Actualités
|
Publié le 30 Septembre 2024

Hommage – Disparition de Victor Perahia, survivant de la Shoah, Président de l'Union des déportés d'Auschwitz

C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès de Victor Perahia, survivant de la Shoah, dimanche 29 septembre 2024, à l'âge de 91 ans. Victor était le Président de l'Union des déportés d'Auschwitz (UDA). L'histoire de Victor est unique, notamment par sa connaissance du camp de Drancy où il a passé vingt mois, de septembre 1942 à mai 1944, avant d'être déporté au camp de Bergen-Belsen à l'âge de 11 ans. Il nous a fait l'honneur de participer à l'exposition réalisée par le Crif « Lest We Forget - N'oublions pas 2022 », à l'occasion des 80 ans de la Rafle du Vél d'Hiv. Le Crif adresse ses plus sincères condoléances à toute sa famille et à ses proches. Nos pensées émues les accompagnent.

En hommage à Victor, nous vous proposons aujourd'hui de découvrir son histoire.

Ce texte a été rédigé à l'occasion de l'exposition « Lest We Forget - N'oublions pas 2022 », réalisée par le Crif.

 

« Je me disais : "Mais pourquoi moi je suis derrière des barbelés, gardé par des gendarmes alors que ces gens au loin peuvent rentrer chez eux ?" »

 

Nous avons rencontré Victor Perahia en 2019, via la Commission du Souvenir du Crif. Celui-ci nous avait fait l’honneur de témoigner de son parcours unique en tant qu’enfant au camp d’internement de Drancy puis déporté à Bergen-Belsen. Son témoignage fut, sans le savoir alors, une porte d’entrée vers de très beaux projets autour de la mémoire de la Shoah. De nombreuses fois, d’ailleurs, en sa compagnie. Et à chaque fois que nos chemins se sont croisés, ce fut un réel plaisir. C’est ainsi qu’en décembre 2021, nous nous sommes rendus chez Victor pour procéder à la séance photo pour l’exposition Lest We Forget - N’oublions pas.

 

Né le 4 avril 1933, Victor a six ans lors de la déclaration de la guerre.

Il habite à Saint-Nazaire en Bretagne avec ses parents qui sont marchands-forains. Sa mère est française, son père est d’origine turque. Ces derniers se sont déclarés comme juifs en 1940. « J’ai appris que j’étais juif à ce moment-là » explique Victor.

Enfant, Victor a porté l’étoile jaune. Il se souvient des railleries de ses camarades. « Ils se moquaient de moi. À la récréation ils venaient tous autour de moi et ils m’invectivaient, ils me montraient du doigt. C’était difficile. »

À Saint-Nazaire, il y a une base sous-marine allemande et les bombardements sont très fréquents. « On allait à la cave pendant les alertes. Les bombes ne tombaient pas loin de là où on se trouvait, le bruit était assourdissant, ça faisait peur. »

Le grand-frère de Victor, Albert, âgé de onze ans et demi, quitte Saint-Nazaire avec ses grands-parents pour échapper aux bombardements. Mais Victor, très attaché à ses parents, ne veut pas les quitter.

 

Le 15 juillet 1942, la veille de la rafle du Vél d’Hiv à Paris, Victor et ses parents sont arrêtés. Ce sont des SS qui viennent les chercher. Victor a neuf ans, et il a peur.

Lui et sa famille sont conduits dans une baraque avec les autres Juifs arrêtés dans la région.

Le lendemain matin, ils sont conduits en train à Angers, avec tous les Juifs arrêtés en Bretagne, dans un grand séminaire. La famille est séparée. « C’est la dernière fois que j’ai vu mon père, à Angers. »

Celui-ci est déporté le 20 juillet 1942, dans le convoi numéro 8 à destination d’Auschwitz-Birkenau. Il s’agit de l’un des rares convois au départ d’Angers vers Auschwitz-Birkenau.

Victor et sa maman sont quant à eux conduits au camp de Drancy en septembre 1942.

 

Cette période au camp de Drancy est très difficile. Seulement quelques semaines après la rafle du Vél d’Hiv, le camp d’internement est surpeuplé. Près de 4 000 personnes y sont internés. À son arrivée, Victor est marqué par la cacophonie qui y règne, le gris terne des immeubles, et une impression effrayante. Sans qu’il le sache, c’est une période durant laquelle beaucoup de convois partent, chaque jour, en direction d’Auschwitz-Birkenau.

