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Publié le 18 Décembre 2002

Shmuel Trigano, universitaire : <i>« Comme ils avaient inventé le terrorisme international dans les années 1970, les Palestiniens viennent d’inventer une nouvelle guerre qui, avec Al Qaeda, s‘étend aujourd’hui à toute la planète… »</i>

Question : Shmuel Trigano, vous êtes professeur des Universités. Vous avez publié récemment « L’ébranlement d’Israël. Philosophie de l’histoire Juive » aux Editions du Seuil. Ce titre n’est-il pas un peu trop pessimiste, terrible en définitive. Cherchez-vous à ébranler vos lecteurs ? Et surtout de quel ébranlement s’agit-il ?



Réponse : Pour le politologue, la politique n’a rien à voir avec des états d’âme mais la réalité des forces en présence. Tous les livres que j’ai publiés (1) témoignent, j’espère, que l’écriture est pour moi un exercice de vérité et pas de séduction. On ne joue pas avec des choses aussi graves. « L’ébranlement d’Israël » tente d’analyser ce qui est en jeu dans la situation qui s’est créée depuis deux ans et que les cadres mentaux actuels obscurcissent, voire défigurent, parce qu’ils sont devenus caduques. C’est bien plus qu’une configuration passagère qui est ici en question mais un tournant. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle au paradigme stratégique inédit et cela remet en question nos certitudes les plus chères. C’est la légitimité des formes de l’existence juive depuis la deuxième guerre mondiale qui est ébranlée. Sont en cause autant la notion d’une communauté dans la citoyenneté que celle d’un Etat des Juifs dans le monde démocratique: en un mot la capacité des Juifs à être reconnus comme sujets de l’histoire. Ces formes ont constitué notre façon de revenir dans l’histoire après la deuxième guerre mondiale et de racheter une modernité défaillante qui avait abandonné les Juifs à la destruction.

C’est ce qui se trame aujourd’hui derrière le procès que l’on fait apparemment à la politique d’Ariel Sharon mais qui décrit tout Israël dans les termes de l’apartheid et du nazisme ou, pis encore, d’un « péché originel ».

Les données sont brouillées. Ainsi observe-t-on un étrange clivage qui voit ceux-là même qui délégitiment l’existence d’Israël se faire les chantres de la « mémoire de la Shoah » et de la lutte contre le racisme, reconnaissant, en somme, la victime et l’objet humanitaire dans le Juif pour mieux lui dénier le droit à la liberté. Le concept de « terrorisme d’Etat » est très significatif à cet égard: l’armée régulière d’une démocratie est ainsi assimilée à une bande terroriste. Le paradoxe veut que les terroristes palestiniens soient qualifiés, eux, de « combattants »… Une telle manipulation morale n’est possible que parce que l’Etat d’Israël est implicitement tenu pour illégitime (dès qu’il se manifeste comme un Etat, à l’instar de tous les autres Etats).

Une grande partie de l’opinion juive a très bien compris ce qui se trame et fait preuve d’un très grand sens politique, hélas, bien loin d’avoir été relayé. Cet ébranlement concerne les fondements même de l’identité juive des 50 dernières années, tout spécialement en Europe. Finalement, le choc, c’est moins la haine viscérale du monde arabo-islamique que ce dont l’inconscient européen peut être capable 50 ans après la Shoah.

Question : Vous évoquez longuement la déshumanisation dont Israël serait l’objet. Pensez-vous réellement que les stratèges palestiniens escomptent déshumaniser Israël ? Ou qu’inversement, ils tenteraient de se substituer à lui, comme si l’on ne devait plus reconnaître Israël qu’à travers un autre, en se libérant du poids de l’Israël réel ?

Réponse :
La stratégie de guerre des Palestiniens vise à redéfinir le conflit politique en conflit humanitaire, c’est à dire à le dépolitiser. Avec pour finalité de provoquer une ingérence « humanitaire », qui se fera inéluctablement à leur profit et qui imposera à Israël un diktat international.

Comment cela se peut-il uniquement avec Israël ? L’humanitarisation du problème politique du Proche Orient, vise à déshumaniser Israël. Et pourquoi ? Tout simplement parce qu’aux yeux de l’Occident, la seule légitimité d’Israël est humanitaire, référée à la Shoah, et non historique politique. Le comportement « politique »normal de l’Etat d’Israël devient sous ce jour une insulte à la mémoire de la Shoah dont Israël est censé tirer son existence, une monstruosité qui répète la monstruosité dont les Juifs ont souffert alors.

