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Publié le 25 Avril 2013

Discours du président de la République lors de l’hommage national rendu à François Jacob

 

Mercredi 24 avril 2013

 

Ce qui nous réunit autour de la famille de François Jacob que je salue, c’est le deuil, c’est la peine ; mais c’est aussi une fierté, surtout la fierté. Car François Jacob était un grand homme, un homme exceptionnel qui a donné à notre pays tant de raisons de croire en lui-même.

 

D’abord dans l’adversité, la guerre. Il avait 20 ans tout juste, en juin 1940, lorsqu’il s’embarqua en direction de l’Angleterre, abandonnant ses études de médecine, sa famille, ses proches pour ne pas abandonner son pays. C’est pour le servir qu’il s’engagea dans les Forces françaises libres. Il n’allait déposer les armes qu’une fois la France libérée.

 

Médecin militaire sur les champs de bataille du Sénégal, du Gabon, du Tchad, puis de Tripolitaine et de Tunisie, il s’est battu, en soignant, en délivrant, en apaisant. Même dans les heures les plus sombres de cette période, il ne perdit jamais sa « foi ». Sa foi dans la patrie, sa foi dans la victoire, sa foi dans les idéaux qu’il portait et aux premiers rangs desquels la liberté. Il mena la lutte jusque sur les plages du Débarquement, avec la deuxième division blindée – la « 2ème DB » de Leclerc, dont une part de la gloire lui revient.

 

Des titres prestigieux lui ont été attribués. Tant de titres, tant d’honneur : la Croix de guerre, la Légion d’honneur, Compagnon de Libération par le Général de Gaulle. Il fut même le Chancelier de son ordre pendant des années.

 

Vous avez rappelé, Monsieur le Délégué, ses faits d’armes. Ils sont prestigieux et lui valurent l’hommage de la Nation. Son corps fut meurtri par des éclats de mortier, le 10 mai 1943. C’était dans les sables tunisiens. Puis un an plus tard, le 8 août 1944, par des dizaines d’éclats de grenade : il allait en souffrir toute sa vie. Il les portait, à la fois, comme le témoignage de sa lutte et le rappel des souffrances qu’il éprouvait pour la liberté.

 

Grand blessé, il ne pouvait plus être chirurgien. Alors, il fut médecin, mais pas n’importe quel médecin. Un médecin qui consacra sa vie, non seulement à soigner, mais à chercher. Ce fut son combat – la science – pour une nouvelle libération : non plus celle des territoires, mais la libération pour la connaissance de la vie. Il ne s’agissait plus de lutter contre les désolations de la guerre, mais contre les souffrances de la maladie.

 

La recherche pour François Jacob, c’était d’abord la volonté de repousser sans cesse les limites. C’était l’investigation, sans autre but que de trouver pour chercher encore, chercher toujours. Pour repousser les frontières de la connaissance ou de l’ignorance. Il se décrivait comme insatisfait de lui-même. Ce n’était pas par humilité. Il n’en avait pas toujours. C’était par ambition. Mais la plus belle des ambitions : celle de faire avancer l’humanité.

 

Sa recherche était à sa mesure exceptionnelle puisqu’elle ne connaissait pas de discipline : il refusait les cloisonnements. La médecine pour lui était une science, sans doute, mais une science humaine. Et la physiologie pouvait même être un sujet de la littérature. Il fut d’ailleurs un écrivain, un grand écrivain, élu à l’Académie française au fauteuil de Paul Valery. Quant à ses travaux de savant, il mobilisait des ressources qui relevaient tantôt de la physique, tantôt de la biologie.

 

Ce qu’il voulait, c’était ce que nous voulions tous et que nous voulons encore : comprendre la vie, son origine, son fonctionnement, ses mécanismes. Il s’est tourné, à la fin des années cinquante – et il fut un précurseur – vers la génétique. Fallait-il qu’il trouva, à ce moment-là, une maison, là encore, à la hauteur de ses recherches. Ce fut l’institut Pasteur. Il m’est revenu la chance et l’honneur d’inaugurer, le 14 novembre dernier, en la présence de François Jacob, le bâtiment qui porte aujourd’hui son nom.

