Jean-Pierre Allali
La présence des Juifs au Maroc date de la plus haute antiquité. Au fil des siècles, et selon les maîtres du pays, la situation des Juifs a connu des hauts et des bas. Avec, hélas, parfois, des pogromes dévastateurs et meurtriers. A l'aube de l'indépendance, on compte environ 300 000 Juifs au Maroc et les Juifs du pays n'hésiteront pas à s'associer à la liesse générale quand, en 1956, Mohamed V sera de retour et l'indépendance proclamée.
Pour montrer son attachement aux Juifs le roi nomme l'un d'entre eux, Léon Benzaquen, ministre des PTT et on ne compte pas le nombre de Juifs présents à des niveaux divers dans les ministères et l'administration. Cela n'empêchera pas, malgré l'interdiction d'émigrer proclamée le 13 mai 1956, des dizaines de milliers de Juifs de quitter le Maroc pour Israël, mais aussi pour la France, le Canada ou encore les États-Unis. La guerre du Sinaï, en 1956 puis la visite du président égyptien Nasser au Maroc, en 1961, vont aiguiser le nationalisme arabe au détriment des Juifs. L'émigration clandestine vers Israël se poursuit avec, parfois, des drames comme celui du « Pisces », un bateau chargé d'émigrants qui coule au large d'Al Hoceima. Bilan : 43 morts. À la suite de ce drame, l'émigration sera finalement autorisée.
Si l'on considère que plus d'un demi-million de Juifs d'origine marocaine sont, en 2017, disséminés à travers le monde, notamment en Israël, où ils sont quatre cent mille, en France , au Canada ou encore en Espagne et en Amérique Latine (12), on imagine sans peine qu'ils ont dû être très nombreux dans leur terre natale pendant des siècles.
Le recensement de 1953 compte 300 000 Juifs au Maroc. En 1967, ils sont encore 65 000, mais en juillet, après la Guerre des Six Jours, ils ne sont plus que 40 000. En 1983, on en compte 15 000 et leur nombre chute à 10 000 en 1986 dont la majorité à Casablanca.
De nos jours, et bien que la constitution du Maroc, dans son article 3, ne fasse aucune distinction entre Musulmans et Juifs et établit la liberté de culte pour les religions monothéistes, il n'y a plus qu'environ 3 000 Juifs au Maroc.
C'est à Fès, précisément, que se situe l'intrigue du beau roman de Francine Kahn. Une saga familiale dont l'action se situe entre 1957 et 2014. La famille Assayag vit au Maroc depuis des temps immémoriaux. Né en 1912, Mordechaï, le bijoutier du Mellah et son épouse, Sarah, née Soussan, originaire de Meknès, ont eu cinq enfants, Maurice, Myriam, Ruben, Raphaël et Fortune. La petite Myriam est morte très jeune, en 1944. Les Assayag vivent en bonne intelligence avec leurs voisins arabes, Mohamed et Fatiha et leur fils Ali. Mais, depuis l'indépendance, les choses ont changé. Les incidents antijuifs se multiplient et l'inquiétude s'installe: "Ces derniers mois, après l'indépendance du pays, la population du mellah se méfiait. Jusqu'alors les Juifs avaient vécu tranquillement avec la population musulmane. Aujourd'hui, bien que reconnus comme citoyens marocains, quelle serait maintenant leur destinée? Certains, paniqués, voulaient partir en Israël" Maurice ressent, lui aussi, le besoin de partir. Mais pas question d'Israël. Communiste pur et dur, il choisit, en 1957, de rejoindre Marseille puis Paris où il deviendra un cadre du parti et militera pour l'indépendance de l'Algérie avant d'être, à son grand désespoir, exclu du PC. Il connaîtra une vie amoureuse mouvementée. Marié à Lilly, qui lui donnera un fils, Emile dit Milou, il tombera amoureux, lors de la Fête de l'Huma, d'une militante d'origine mexicaine, Jimena, dont il aura une fille, Manda.
Mordechaï est mort en 1959. Il n'avait que 47 ans. Sarah et les autres membres de la famille quitteront Fès pour Paris en juin 1960.
Sioniste,Ruben optera pour Israël et le kibboutz où il cachera son homosexualité. Son ami Elisha disparaîtra dans la tragédie du Piscès et, plus tard, il tombera follement amoureux d'un américain, Salomon Winterberg, alias Samy.
Quant à Raphaël, après avoir échoué à un CAP, il ira vivre à Londres où il sera coiffeur. Enfin, Fortune, contre toute attente, rejoindra la marine française à Marseille. Les Assayag, une famille dispersée, loin de Fès. Il était une fois des Juifs au Maroc. Un beau roman.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Virgule. Tanger. 2017. 212 pages. 18 euros.