Cette stratégie inspire des tactiques machiavéliques parfaitement coordonnées et cohérentes. L’utilisation des enfants comme arme en est la pièce maîtresse : elle a visé à camper l’armée israélienne en position de monstre tirant sur des enfants désarmés. L’étalage complaisant de la souffrance palestinienne joue ce rôle : vous n’avez pas été sans remarquer également l’étalage des morts, des cadavres, des blessés, un spectacle de prédilection des cameramen palestiniens des télévisions étrangères (ceux là seuls qui sont autorisés à filmer les territoires, selon les directives de l’Autorité palestinienne) –, le décompte des morts transmis par les Palestiniens et répercuté par toutes les télévisions de façon lancinante, etc. Rien de tel pour les Israéliens, bien sûr, si ce n’est dans une plus faible échelle, récemment.

Par ailleurs, la tactique des attentats de masse sanglants, visant des civils et perpétrés par d’apparents civils (les pseudo kamikazes) visent à construire la guerre comme une guerre de rue, une guerre civile, une guerre ethnique à la manière du Kosovo, irrationnelle et folle sans raison politique censée. Enfin, last, but not least, la personne humaine devient elle même une arme militaire (cf. les homme bombes) destinée à des exterminations génocidaires visant spécialement les Juifs.

Un nouveau type de guerre vient d’être inventé qui ne dit même plus son nom. Comme ils avaient inventé le terrorisme international dans les années 1970, les Palestiniens viennent d’inventer une nouvelle guerre qui, avec Al Qaeda, s‘étend aujourd’hui à toute la planète.

Question : Vous écrivez que le phénomène le plus marquant de la première année de la guérilla palestinienne fut sans aucun doute l’utilisation des enfants dans les combats de rue. Vous parlez d’enfant-martyr. Comment expliquez-vous que l’on puisse utiliser des enfants ? Ne pensez-vous que les enfants expriment une révolte et un mal être quotidien?

Réponse :
Franchement, enverriez-vous vos enfants défier des soldats? Et surtout, les utiliseriez-vous comme un bouclier de protection de tireurs, postés derrière eux et dirigeant leurs tirs sur ces mêmes soldats ? Le mot « mal-être » est inapproprié quand ces enfants sont éduqués et entraînés pour devenir des « martyrs », quand toute une société place le meurtre de civils juifs et la mort de leurs assassins au sommet de son échelle de valeurs, quand les familles de ces assassins reçoivent des récompenses financières des pétro-monarchies ou de l’Irak. Aucun Juif n’a fait sauter les villes d’Europe après la Shoah ou au lendemain de leur exclusion en masse du monde arabe, que je sache. Assez de cette complaisance tiers-mondiste qui est un défi à la morale !

Le rituel des hommes bombes est très clair de ce point de vue : il suppose une préparation, un « émir » qui donne l’ordre du meurtre, une célébration collective après coup. Aucun homme bombe ne tue sous sa propre gouverne. Au demeurant, dans l’opinion palestinienne on murmure contre ces émirs qui ont planqué leurs gosses à l’étranger et envoient des malheureux et des naïfs au casse pipe.

Question : Quels ont été selon vous les conséquences du processus d’Oslo ? Pensez-vous réellement qu’Israël « devait se sacrifier, seul d’entre tous, sur l’autel d’une bonne conscience humaniste » ?

Réponse :
Etes-vous conscient que le fameux « processus d’Oslo » constitue un cas unique dans l’histoire des relations internationales ? Où a-t-on vu un Etat provoqué à une guerre qui avait pour finalité son extermination (la guerre de 1967), se dépouiller des atouts de sa victoire inopinée, remettre à ses ennemis jurés un territoire et des armes et n’avoir pour toute demande que ce dernier veuille bien le reconnaître ? Eh bien cela s’est passé avec Israël ! Le processus d’Oslo assigne nécessairement Israël à la place du coupable : si jamais le vainqueur qu’il a été se rebiffe et assume à nouveau la réalité de sa condition, il apparaît inéluctablement comme un fauteur de guerre, alors même qu’il a fait preuve d’une ascèse exceptionnelle en entrant dans le processus, une démarche qu’aucun pays au monde - et d’abord les si vertueux Européens- n’ont jamais fait pour leur part. Et je ne parle pas des Etats arabes : qu’ils triomphent demain et vous verrez comment ils effaceront Israël de la carte ! Les Palestiniens et le camp arabe qui sont les agresseurs depuis 50 ans sont devenus ainsi, par la magie d’Oslo, des « victimes » innocentes. Mais d’où vient la situation présente sinon des agressions arabes depuis 50 ans ?

