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Une recension de Jean-Pierre Allali
C'est un travail véritablement monumental, titanesque même, auquel se sont livrés le chercheur montpelliérain Guy Dugas et son équipe en se lançant dans une édition critique des portraits d'Albert Memmi. Résultat : Mille trois cents pages d'une écriture dense et serrée où l'on retrouve tout Memmi et plus encore.
Juif et Arabe, romancier et essayiste, Tunisien et Français, Albert Memmi est un peu le Frantz Fanon juif de la Tunisie. Et s'il nous a offert, au fil des ans, de savoureux romans comme « La statue de sel » (1), préfacé à l'époque, en 1953, par Albert Camus, « Agar » (2) ou « Le Pharaon » (3) , s'il s'est essayé à la poésie avec « Le mirliton du ciel » en 1985 et même, plus récemment, avec un recueil de « coplas » (4), l'essentiel de son œuvre se concentre sur ses portraits, désormais objets d'enseignement et de recherche dans de nombreuses universités d'Afrique du Nord, du tiers-monde, d'Europe et d'Amérique.
Les « portraits » de Memmi constituent le cœur de son œuvre, à la recherche des tréfonds de l'âme humaine. Il s'agit pour lui d'un genre littéraire qui serait tout à la fois un récit exact de l'expérience et un essai de réflexion, de mise en ordre de cette expérience. Cela va nous donner, au fil des ans, le portrait du colonisé et celui du colonisateur, le portrait du Juif et, plus généralement, celui de l'homme dominé, le prolétaire, la femme, le domestique, du décolonisé arabo-musulman, des Noirs africains ou américains et de quelques autres. L’œuvre de Memmi, c'est une étude qui se veut exhaustive de l'aliénation de l'homme par son semblable.
Comme dans tout travail universitaire de qualité, les notes sont abondantes. L'équipe de Guy Dugas a eu accès à des documents rares et personnels, le Journal Intime inédit de l'auteur ou encore un ensemble de textes divers désigné comme le «GM», le garde-manger, et même une « Poubelle ». Cela donne à l'ensemble, présenté comme un « dossier génétique », une teneur exceptionnelle qui enchantera les spécialistes et intéressera tout aussi bien le grand public.
Notes :
(*) Coordinateur : Guy Dugas. Avec la collaboration de Lia Brozgal, Claire Riffard et Hervé Sanson. Éditions du CNRS. Janvier 2015 .1294 pages. 45 euros.
(1) Éditions Corréa, 1953 puis Gallimard, 1963 et Folio, 1972.
(2) Éditions Corréa, 1955 puis Gallimard, 1983 et Folio, 1991.
(3) Éditions Julliard, 1988.
(4) « Les coplas du jeune homme amoureux ». Éditions Alain Gorius, 2013. Voir notre recension dans la Newsletter du 31 mars 2014.