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Publié le 26 Avril 2012

L’écho lointain du Yiddishland

Dimanche 29 avril 2012 à Metz, Marek Halter présentera le film « Birobidjan, Birobidjan ! » qu’il a consacré à la République autonome juive créée au début des années 30 par Staline. Une aventure étonnante.

J’avais 4 ans lorsque j’ai fui avec mes parents le ghetto de Varsovie. Je n’ai cessé, depuis, de vivre dans une sorte de nostalgie du Yiddishland

Le Birobidjan, c’est où, c’est quoi ?

 

Marek Halter (dans un grand éclat de rire) : Vous n’êtes pas le premier à me poser la question ! Le Birobidjan, c’est cette République autonome juive créée au début des années 30 par Staline, en Sibérie, le long du fleuve Amour, non loin de la frontière avec la Chine. Staline, qui ne savait que faire des cinq millions de juifs d’Union soviétique, s’était mis en tête de les regrouper conformément à sa théorie des nationalités : tout groupe ethnique identifié par une langue et une culture devait disposer de son territoire. Kalinine, président du comité exécutif central des soviets, lui suggéra le Birobidjan, cette région marécageuse et désertique des confins de l’Extrême-Orient où tout était à construire : le chemin de fer, la ville, l’agriculture… En 1936, l’autonomie de cette nouvelle république est proclamée et le yiddish déclaré langue officielle. Très vite, une vie culturelle s’y développe à travers le théâtre. Les pionniers de Birobidjan étaient courageux et le kolkhoze Waldheim, construit sur la taïga, devient l’un des plus productifs d’URSS.

Des milliers de juifs du monde entier viennent alors s’installer dans cette « Israël de Sibérie »…

 

Les juifs, ces « hommes accrochés au vent », disposaient enfin d’une terre ce qui souleva un immense espoir. On estime à trois cents le nombre de familles françaises qui y émigrèrent. Dans mon film, le grand psychanalyste Charles Melman raconte le voyage de 11 000 km qu’il fit avec son père. D’autres venaient des États-Unis, d’Amérique Latine. Beaucoup repartirent, car les conditions de vie y étaient très dures. Ceux qui se replièrent en Europe furent, pour la plupart, massacrés par les nazis. Ceux qui firent le choix de rester eurent la chance de voir leurs enfants émigrer en Israël.

 

Les intentions de Staline n’étaient pas si généreuses. Il s’agissait surtout d’éloigner les juifs des postes clés, de s’en débarrasser…

 

 C’est vrai, mais en même temps, Staline aurait pu être moins gentil ; envoyer les juifs au goulag, par exemple, ou les déplacer de force comme il le fit avec les trois millions d’Allemands de la Volga.

 

La création de l’État d’Israël, en 1948, a précipité le déclin du Birobidjan…

 

À la mort de Staline, en 1953, les juifs soviétiques émigrèrent en masse vers Israël. Le Birobidjan connut encore d’autres vagues de départ avec la perestroïka. Aujourd’hui, 8 000 juifs, sur une population de 75 000 habitants, vivent encore là-bas. Le yiddish continue à être enseigné dans les écoles alors que la plupart des élèves ne sont pas juifs. Des pièces sont toujours jouées dans cette langue et le journal local, le Birobidjaner Stern (l’Étoile de Birobidjan), conserve ses pages en yiddish. Je connaissais l’histoire de Birobidjan mais je croyais que cette République avait disparu. Je l’ai redécouverte par hasard en voyant un reportage à la télévision alors que je me trouvais à Moscou. J’ai aussitôt décidé de lui consacrer un film.

 

Pourquoi ?

 

J’avais 4 ans lorsque j’ai fui avec mes parents le ghetto de Varsovie. Je n’ai cessé, depuis, de vivre dans une sorte de nostalgie du Yiddishland, cette civilisation anéantie par les nazis. En me rendant au Birobidjan, je me suis aperçu que ce monde vibrait encore, comme l’écho lointain d’une civilisation blessée. J’y ai retrouvé une part de mon Atlantide, ce paradis perdu.

 

Propos recueillis par Nicolas Bastuck pour le Républicain Lorrain.