Le principe de la paix contre les territoires repose sur une malversation historique et morale car si Israël se retrouve dans ces territoires, c’est bien parce que les Etats arabes l’ont agressé en 1967. Ces territoires n’étaient pas Palestiniens mais annexés par la Jordanie et l’Egypte, une situation dont personne ne se plaignait, pas même les Palestiniens ou l’ONU… C’est de la paix contre les territoires qu’il faudrait plutôt parler. On ne peut imaginer de rendre ces territoires sans la conclusion pleine et entière, ferme et définitive de la paix. Oslo remettait cette question à plus tard, une fois qu’Israël se serait dessaisi de tous ses atouts et qu’il se retrouverait sous la menace des Palestiniens, ce que fut l’Intifada. Les Palestiniens ont obtenu à Oslo des choses très concrètes et Israël des paroles creuses. Ce modèle de négociations imaginé par des universitaires sans expérience diplomatique ni politique ne peut plus être ressuscité. Il a conduit à une catastrophe pour Israël et la paix du monde.

Question : Vous avez des mots très durs pour parler de la gauche israélienne. Que lui reprochez-vous ?

Réponse :
De ne pas avoir fait son examen de conscience ni reconnu ses erreurs. C’est capital pour son avenir, si elle en a un. Je ne sais d’ailleurs pas en l’occurrence ce que veut dire « la gauche ». Cela fait belle lurette que la gauche israélienne est le parti des classes aisées de la société israélienne et qu’elle n’incarne pas plus la morale que la droite (à l’instar, d’ailleurs, de ses comparses partout ailleurs dans le monde).

Le concept de « camp de la paix » me semble particulièrement antidémocratique, de ce point de vue là. Voilà un parti politique qui défend des intérêts partisans limités, mais qui accapare la paix, telle qu’il la comprend en fonction de son prisme idéologique, et qui dénie à ceux qui ne souscrivent pas à ses intérêts partisans le souci de la recherche et de l’idéal de la paix. Pendant des années, il y a eu une véritable intolérance dans les milieux de l’intelligentsia et des élites qui n’hésitaient pas à stigmatiser des stigmates de l’intégrisme ou de l’ultra-droite ceux qui avaient le malheur de ne pas penser « correctement ».Tout comme la République n’appartient pas aux chevènementistes, la paix n’appartient pas à la gauche israélienne.

En identifiant Oslo à un « camp », la gauche israélienne conduisait nécessairement à la division du monde juif, ce que Shlomo Ben Ami reconnaît ouvertement en avouant que faire la paix supposait la rupture de la paix civile israélienne. C’est dans cette brèche que s’est engouffrée l’attaque palestinienne.

Aujourd’hui, que propose Mitzna sinon de réitérer l’erreur de Barak avec le retrait unilatéral du Liban dont l’inefficacité a été démontrée ? Si une entente avec Arafat (son partenaire obligé, dit-il) n’est pas possible, il propose en effet de se retirer unilatéralement des territoires. Le monde arabe, Hezbollah et Palestiniens en tête, avaient vu dans le retrait du Liban, le signe du déclin de la société israélienne, et donc l’heure de lui donner le « coup de pied de l’âne » : ce fut la cause du déclenchement de l’Intifada. Mais il propose aussi de construire un mur de séparation d’avec les Palestiniens pour protéger Israël. En somme un mur de ghetto doublé d’une ligne Maginot… La défaite est inscrite dans ce programme. C’est affligeant !

Question : Il semble que vous soyez contre la création d’un Etat palestinien. Pour quelles raisons ? Comment expliquer-vous qu’une majorité d’Israélien semble se prononcer pour la création de cet Etat ?