 

Je salue tous les personnels, tous les chercheurs de l’Institut Pasteur. « Dans les couloirs de l’Institut, disait François Jacob, j’ai appris le goût de l’équipe, une équipe qui surpasse toujours les individus, en ingéniosité, en faculté d’invention… ». Il ne travailla pas seul. André Lwoff l’accueillit, en 1950 dans son laboratoire où travaillait déjà un autre homme exceptionnel, Jacques Monod.

 

C’est avec André Lwoff et Jacques Monod que François Jacob reçut, en 1965 – il avait 45 ans – la plus haute de toutes les distinctions à laquelle un scientifique peut imaginer un jour accéder : le prix Nobel. C’était là le fruit d’une amitié fondée sur une exigence, sur une intelligence partagée, sur un échange scientifique de très haut niveau. C’était la première fois qu’un modèle de représentation des gènes était défini. Ce que François Jacob avait contribué à entrevoir, à l’échelle d’une bactérie, il allait ensuite en étudier et en suivre l’application à l’ensemble des systèmes vivants.

 

Toute sa carrière de chercheur fut bien une tentative de transmettre ce qu’il appelait « la logique du vivant ». Les avancées de la biologie faisaient naître chez lui une grande espérance, mais aussi une nécessaire vigilance. Membre du Conseil consultatif national d’éthique, il s’alarmait des dérives possibles des manipulations génétiques. Sans doute en référence à l’histoire qui avait bouleversé sa jeunesse, il s’interrogeait sur le pouvoir des scientifiques.

 

Il fut, de ce point de vue, mais pas seulement comme chercheur, un esprit rebelle, rebelle aux dogmes, un savant étranger à toutes les idées préconçues. J’ai retenu une phrase qui peut servir encore aujourd’hui, y compris pour l’action publique : « J’aime les idées fixes, disait-il, à condition d’en changer ».

 

La leçon scientifique et morale léguée par François Jacob, c’est donc aussi la certitude que la génétique éclaire d’une lumière nouvelle la condition humaine, mais qu’elle n’est pas un déterminisme, qu’il y a une part, une grande part laissée à la liberté, à la décision individuelle de faire le destin. Rien n’est écrit, rien n’est conçu d’avance. Tout se construit à partir d’un patrimoine reçu, mais qui peut, à chaque fois, se transformer pour le bien de l’humanité.

 

Voilà ce qu’était François Jacob : un grand chercheur, un grand résistant, je l’ai dit, un grand homme, un combattant sur les champs de bataille d’abord, dans les laboratoires ensuite, dans la société toujours.

 

Un homme cherche toujours son unité, ce qui va lier les épisodes de sa vie, les temps forts de son existence. Qu’est-ce qui construit la logique aussi d’un vivant ? Celle de François Jacob, c’était la liberté.

 

Je veux le citer pour terminer comme un appel à la génération d’aujourd’hui. Lui disait : « Ceux de ma génération, en quoi pouvaient-ils croire ? On leur avait volé leur jeunesse, tué leurs amis, écrasé leurs espoirs, leurs enthousiasmes ». Il ajoutait : « De tous les grands mots il n’y avait guère que « Liberté » qui avait résisté. C’était pour la liberté qu’il avait quitté maison, famille, pays. Pour la liberté qu’il s’était battu. Pour la liberté qu’il avait été comme d’autres, à un moment blessé, pour la liberté qu’il avait refusé que n’importe qui  puisse faire n’importe quoi. »

 

J’invite aujourd’hui, devant la grande figure de François Jacob, tous les Français à entendre cet appel et à savoir poursuivre, à leur façon, le combat pour la liberté, pour l’égalité, pour la dignité humaine, pour le progrès de l’humanité. Ce combat n’est pas achevé, il connait toujours des étapes et c’est à chaque fois l’honneur d’un homme ou d’une femme d’en être, à un moment, le héros.