Jean-Pierre Allali
Humour et Sagesse Judéo-Arabes, Histoires de Ch’hâ, proverbes etc..., par André Nahum (*)
Le docteur André Nahum (1921-2015) a été incontestablement une figure essentielle de la communauté juive de Sarcelles où il recevait en tant que praticien et un membre éminent de la communauté juive de France. Par ses nombreux écrits, il a réussi à s’imposer comme l’un des tenants essentiels de la mémoire des Juifs de Tunisie. Les titres, souvent savoureux de certains de ses ouvrages, en témoignent : « Le roi des briks » (Éditions L’Harmattan, 1992), « Partir en kappara » (Éditions Piranhas, 1977) ou encore « Le médecin de Kairouan » ( Éditions Ramsay, 1995).
C’est pourquoi, la réédition de son inoubliable recueil d’historiettes, de dictons, de proverbes et d’expressions typiques, par les Éditions Desclée de Brouwer, est une excellente nouvelle.
Le personnage de Ch’hâ, si cher à l’auteur (1) est omniprésent dans ce recueil. Ch’hâ, un fou ou un sage ? Les deux mon capitaine. Ch’hâ juif ou arabe ? Les deux mon commandant. « À Tunis, son vrai nom est Jeha, ailleurs il s’appelle Djoha, en Egypte Goha, en Sicile c’est Djoufa. Il était turc au départ et s’appelait Nasreddine Hodja… »
Entrecoupées de proverbes, les aventures de Ch’hâ sont regroupées en 9 thèmes : Les relations humaines, Les hommes, Les femmes, La famille, Dieu et la religion, Mektoub, fatalité, L’argent et le commerce, Les puissants et, pour finir, La vie, la mort.
Les proverbes, dictons et autres aphorismes sont proposés en judéo-arabe écrit en caractères latins, traduits en français et assortis, lorsque cela est possible, de leur équivalent dans la tradition française.
Quelques exemples :
Elli habek ibekik oueli ikrak idahek bik !
Celui qui t’aime te fait pleurer et celui qui te hait fait rire de toi !
En somme, « Qui aime bien châtie bien » avec, en petit supplément : « Celui qui te hait te tourne en dérision ».
Ekber ya far, itlaâ’lek baâ’bous !
Grandis, ô souris, il te poussera une queue !
Qui correspond à notre : « Tout vient à point à qui sait attendre ! »
Ou encore :
Ma takhhod ettofla qama tchouf oma !
Ne prend la fille qu’après avoir vu la mère
En d’autre termes, « Telle mère, telle fille »
Bet m’â edjej s’bah iqaki !
Il a couché avec les poules, il s’est réveillé en caquetant !
Et Nahum d’expliquer : « Combien de personnes qui, ayant fréquenté un court temps la bonne société, croient maintenant en faire partie et en singent les bonnes manières !
Hatta meddeben ihab ikeh !
Même les mouches veulent tousser !
Entendez : « On n’est rien et on veut agir comme si l’on était quelque chose en imitant les grands.
Kène kéri ouela moula eddar !
Il était locataire. Il est devenu propriétaire !
Alors qu’il n’est que locataire, il se considère et agit abusivement comme s’il était le véritable propriétaire du bien.
Achtena ya djaja hâta ijik el kamh men Baja !
Attends, ô poule, que le grain t’arrive de Béja !
Cette locution peut avoir deux sens : Soit : « Tu peux toujours attendre ! ». Soit qu’il n’est pas nécessaire d’exiger un produit spécifiquement déterminé et d’une marque précise. On peut se contenter de ce que l’on trouve !
El maout lâjma ouel â’dab â’ lech ?
La mort est obligatoire mais pourquoi la souffrance ?
Les injures et autres malédictions du cru trouvent logiquement leur place dans ce florilège :
Yen’ândik bouk !, Yen’ândik omok ! Maudit soit ton père !, maudite soit ta mère !
Yen’ân zabbour omok ! Maudit soit le sexe de ta mère !
Ya oueld kahba ! Ô fils de pute !
Yemchi kobbara kif djaj kebbour ! Qu’il s’en aille en kappara comme les poulets de Kippour !
En complément, Bernard Chanfrault et Albert Bensoussan apportent des précisions intéressantes sur le personnage de Ch’hâ, à la lumière, notamment, de nombreux travaux universitaires qui lui ont été consacrés.
Des perles ! Des diamants. Un véritable trésor ! On ne remerciera jamais assez André Nahum de l’avoir préservé pour les générations à venir.
Jean-Pierre Allali
(*) Suivis de textes de Bernard Chanfrault et Albert Bensoussan. Éditions Desclée De Brouwer. Juin 2020. 376 pages. 8,90 €.
(1) Il lui a consacré l’un de ses ouvrages les plus truculents : « Histoires de Ch’hâ ». Éditions Piranhas, 1978.