Réponse :
Examinons les faits à tête froide. Il ne s’agit pas de « croire à » mais de vérifier les conditions de possibilité d’une chose. Il faut tout de même rétablir la vérité historique que nous avons trop eu tendance à négliger : sur le territoire de la Palestine du Mandat britannique, il y a déjà un Etat palestinien, la Jordanie dont la majorité de la population est palestinienne même si son régime est aux mains d’une dynastie qui ne l’est pas. La situation actuelle est le résultat de plusieurs refus arabes de partage du territoire et de la reconnaissance d’Israël. Aujourd’hui on accrédite cette idée fausse qu’une entité dénommée « Palestine » existait avant la création d’Israël. J’aimerais bien que l’on m’en donne les preuves historiques.

On peut par ailleurs objectivement douter qu’un deuxième Etat palestinien si exigu soit géopolitiquement viable, conjugué de plus à l’ambition politique démesurée qu’a démontré l’Autorité palestinienne et une démographie galopante sans négliger le retour des « réfugiés » (seul cas dans l’histoire où la condition de « réfugié » soit héréditaire)… Il deviendrait inévitablement un facteur de guerre contre la Jordanie bien sûr, dont la dynastie Hachémite ne résisterait pas à une révolte populaire et contre Israël ensuite.

La manipulation à laquelle s’est livrée l’Autorité palestinienne sur les citoyens israéliens d’origine palestinienne est évidente aujourd’hui. On ne voit pas pourquoi elle ne s’exercerait pas sur les Jordaniens demain, quand le temps sera venu. L’adversité risquerait d’être multipliée par 1000 par rapport à aujourd’hui. Avant l’Intifada savez-vous que 80 000 voitures israéliennes étaient volées chaque année par les Palestiniens en toute impunité au vu et au su d’une « police » qui tient plus de la mafia que d’un fonctionnariat ? Cette situation montrait que la société israélienne, société ouverte et non policière, se retrouvait livrée passivement aux exactions de ses voisins auxquels elle venait de reconnaître le droit démocratique d’autodétermination. Ce à quoi Oslo a conduit n’est qu’un avant goût de la situation catastrophique que produirait la création d’un troisième Etat sur le territoire de la Palestine mandataire. L’imbrication des territoires et des populations mettrait nécessairement Israël sous la menace permanente d’un voisin très avide et sûr du soutien d’un puisant et hostile monde arabe. C’est depuis Oslo qu’Israël n’est plus une sorte de « sanctuaire » dans la guerre israélo-arabe : il y avait bien plus de sécurité intérieure auparavant. Peut-être un Etat palestinien sera-t-il créé du fait de la pression internationale. Bien sûr qu’une majorité d’Israéliens peuvent se prononcer pour un une telle création, quoiqu’il faille prendre avec beaucoup de précautions les sondages (la façon dont la question a été posée est notamment décisive). C’est le signe qu’Israël est profondément pacifique, mais cela ne veut pas dire que ce jugement, s’il est vérifié, soit bon. Je crains pour ma part qu’une telle création ne constitue qu’une étape vers une autre guerre, celle que le mouvement palestinien déclenchera quand il se sera installé et s’en sentira capable. Lisez les déclaration d’Arafat, de nombreux leaders palestiniens y compris des « modérés », le défunt Fayçal El Husseini, par exemple, qui parlent ouvertement dans le débat arabe (mais pas à destination de l’Occident) de leur « plan par étapes » pour conquérir toute la « Palestine ».

Dans l’absolu, je peux accepter l’idée d’un Etat palestinien, et mes écrits en témoignent comme ils témoignent que je ne suis pas un fervent de l’Etat-nation, mais voilà, l’expérience des deux dernières années nous a fait redescendre du ciel des croyances vers la réalité. C’est sur la base de cette expérience que je doute que la création d’un Etat palestinien apporte la paix à Israël. Il faudrait une réelle conversion du monde arabe au choix de la paix et à la reconnaissance de la condition de sujet libre au non–musulman, à la démocratie en somme. Une révolution culturelle !

Question : Vous semble-t-il qu’il y aura un jour une fin au conflit israélo-arabe ? Que diriez-vous à un palestinien si vous le rencontriez ?

Réponse :
Le problème, c’est que les Palestiniens, je les ai déjà rencontrés. J’ai participé à la logique de la paix, j’ai écrit durant des années des textes allant dans ce sens. Mais j’ai le sentiment, partagé par beaucoup, d’avoir été trompé et de m’être politiquement trompé. Pas nécessairement moralement.

