A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 24 Décembre 2014

Raymond Aron, un penseur de la cité

Propos recueillis par Alain Chouffan, entretien avec Dominique Schnapper, publié dans le numéro Hors-série de l’Arche magazine, consacré aux « grandes figures qui ont fait la France » et sur le site de Tribune Juive le 23 décembre 2014

Fille de Raymond Aron, sociologue et politologue, ancien membre du Conseil Constitutionnel (2001-2010), directrice d’Études à l’École des hautes études en sciences sociales, Dominique Schnapper est Présidente du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme.

L’Arche : Raymond Aron est une des figures intellectuelles les plus marquantes du XXe siècle. Peut-on dire qu’il a occulté son judaïsme, de sa naissance en 1905 jusqu’en 1930, lorsqu’en Allemagne où il se trouvait, il a déclaré « Hitler m’a révélé mon judaïsme » ?

Dominique Schnapper : Comme je l’ai déjà dit à Antoine Mercier, dans une émission pour Akadem, il ne l’a pas « occulté », ce qui semblerait indiquer une volonté de sa part. Il savait qu’il était juif et ne cherchait pas à le dissimuler. Mais il était avant tout un citoyen français. Un des premiers souvenirs qu’il racontait, c’est quand un prof d’histoire a mis en doute l’innocence de Dreyfus, il s’est dressé en démontrant rigoureusement et d’une façon qui a convaincu toute sa classe que Dreyfus était innocent. Le faisait-il au nom de sa judéité ou tout simplement au nom de la justice et de la vérité ? Comment répondre à cette question ?

En quelle année ?

Quand il était au lycée. Après son entrée à l’École normale ensuite, il est parti dans une université en Allemagne. Les brillants normaliens y faisaient traditionnellement leur voyage intellectuel.

Il a rencontré, là-bas, l’antisémitisme après 1933. Il disait en effet qu’avant l’arrivée d’Hitler, il n’avait pas eu une forte conscience de l’antisémitisme. Aux yeux des Allemands, à l’université, il n’était pas perçu comme Juif, mais comme étranger. Un sociologue allemand a noté que ni Durkheim ni lui n’avaient ressenti l’antisémitisme des universités allemandes, ce qu’il trouvait surprenant, alors que pour les Allemands, cet antisémitisme était évident. Enfin, après 1933, Hitler le lui a révélé…

Est-ce après la guerre des Six Jours, et surtout après les propos du général de Gaulle – « peuple dominateur et sûr de lui » – qui l’ont profondément blessé, qu’il s’est vraiment « senti Juif » ?

Non, il en a toujours été conscient, il a participé fortement à l’émotion collective au moment de la guerre des Six Jours et, dans les années précédentes, il avait réfléchi aux problèmes que pouvait poser aux citoyens juifs français la création de l’État d’Israël, mais le discours du Général de Gaulle l’a profondément ému et indigné.

Avez-vous été proche de votre père quand il vivait sa judéité ?

Oui, inévitablement, je suis fille et petite-fille de ce que j’ai appelé dans mon livre Juifs et Israélites les « israélites » français. Mon grand-père n’était guère pratiquant, selon les récits de mon père. Lui-même n’avait aucune pratique. Reste que mon père et moi avons eu des expériences historiques différentes. Il était en Allemagne en 1933, ce qui lui a permis de comprendre, pour le reste de sa vie, ce qu’était le totalitarisme. Mes premiers souvenirs politiques, ce furent le débarquement, puis le retour des déportés. Je ne passe jamais devant l’Hôtel Lutétia sans penser que c’était le lieu où revenaient, ou ne revenaient pas, ceux qui avaient été déportés. Ce qui est frappant, c’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une rupture dans le monde juif, tétanisé par la Shoah, en dehors même de ceux qui ne s’en remettaient pas, pour des raisons évidentes. Une nouvelle conscience juive s’est fait jour avec la guerre des Six Jours. Jusque-là nous étions nombreux à savoir qu’on était juifs, on ne songeait pas à le cacher, le poids de la Shoah était considérable. Mais, en même temps, il y a eu une sorte d’éclipse que j’ai vérifiée quand j’ai fait des enquêtes sur le sujet, les Juifs étaient occupés à renaître ou à survivre. L’arrivée des Juifs d’Algérie a été une première étape dans ce renouveau de la conscience juive, et ensuite la guerre de 1967… Lire la suite.

http://www.tribunejuive.info/portrait/raymond-aron-un-penseur-de-la-cite-par-alain-chouffan-pour-larche

CRIF