de confession juive, avec la légende « Les faces de pioches à boycotter si on veut éviter d’avoir l’esprit pollué : les jew.rnalistes ! » Dans sa réponse, FB indique : « il n’y a là pas de discours de haine explicite » et « ce n’est pas une attaque contre les Juifs. » Qu’est-ce donc alors que cela ? Un petit jeu virtuel ? Un joujou à sa maman ?!

C)    Autre exemple. Lu sur un compte FB : « Les cerveaux sont les juifs néoconservateurs/trotskistes pharisiens. Ils veulent nous créer "le meilleur des mondes" à leur manière, par la ruse, la trahison et le terrorisme. Il faudrait tous les supprimer pour que le monde respire mieux. Mais c'est écrit dans nos livres et pas en latin ; le jour où ils croiront triompher nous leur règlerons leur compte de façon définitive… » Ce compte est donc signalé par l’équipe digitale du CRIF. Dans sa réponse, FB indique qu’ils ont examiné notre rapport du commentaire de… : « Merci d’avoir pris le temps de signaler quelque chose qui vous semble contraire à nos standards de la communauté. Ces signalements jouent un rôle important pour faire de Facebook un environnement sûr et accueillant. Nous avons examiné le commentaire que vous avez signalé comme contenant une menace de violence crédible et avons déterminé qu’il n’allait pas à l’encontre de nos Standards de la communauté» … l'excuse par excellence de Facebook, lorsqu’ils retoquent un de nos signalements. Le compte n’a donc pas été supprimé. Qu’est-ce donc que cette mascarade et cette grave déficience au niveau de la modération ?

D)    A noter que les commentaires racistes et antisémites font (aussi) l'objet de signalements par la cellule digitale du CRIF à la Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements (PHAROS), qui permet de signaler les comportements illicites sur internet.

Le CRIF rencontre Facebook et Twitter

Dans le cadre des rencontres régulières que la cellule digitale entretient avec les principaux acteurs des réseaux sociaux, nous rencontrons Monika Bickert, Head of Global Policy Management de Facebook. Nous lui exprimons notre incompréhension et notre désarroi. Le dialogue fut courtois, sans pour autant que nous n’obtenions dans un premier temps satisfaction.

Quelques jours plus tard, Monica Bickert répondait à quelques questions dans le Figaro (8 octobre 2014).

Nous lisions ceci :

« De nombreux événements difficiles ont lieu chaque jour dans le monde, et certains de nos utilisateurs veulent y sensibiliser leurs amis. C’est pourquoi nous autorisons le partage des contenus choquants tant que ce n’est pas dans le but de célébrer la violence. Les contenus qui font l’apologie de la violence sont en revanche totalement interdits. » Plus loin : «  D’une façon générale, avec 1,32 milliards de personnes sur Facebook ; nous comptons sur notre communauté pour nous signaler les contenus qui paraissent sensibles. Nous mettons à leur disposition un système de signalement anonyme d’abus. Lorsqu’un utilisateur nous signale un contenu sensible, il est ensuite consulté par une équipe d’employés formés dans ce but. Cette équipe est composée de plusieurs centaines de personnes qui parlent plus d’une vingtaine de langues. Pour la France, par exemple, il existe une équipe d’employés francophones basés à Dublin, en Irlande. Dans le cadre du contrôle des contenus abusifs, nous collaborons aussi avec des associations sur des sujets spécifiques comme la lutte contre la haine raciale, le harcèlement, la lutte contre le suicide, ou encore la pédophilie. »

De la même manière, l’équipe digitale du CRIF a rencontré à plusieurs reprises Patricia Cartes, global head of trust and safety chez Twitter, afin de lui exprimer son mécontentement à cet égard.

Et dans la réalité…

Certes, il existe des équipes employées à ce but, c’est-à-dire, la modération. Cependant, qu’en est-il dans la réalité ?

1° Lors d’une réunion, nous demandions justement à Monika Bickert (Facebook), combien de Français ou de francophones sont employés à cet effet ? Il est quand même pour le moins étonnant que celle qui coordonne toutes les équipes de FB à travers le monde ne soit pas en mesure de nous expliquer combien ils sont, comment ils travaillent (à Dublin et non à Paris). Et, lorsque des collègues de l’équipe digitale du CRIF se sont rendus à Dublin, au siège de Facebook, en mai 2015, ils n’ont obtenu aucune réponse.

