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Jeudi 11 juin 2015
Je voudrais saluer votre lutte inlassable pour la défense de la République, de ses valeurs, pour la lutte contre l’antisémitisme, dans une période où, malheureusement, nous constatons trop souvent un manque de fermeté, une faiblesse face à des dérives communautaristes nuisibles pour tous. Cette faiblesse n’est plus possible. Face à des attentats, des meurtres, des violences, face au fanatisme qui a tué des journalistes, des policiers, des Juifs, qui a tué des Français tous frères dans la République, notre cri « Je suis Charlie » ne doit pas être seulement un hommage aux victimes, il doit être un appel au sursaut républicain. Et Le CRIF est pour moi une institution partie prenante de la République. C’est d’ailleurs son histoire : Le CRIF a été créé en 1944, il est issu de la Résistance que nous avons célébrée il y a peu, il est né de la volonté de reconstruire la République sur de nouvelles bases. C’est cette volonté de réfléchir au sens de notre République, en ayant conscience qu’elle peut faillir, et qu’il faut donc sans cesse la renforcer, qui rend votre apport si précieux.
Etre avec vous à Grenoble revêt un sens particulier. C’est ici, au printemps 1943, qu’a été créé de manière clandestine le Centre de documentation juive contemporaine, chargé de documenter le destin des Juifs de France et les mesures les privant de leurs droits, de leurs biens, de leur liberté, de leur dignité et de leurs vies. C’est là l’origine du CRIF. C’est le fondement de votre mission : attirer l’attention des pouvoirs publics sur les problèmes rencontrés par les Juifs de France dans leur vie civique et politique. C’est la source de votre engagement au cœur de la République : nous alerter sur ses dysfonctionnements, vous engager avec nous pour son amélioration.
Je souhaite que nous menions tous ensemble une offensive républicaine, c’est-à-dire un retour à des principes de bon sens, une sécurité pour tous, une Justice efficace, une égalité de traitement, la croyance en un projet collectif – et la fermeté envers tous ceux qui viendraient le menacer.
Les Juifs de France sont des sismographes des angoisses de la société française. Haim Korsia utilise cette métaphore, qui parle au nordiste que je suis : les Juifs de France sont comme ces canaris que les mineurs emportaient avec eux pour leur signaler les émanations toxiques indétectables par l'homme. En cela, les Juifs de France sont des sentinelles à l'avant-garde des menaces qui pourraient nous frapper, ils sont malheureusement souvent les premières victimes des ceux qui veulent détruire nos valeurs
Face à ces attaques, nous devons être intraitables.
Intraitables dans la dénonciation de l’antisémitisme, qui revient sous des formes nombreuses, insidieuses, cachées derrière le message politique ou le communautarisme, mais qui produisent une violence réelle dont vous êtes les témoins.
Nous devons être intraitables dans la dénonciation de ceux qui portent l’antisémitisme, où qu’ils se situent sur l’échiquier politique.
Nous devons être intraitables face aux manquements de nos institutions républicaines, l’école, la sécurité et la Justice. J’ai été très marqué par le rapport de Jean-Pierre Obin sur la laïcité à l’école rendu en 2004, qui notait que les seuls élèves qui ne pouvaient pas aller dans toutes les écoles de la République, sous peine de menaces et de violences, étaient les élèves juifs. Comment pouvons-nous accepter qu’une institution républicaine comme l’école soit le théâtre de telles violences, d’une telle exclusion ? On ne peut pas accepter d’entendre l’insulte « sale juif » dans les cours d’école. Il est temps d’ouvrir les yeux, et de condamner fermement les parents qui entraînent leurs enfants dans une telle haine de l’autre. Trop peu de plaintes sont déposées, l’institution ne doit pas rester silencieuse.
