Cet article a été rédigé et proposé au Crif en septembre 2018
Hier Marceline Loridan-Ivens. Aujourd'hui Ida Grinspan. Et demain ?
Demain, il faudra faire avec. Ou plutôt, il faudra faire sans.
Sans leurs voix brunies par les années, sans leurs expressions étonnées devant nos questions sur ce qui est évident, leurs façons de parler d'un autre temps, celui de nos arrière-grands-parents, en utilisant beaucoup d'adverbes. "Evidemment, à cette époque, Paris n'était pas aussi bourgeois qu'aujourd'hui, vous comprenez ?", "Alors Papa a naturellement ordonné qu'on rassemble nos affaires".
Il faudra faire sans leurs éclats de voix, leur pudeur et leur soin apporté à dire "la vérité vraie".
Il faudra faire sans pouvoir leur demander de raconter l'irracontable et sans oser s'enquérir du numéro sur leur bras.
Il faudra faire avec leur absence.
Se souvenir de choses qu'on n'a pas vécu. Se remémorer des petits détails de grandes histoires, même si ce ne sont pas les nôtres.
Pour tous ceux à qui ils avaient promis de tout raconter après, de parler d'eux et de ne jamais les oublier. Pour ceux pour qui le temps, la vie et la disparition n'ont plus cours depuis plus de 70 ans. Pour eux, il faudra toujours se rappeler de leurs peaux, de leurs manières de parler, de ce qu'ils commandaient dans les cafés, de leurs rires et de leurs colères.
Il y aura un peu de peur. Celle de mal faire, de déformer, de modifier. Mais il vaut sans doute mieux avoir peur de mal faire que peur de ne rien faire.
Avant tout ça, il nous faudra penser à leur dire au revoir. A dire les prières et les psaumes avec leurs prénoms et leurs noms. Pour eux, mais aussi pour tous ceux qui n'ont plus de nom et qui n'ont pas eu de prière.
Jean-Claude Grumbert, dans l'Atelier, demandait : "Qui se souviendra d'eux ?". Le monde entier se souviendra d'eux.