De qui se moque-t-on ?

2° Certes, Facebook (ou Twitter) collabore avec différentes associations, mais à quoi sert donc cette collaboration si les contenus signalés et explicités ne sont pas prioritairement pris en compte ?

3° Certes, Facebook (ou Youtube) met à la disposition des internautes un système de signalement anonyme d’abus. Mais à quoi sert-il donc ? Les retours que nous en avons des internautes sont désastreux. Les contenus signalés ne sont pas souvent pris en compte.

Pourquoi ?

4° Pis : les grandes sociétés américaines, comme Facebook, Twitter ou Youtube ne s’estiment pas (trop) tenues par les dispositions de l’article 6. II de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique (dénommée LCEN) imposant aux acteurs de l’Internet de coopérer avec les autorités administratives et judiciaires pour permettre l’identification de personnes ayant contribué à la création de contenus illicites. De fait, dès lors que l’anonymat des internautes est conjugué à l’absence de coopération des prestataires, l’autorité judiciaire est mise en grande difficulté pour obtenir dans les meilleurs délais, les éléments d’identification (adresse IP, etc…) révèle le dernier rapport sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, année 2014.

5° En outre, précise la CNCDH, il est regrettable que bien des entreprises étrangères ne s’estiment pas davantage liées à l’article 6 I. 7 de la LCEN permettant à l’autorité judiciaire de mettre à la charge des hébergeurs ou des fournisseurs d’accès une obligation de surveillance spéciale (ciblée et temporaire) de certains comportements illégaux, étant rappelé que, s’agissant de la répression des infractions relatives aux abus de la liberté d’expression, cers prestataires doivent également informer promptement les autorités publiques de toute activité illicite dont elles ont connaissance e et rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces activités.

6° Au regard de ce qui précède, la CNCDH déplore dans son rapport que, du fait du non-respect de leurs obligations légales par les sociétés étrangères, les pouvoirs publics français sont trop souvent réduits à l’impuissance dans la conduite d’une politique de discours de haine sur Internet. Pour la CNCDH, il est intolérable que l’effectivité d’une loi puisse dépendre des intérêts particuliers de l’industrie, et plus largement, d’intérêts économiques voire politiques.

7° En conséquence, la CNCDH appelle l’Etat à ne pas abdiquer sa souveraineté et recommande de définir le champ d’application territorial de l’article 6 de la LCEN, ses dispositions devant s’appliquer à toute entreprise exerçant une activité économique sur le territoire français

Cependant, contre toute attente, il arrive que Facebook ou Youtube entendent nos remarques et décident in fine de rendre inaccessible les contenus signalés préalablement.  Mais, pour en arriver à ce stade et que des signalements soient enfin pris en compte, nous avons dû engager un (long) et difficile dialogue. Nous comprenons également qu’il faut être on ne peut plus pédagogique pour que les équipes de modération appréhendent ce phénomène dans toute sa complexité.  Si tant est qu’elles puissent et/ou veuillent l’appréhender.

Que penser ?

Après Facebook en février dernier, Twitter a annoncé en avril 2015 qu'il allait sévir contre les tweets incitant au racisme et à la violence et, plus généralement, tous ceux qui franchissent les limites de la liberté d'expression pour propager des discours de haine.

Déclaration de bon principe ? Ou réelle intention ?

Plus grave. Récemment, l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi, également président de la Conférence des imams de France et de l’Union des Peuples pour la Paix (UPP) a souligné à Jérusalem le rôle d’Internet dans la propagation de l’extrémisme islamique aujourd’hui, nommant les « coupables » avec la formule : « J’accuse Google, j’accuse Youtube, j’accuse Twitter et les réseaux sociaux. » (MEMRI, 20 mai 2015).

L’accusation est peut-être exagérée. En ce cas, que FB ou Twitter répondent, preuves à l’appui.

Mais, il ne dépend que des réseaux sociaux de jouer le « jeu »…

 

Marc Knobel