Jean-Pierre Allali
Job, de l'errance du coeur au secret de l'embryologie, par Monique Lise Cohen (*)
Comme tous les ouvrages d’exégèse biblique, ou relative aux Hagiographes et aux traités sapientiaux, ce livre est d’un abord difficile. Chacun connaît l’histoire douloureuse de Job. « Job est un homme juste, intègre et droit, craignant Dieu et évitant le mal. Il est un homme riche et comblé ». Et pourtant… « L’enjeu est lancé, et le Satan va attaquer Job dans ses biens, ses enfants, sa chair. Une série de malheurs vont s’enclencher jusqu’à l’extrême douleur physique ». « Recouvert de pustules, décomposé, arraché à lui-même jusqu’à maudire le jour de sa naissance ». Job se retrouve sur un tas de fumier entouré de trois amis, Éliphaz de Têmân, « le puriste », Bildad de Chouha, le « maître de l’effacement », et Çophar de Naama , le « gourou gnostique », qui n’en peuvent mais. Sans oublier Élihou, fils de Barakeel de Buz. Mais quelle faute a-t-il donc commise pour mériter un tel sort ? Pourquoi ce karma néfaste ? Sa foi en Dieu-El, Haï-El, le Dieu vivant, Éloah et son pluriel, Élohim, Élohaï, ShaddaÎ ,le Seigneur, le Saint, l’Éternel, le Tout-Puissant, le Très-Haut, Élyon, Ya, YHWH, Adonaï, est-elle basée sur un amour sincère ou sur un calcul craintif ? Satan, insidieusement, propage un soupçon : « Peut-être Job ne serait-il pas un craignant-Dieu gratuitement, à titre gracieux ! ». Lechem chamayyim.
In fine, le cœur apparemment généreux de Job, est-il en réalité fermé, incirconcis ? Ou alors, ce sont ses enfants qui ont péché ? Auraient-ils béni-renié Dieu dans leur cœur et non avec leurs lèvres ?
Annoncé dans le titre du livre, l’embryon fait son apparition dans la première partie de l’étude : « Et le fœtus, lui-aussi, dans sa coquille subit une double tentation : rester dedans ou sortir ». Et choisir la vie conformément à l’injonction divine. « De la conception vers l’embryon puis vers la naissance et la vie, et enfin, de la mort vers la résurrection ».
Tout au long de sa monstration, l’auteure utilise le rapprochement sémantique des mots hébreux. Ainsi Job, « iyov » fait penser à « oyev », l’ennemi, « shéol », le séjour des morts, renvoie-t-il à « shééla », la question , « hosh », la honte, c’est aussi le vêtement « levoush », l’embryon, « ubar » a la même racine que « ivri », Hébreu. Le Léviathan, « levaya », contient un peu de Lévy. Et la peau « or » se retrouve, sous une autre vocalisation, dans « iver », aveugle. Quant à Amaleq, on le retrouve dans « amal », le travail, la peine, le travail du camp d’Auschwitz où était affiché, à l’entrée : « Arbeit macht freï », « Le travail rend libre ». On apprend avec intérêt que « halamout », l’insipide blanc d’œuf, la nourriture sans goût, ressemble au mot hébreu qui désigne le rêve : « halom ». Et « méayin » qui veut dire d’où, devient, si on le découpe en « mé-ayin » : du néant. Ou encore le souvenir « zakhor » qui n’est rien d’autre que le masculin « zakhar » ! Sans oublier que, pour Monique Lise Cohen, « ha-rahaman », plutôt que d’être traduit par le miséricordieux, signifie : le matriciel. À ce propos, on peut rappeler que, pour le Talmud, le shéol est associé à la matrice féminine ( Traité Sanhédrin 92a) !
Comme chacun le sait et comme le rappelle l’auteure , dans ce jeu qui se joue à quatre, Dieu, Satan, Job et Israël : « L’histoire finira bien, de façon énigmatique, comme un recommencement, une résurrection ». Le nefesh de Job, qui avait fondu, est retrouvé et l’hypertension artérielle jugulée.
Dans sa plainte, Job disait : « On a fait de moi la fable/machal des nations/amim ». Alors, Job est-il une fable ? Le grand Rech Laqich n’hésitait pas à affirmer que Job n’a pas existé et n’existera jamais. En contrepoint, Rabbi Yohanan affirmait, lui , que Job était de ceux qui revinrent de l’exil babylonien, qu’il appartenait au peuple d’Israël et que sa maison était à Tibériade.
Reste, comme le dit fort justement Monique Lise Cohen, que « Job retraverse l’histoire humaine en regard d’Israël ». L’écrivain et peintre Gérard Pesquet va, lui, jusqu’à affirmer que « Job est la biographie de Dieu ».
Très intéressant mais ardu. À découvrir.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Orizons. Novembre 2018. 176 pages. 20 €.