Nous devons être intraitables dans la réaffirmation de nos valeurs, et notamment dans la défense de la laïcité. Une laïcité ferme ne signifie pas une laïcité aveugle, une laïcité agressive, une laïcité qui manque de respect. Beaucoup de questions, qui sont d’ailleurs parfois autant culturelles que cultuelles, peuvent se traiter dans le quotidien sans affrontements, sans remettre en cause l’égalité de traitement entre les citoyens, sans donner l’impression de donner la priorité à une question religieuse sur les règles de droit commun. Mais d’autres sont devenues le symbole d’un différentialisme permanent qui sape de manière continue l’unité de notre Nation et de notre République, ou représentent une offense faite à des valeurs fortes de notre pays, comme l’égalité entre les hommes et les femmes. Celles-ci doivent être combattues, sous peine de faire oublier que si la République défend les citoyens quelle que soit leur religion, elle ne doit ni les pénaliser du fait de leur religion, ni leur donner de traitement particulier en fonction de leur religion. La religion doit être dans la République, pas à côté ou au-dessus. C’est cet équilibre complexe que nous devons construire, et nous ne pourrons le faire que dans le dialogue avec les instances religieuses. Je crois que nous n’avons pas assez utilisé ce dialogue, avec toutes les religions, ces dernières années, laissant des situations très différentes s’installer, sans cadre général, sans réflexion partagée. Il est nécessaire d’inverser cette tendance.
Et il est nécessaire que les Français Juifs se sentent mieux dans leur pays.
Le lien avec Israël peut être très fort chez certains Juifs de France, plus faibles chez d’autres, cette question d’Israël doit rester un enjeu clé de politique. Nous avons des liens privilégiés avec Israël, nous devons intervenir diplomatiquement dans la région, notamment en contrepoint des Etats-Unis dont la politique iranienne est être un facteur d’inquiétude pour la sécurité d’Israël. La sécurité d’Israël n’est pas négociable. A mes yeux, Israël n’est pas un état voyou. Israël doit être un état respecté et un état protégé. Et je veux revenir sur l’actualité récente : pas de boycott d’Israël, pas de boycott en Israël.
Enfin, je veux vous parler de Daesh, avec qui nous sommes clairement en guerre. Ce sera eux ou nous. Alors il faut clairement les mettre hors d’état de nuire sur le territoire national, comme à l’extérieur.
Ce qui en revanche me pose des questions en tant que responsable politique français, comme un enjeu de politique intérieure, c’est l’accélération de l’émigration des Juifs de France vers Israël. Aujourd'hui, beaucoup de Juifs quittent la France, qui est devenu le 1er pays d'émigration vers Israël. Alors oui, une partie de ces départs est liée au sentiment d'"insécurité" que ressentent certains Juifs. Je le regrette, et nous, responsables politiques, devons tout faire pour garantir cette sécurité. Nous devons redonner du sens à l’identité nationale et au pacte de la République. Nous devons redonner des perspectives de bien-être, des perspectives d’avenir et notamment de sécurité.
La République française ne peut se concevoir sans les Juifs de France. La République a progressé avec eux sur les chemins de liberté, d’égalité, de fraternité. Elle a sombré lorsqu’elle a failli envers eux. Elle s’est construite avec nombre d’entre eux. Elle doit représenter pour eux la promesse de la sécurité et de la liberté, de l’égalité de traitement. Elle doit redevenir un exemple dans le monde, au lieu d’être ce pays qui ne veut pas être caricaturé comme dangereux et antisémite. Pour cela, nous devons vous écouter, entendre vos interrogations et vos doutes, écouter vos témoignages et ne lutter pied à pied contre tous ceux qui détruisent nos institutions.
Si je vous demande aussi de continuer à alerter les responsables publics, je vous demande aussi de faire partager à l’ensemble de la communauté nationale votre enthousiasme, votre joie et votre soif de vivre, ainsi qu’un optimisme qui ne doit jamais disparaitre.
C’est comme cela que nous continuerons d’écrire l’histoire d’une Nation dont tous les citoyens, quelle que soit leur culture, sont mus par les mêmes valeurs, tournés vers les mêmes projets, forts, parce qu’unis et solidaires.