C’est grâce au cousin de sa mère, Henry Gary, que Victor et sa maman échappent à la déportation. Henry leur conseille de se faire passer pour une femme et un enfant de prisonnier de guerre, une catégorie d’internés non déportables de suite car ils faisaient office d’otages. « Ma mère a été formidable ce jour-là, comme tous les jours d’ailleurs, bien qu’elle ait eu très peur. Ils [les Allemands] ont cru ma mère. »

À Drancy, camp administré par les gendarmes français, les conditions de vie sont terribles. Ils souffrent de la faim, du froid et des coups. Les rations de nourriture sont minimes.

De ses longues journées de captivité, Victor garde en mémoire les moments de solitude, la faim, notamment lorsque la gestion du camp est effectuée par l’administration française. Il se souvient aussi de ses camarades, des moments de jeux entre enfants.

Un mouvement de jeunesse s’organise rapidement au sein du camp de Drancy. Des personnes de toutes les professions donnaient des cours et occupaient les enfants, très nombreux.

Il se souvient aussi d’un immeuble de quatre étages, dont le quatrième, en baie vitrée surplombait la banlieue de Drancy. Il y montait et voyait au loin la route, les gens qui passaient, les autobus et les voitures. « Et moi, je regardais cela, et je me disais : "Mais pourquoi moi je suis derrière des barbelés, gardé par des gendarmes alors que ces gens au loin peuvent rentrer chez eux ?" J’ai compris ce que voulait dire le mot liberté quand j’ai senti que j’étais différent des autres parce que j’étais en captivité. »

En 1943, les Allemands reprennent le contrôle du camp.

Victor passe vingt mois à Drancy, de septembre 1942 à mai 1944.

 

Le 2 mai 1944, il est déporté avec sa mère au camp de concentration et de travail de Bergen-Belsen, dans le convoi 80, destiné aux femmes de prisonniers de guerre avec leurs enfants. Ils restent près d’un an à Bergen-Belsen.

« Quand on était à Bergen-Belsen, on avait le droit à une soupe et deux à trois fois par semaine, à une ration de qiatre centimètres de pain. C’était tout juste suffisant pour survivre. Et ma mère, de sa soupe, me donnait quelques cuillères et de sa ration de pain, elle me donnait un morceau. Et c’était un sacrifice énorme car elle avait aussi faim que moi. Moi, je ne m’en rendais pas compte et j’acceptais. »

Victor et sa mère ne furent jamais séparés. Le destin et la chance, sûrement, ont joué un rôle, puisque les enfants de prisonniers de guerre n’étaient pas séparés de leurs mères. « J’ai eu une mère très courageuse et très aimante. »

À Bergen-Belsen, peu de temps avant la libération, Victor Perahia attrape le typhus. Au retour du camp, il est tuberculeux. Très faible, malade, il resta deux ans et demi dans un sanatorium après sa déportation.

Puis il retrouve sa mère et son frère. Son père n’est pas revenu.

 

Pendant quarante ans, Victor Perahia n’a pas parlé. Il n’a pas raconté. C’est par devoir de mémoire et pour ses enfants qu’il se penche à nouveau sur son histoire. Par pudeur, c’est tout d’abord par écrit que Victor Perahia raconte. Il mettra six ans à écrire, six ans pour témoigner de son vécu pendant la Shoah. En 2015, il publie Mon enfance volée.

Victor est également secrétaire général de l’association UDA (Union des Déportés d’Auschwitz). Depuis quinze ans, il témoigne régulièrement.

 

 

Victor était particulièrement fier de son parcours. Après sa déportation, et les conditions de vie difficiles et la maladie, il a repris ses études. Durant les trois années de déportation, les deux ans et demi de sanatorium, entre sa neuvième et quinzième année, Victor n'a pas pu aller à l'école.

En arrivant au collège, il avait six ans de retard. Il ne savait rien de la chimie, de l’algèbre… Il a mis du temps à s’en sortir. Mais grâce à sa mémoire exceptionnelle (il apprenait très bien par cœur), il a réussi à progresser.

Il a eu le brevet, le baccalauréat. Puis, sa grand-mère est tombée malade et il a dû arrêter ses études pour subvenir aux besoins de sa famille.

Parti de rien, à force de persévérance, il s’est construit une place dans le monde professionnel.

Il était également très fier de sa famille. Ce qui le rendait heureux, c’était la présence de ses merveilleux enfants et petits-enfants. Il souhaitait de tout son cœur que ses enfants n’aient jamais à connaître les périodes difficiles qu’il a connues.

 

Marie-Sarah et Johana, Commissaires de l'exposition Lest We Forget 2022 pour le Crif

 

À lire aussi :

 

 

Source : site internet de l'exposition Lest We Forget 2022