Jean-Pierre Allali
Les Juifs d’Afrique du nord face à l’Europe nazie, par Dan Michman et Haïm Saadoun*
Voici un ouvrage collectif particulièrement intéressant et original. Une quinzaine de spécialistes se penchent sur un sujet peu traité jusqu’ici : la situation des Juifs d’Afrique du Nord au temps de la catastrophe hitlérienne. On ne le sait pas toujours, bien qu’éloignée de l’Europe, l’Afrique du Nord ne fut pas épargnée par l’ennemi allemand. En Algérie, au Maroc comme en Tunisie, le statut des Juifs imposé par Pétain et le régime de Vichy fut appliqué. Pire, la Tunisie fut occupée par la soldatesque allemande pendant six mois.
« Le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale fait-il partie de la Shoah ? » se demande Dan Michman en préambule. S’il est difficile de répondre avec certitude à cette question, il semble qu’il soit établi, à la lumière des recherches les plus récentes, qu’il « est tout à fait vraisemblable que le régime nazi ait appliqué la politique développée en Europe hors des frontières européennes si cela lui avait été possible ».
Analysant la diversité des sources de l’antisémitisme au Maghreb, Emmanuel Debono revient sur les propagandes italienne et allemande, sur le pogrome de Constantine en 1934 , l’antisémitisme musulman et les inévitables tensions judéo-musulmanes qui vont de pair avec l’action des nationalistes français.
Pour Eli Bar-Cohen, il convient d’examiner l’antisémitisme nazi dans un contexte colonial, notamment en Algérie.
Pour ce qui est du Maroc, Daniel Zisenwine affirme que « divers rapports faisant état de déclarations antisémites au Maroc pendant la guerre soulignent l’approche musulmane générale envers les Juifs, qui influença directement les nationalistes ».
Au Maroc toujours, la situation des Juifs dans deux villes est examinée par le menu : Mogador (Essaouira) par Joseph Chetrit qui nous fait découvrir un poème d’Isaac D. Knafo intitulé précisément « Mogador » et Tanger qui fut littéralement une ville-refuge aux heures sombres de la Shoah et aussi un nid d’espionnage et de contre-espionnage (Mitchell Serels).
Michal Ben Ya’akov nous dresse un portrait de la militante infatigable pour la défense des réfugiés juifs que fut Hélène Cazes-Benatar. Un portrait saisissant qui nous permet de découvrir la communauté juive de Casablanca.
L’abolition du décret Crémieux et ses conséquences néfastes sur la population juive sont examinées avec minutie par Filippo Petrucci.
Victor Hayoun a choisi, lui, de nous parler de la communauté juive de Nabeul, en Tunisie, sous l’occupation allemande.
Enfin, Guy Dugas, spécialiste du genre, répertorie les nombreux ouvrages de la littérature maghrébine d’expression française qui ont traité sous diverses formes, des années 1939-1945. Haïm Saadoun, en conclusion, lui emboîte le pas dans le même esprit.
Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Perrin. Avril 2018. 352 pages. 23 €.