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Une recension de Jean-Pierre Allali
Point n'est besoin de présenter les époux Klarsfeld, Serge et Beate, les fameux chasseurs de nazis dont l'action exemplaire, déterminée et obstinée, a permis, tout au long des années, la traque, l'arrestation et la juste condamnation des bourreaux du peuple juif.
Dans cet imposant ouvrage de « Mémoires » à deux voix, si l'on retrouve, au fil des pages, les grands moments de l'action de Serge et de Beate Klarsfeld, puis, plus tard, celle de leur fils Arno, les chapitres les plus originaux sont ceux touchant au domaine privé. Une occasion rare de connaître un peu plus intimement les Klarsfeld.
Rien, au demeurant, ne prédisposait cet homme et cette femme à se rencontrer un jour, à s'aimer, à se marier, à avoir des enfants et à entreprendre ensemble une œuvre magistrale de lutte contre l'abomination.
Beate-Auguste, fille de Kurt et Hélène Künzel est née en 1939 à Berlin au sein d'une famille évangélique luthérienne. Trois semaines après sa naissance, Hitler entrait à Prague et le fantassin Künzel rejoignait son unité quelque part en Belgique. Après la Guerre, sa mère fera des ménages tandis que son père sera employé de greffe du Tribunal de Spandau. Dans la famille, si on évitait en général de parler d'Hitler, l'ombre de la Guerre est omniprésente. Après le lycée, Beate intègre une haute école de commerce. La vie n'est pas facile. Kurt Künzel boit et meurt d'un cancer à l'âge de 58 ans. Beate n'a qu'une idée en tête : quitter Berlin.
Le père de Serge, Arno, sosie de l'acteur Victor Mature, était né en 1905 à Braïla, port fluvial sur le Danube, en Roumanie. Il s'appelait Arno peut-être parce que c'est l'anagramme d'Aron ou, probablement, en souvenir d'un séjour de ses parents à Florence, ville traversée par le fleuve Arno. On avait d'ailleurs prévu d'appeler le nouveau-né Florence si cela avait été une fille ! La mère de Serge, Raïssa, est née, elle, en 1904 à Cahül en Bessarabie russe. Arno et Raïssa se sont rencontrés en 1929 dans un dancing de la rue de la Huchette au Quartier Latin de Paris. C'est le coup de foudre et ils se marient peu après à la mairie du Vème arrondissement. Hasard de la vie, Serge Klarsfeld raconte : « Mon fils, ma fille et moi sommes sortis avocats de l'immeuble qui fait face à la mairie sur la place du Panthéon, la faculté de droit de Paris ». C'est à Paris que naît, en 1931, la sœur aînée de Serge. En hommage à Clémenceau, on l'appellera Georgette. Plus tard, elle sera Tania. Serge, pour sa part, est né le 17 septembre 1935 à Bucarest, mais, raconte-t-il, il vivra sa première année à Cahül. Le couple Arno-Raïssa a rapidement du plomb dans l'aile et Serge n'hésite pas à narrer les frasques de son père. En 1937, les Klarsfeld sont à Paris. Ils logent avenue de Versailles. Ils ne sont pas religieux. On jeûne, certes, pour le Yom Kippour et on mange des matsoth à Pessah, mais on ne célèbre pas le chabbat. Serge Klarsfeld avoue : « Ni mon père, ni ses frères, ni le frère de ma mère, ni moi n'avons fait notre bar-mitsva ». Comment expliquer alors que le fils de Serge, Arno, dont la mère n'est pas juive et le père peu observant, ait été soldat de Tsahal ? Serge Klarsfeld lève le secret : le 14 février 2001, par décret du Ministre israélien de l'Intérieur, il est devenu citoyen israélien en reconnaissance des services rendus à l'État juif. Dès lors, Arno devenant israélien par filiation a choisi de servir Tsahal. Néanmoins à la case religion de sa carte d'identité, il est marqué « libre-penseur ». Quant à sa sœur, Lida, elle a épousé un catholique siennois et ses enfants ont été bénis à Rome par le pape Benoit XVI pour l'un et par le pape François pour l'autre.
En septembre 1939, le père de Serge se porte volontaire pour combattre comme Juif étranger au sein des Forces Françaises. Il est intégré à la Légion étrangère. Il est caporal en 1940 et participe, notamment, à la bataille de la Somme. Fait prisonnier, il s'évade, est repris et s'évade encore pour rejoindre sa famille en zone libre dans la Creuse. En 1942, il rejoint la Résistance. En 1943, c'est le drame. Alors que la famille Klarsfeld s'est repliée à Nice, la Gestapo investit leur immeuble dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre. Arno Klarsfeld est arrêté mais parvient à faire en sorte que sa famille ne soit pas inquiétée. Drancy, Auschwitz. Le matricule 159683 disparaîtra dans les chambres à gaz. Dans une lettre adressé de Drancy à son fils, Arno Klarsfeld lui dira : « Maintenant, c'est toi le chef de famille ».
C'est dans le métro parisien, sur un quai à la Porte de Saint-Cloud, que Beate, alors fille au pair et Serge, qui achève ses études, se rencontrent. Il tente un « Êtes-vous anglaise ? » et repart avec un numéro de téléphone. Trois jours plus tard, c'est le début d'un grand amour et d'une immense aventure.
Des chapitres très documentés sont, bien entendus consacrés aux affaires qui ont fait la célébrité des Klarsfeld : le dossier Kurt Lischka, celui d'Herbert Hagen, la traque de Klaus Barbie, les offensives contre Bousquet, Touvier, Leguay et Papon, la piste d'Alois Brunner. Sans oublier Walter Rauff, Josef Mengele, la gifle au chancelier Kiesinger et la dénonciation de Kurt Waldheim.
Un cahier photographique agrémente cet ouvrage de qualité qui sera une référence dans le domaine de la lutte contre le nazisme et pour la Mémoire des victimes de la Shoah. À lire absolument.
Note :
(*) Éditions Fayard Flammarion. Mars 2015. 688 pages. 26 euros.