Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Le dernier de Mogador, par Ami Bouganim

06 Janvier 2020 | 285 vue(s)
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Le dernier de Mogador, par Ami Bouganim (*)

 

Quelle écriture ! Ami Bouganim est un véritable orfèvre de la langue. Et il arrive à concilier de belles phrases finement ciselées avec un humour tout à la fois grinçant et raffiné.

Nous sommes à Essaouira, l’ancienne Mogador, au Maroc. Une ville autrefois juive mais qui ne l’est plus. Ils sont presque tous partis, envolés. « Dans les années soixante, les Juifs sont partis. Ils ramassaient leurs ballots, prenaient le car à la porte de la Prairie et disparaissaient. Du jour au lendemain ». Pour la France ou le Canada et même pour Israël quand l’État juif, cessant de faire la fine bouche, « parce qu’ils étaient  tuberculeux, teigneux, trachomateux ; parce qu’ils étaient débiles, attardés, analphabètes ; parce qu’ils n’étaient pas autorisés à prendre leurs vieux parents avec eux ; parce qu’ils ne connaissaient ni Tolstoï ni Dostoïevski… », a fini par accepter des Juifs-arabes en terre d’Israël. Dans le mellah jadis grouillant d’enfants de Moïse, il ne reste plus que quelques survivants pour maintenir la mémoire du temps jadis et garder les clefs des synagogues. Et, surtout, le tombeau du Saint, de mémoire bénie. C’est Baba Pinto, arrière-petit-fils du vénéré Rabbi Haïm Pinto, qui a hérité de cette tâche. Baba, président de pêcheurs et protecteur des cireurs, celui qui ne comprend pas où sont les problèmes. Baba, qui vit encore parmi les Souiris avec sa famille, Baba, qui, pour subsister, fait feu de tout bois, vendant tout et n’importe quoi, y compris de la pharmacopée,  au gré de sa fantaisie. « Il ne craignait ni les représentants du roi ni ceux du makhzen, ne respectait ni la loi juive ni la loi coranique, ni les normes ni les convenances. Il était considéré comme le moqqadem du mellah puisque c’était le seul Juif de la ville et que ce quartier avait été celui des Juifs ». Il vivait en compagnie de sa vieille mère et de sa sœur hystérique, fréquentant volontiers les prostituées et n’hésitant pas, à l’occasion, à boire du bon vin jusqu’à l’ivresse.

Avec le départ des Juifs, on aurait pu penser que les Musulmans investiraient illico leurs demeures désertées. Que nenni ! Ils étaient persuadés qu’elles étaient hantées. En lieu de cela, des saltimbanques venus d’ailleurs s’abattirent sur Mogador comme une nuée de sauterelles. On les appelait des hippies. Ils vivaient d’amour, de haschich et d’eau fraîche, avec des maîtres à penser comme Herbert Marcuse ou Georges Lapassade qui créera le FHAR, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire. La période zen d’Essaouira ! 

Plus tard, des retraités européens en mal de chaleur et d’exotisme, prendront le relais.

Un jour, ce qui devait arriver arriva. Baba tomba amoureux d’une très jeune fille, l’héritière d’un marchand de thé, récemment titulaire du baccalauréat. Son échec, malgré la menace de se venger en se convertissant à l’islam, va marquer le début de ses malheurs et de ses pérégrinations à Bouderbala. De retour à Mogador, Baba aura maille à partir avec le président de la communauté, Maleh, à propos des travaux effectués autour de la tombe du saint. Maleh ne s’en sortira que par le biais d’un énième prêt d’argent : cinq mille dirhams à rembourser en trois ans. 

Parmi les personnages savoureusement croqués par Bouganim, le conseiller du roi, Armand Azencot, qui n’est pas sans rappeler un alter ego, natif comme lui, de Mogador. Ou encore le policier noir, Bambara.

Les aventures et les mésaventures d’un héros hors du commun, l’amitié avec le Fqih, notaire musulman, le projet de l’édification d’un musée au sein de la synagogue Attias qui concurrencerait celui de Casablanca, le différend avec les rabbins cousins en Avignon et en Israël, le « Rat d’Avignon » et le « Cancrelat roux », la recherche d’un trésor…

On reste baba devant ce Baba salé voire salace, cet Ali Baba aux quarante cireurs, ce Baba au rhum qui sait être sucré à l’occasion. Un madroub et un mahboul !

Ya Baba, ya khasra !

Il était une fois, des Juifs à Mogador.

Un ouvrage, qui, marque du Ciel, comporte 26 chapitres ! À déguster sans modération.

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions de Mai. Fondation Matanel. Israël. 2019. 242 pages.