Nous ne sommes pas dans le même univers mental, ni ne vivons dans la même temporalité historique. Les Juifs sont dans un âge post national alors que les Palestiniens sont dans un âge proto-national. La rencontre entre les deux partenaires s’avère donc difficile : la mentalité proto-nationale a un grand appétit, des dents très acérées alors que la mentalité post nationale est prête à (trop) lâcher du lest. Il faut attendre que l’idée de la paix fasse son chemin chez les Palestiniens, qu’ils cessent de rêver à leur fantasme de la Palestine du Jourdain à la mer. Il faudrait aussi pour cela que l’Europe cesse de les entretenir dans l’idée que ce rêve est réalisable, en délégitimant Israël.

C’est cela qui nous est apparu avec l’échec d’Oslo : le discours interne du monde arabe, loin des mirages qu’il a fait miroiter à l’Occident, n’a pas fait son deuil de la destruction d’Israël. La société israélienne avait entamé, elle, une telle évolution, à l’origine de conflits profonds, générateurs d’affaiblissement du monde juif et exploités de facto par le camp arabe au désavantage d’ Israël.

Soyons réalistes : le monde arabe est au sommet d’une puissante vague antisémite, jusque et y compris parmi les pays qui ont fait la paix avec Israël. La paix s’est éloignée ces deux dernières années. Comment cette génération palestinienne élevée dans la haine des Juifs passerait-elle subitement à une volonté pacifique ? Si vous estimez que cela est possible c’est que vous ne prenez pas au sérieux ni ne respectez le monde arabe. Je le prends quant à moi très au sérieux. Les Arabes font ce qu’ils disent.

Question : Vous animez l’Observatoire du Monde Juif. Pourquoi teniez-vous à créer un Observatoire ? Qu’observez-vous ?

Réponse :
Durant un an les institutions gouvernementales, les médias, des institutions juives ont gardé le silence sur 450 agressions antisémites. L’information ne passait pas et quand elle passait, elle était retournée contre les Juifs. Avec un ensemble de chercheurs, nous avons estimé qu’il fallait révéler la vérité à l’opinion publique et ouvrir la voie à un nouveau type d’information concernant le monde juif, qui mettrait un terme au règne de la mythologie et de l’émotion, en recourrant aux méthodes de l’analyse universitaire.

Nous avons ainsi entamé une enquête sur toutes les questions gênantes qui se posent aujourd’hui : les agressions antisémites, le dévoiement du discours journalistique biaisé par son option pro palestinienne, l’idéologie néo-gauchiste antisioniste et ses retombées antisémites et, aujourd’hui, notre dernière livraison, le discours islamiste sur les Juifs (2). Nous avons rempli notre rôle d’alerte et d’éveil, je crois, remplissant un rôle que personne n’honorait pour toutes sortes de raisons, au bénéfice non seulement de la communauté juive mais de la société nationale.

Nous observons ainsi les différents aspects d’une crise profonde de la condition juive des 50 dernières années sous tous ses aspects et nous fournissons les éléments de la réflexion et de l’analyse de ses tenants et aboutissants. Nos travaux sont destinés en premier à toute la classe politique et intellectuelle (mais aussi ecclésiastique). Nous assurons un service de 2500 exemplaires de chacune de nos productions envoyées gratuitement. Mais par ailleurs nous avons des cotisants individuels ou institutionnels. Pour l’instant, notre fonctionnement reste militant, sans cadre secrétarial. Une équipe bénévole assure des taches indispensables sans lesquelles rien ne serait possible. Nous espérons être soutenus de façon plus conséquente…

Question : Depuis deux ans, on parle de plus en plus du malaise des Juifs de France. Les Juifs de France seraient-ils selon vous des victimes ? Pensez-vous que les Juifs de France vont quitter ce pays ou que le judaïsme français est condamné ?

Réponse :
Malaise est un terme psychologique, ce qui voudrait dire à nouveau que nous parlons d’un état d’âme et donc de quelque chose qui n’a rien à voir avec la réalité. Ce n’est pas cela qui m’intéresse mais la réalité. Et la réalité est de l’ordre de la politique et pas du fantasme. Objectivement, je crains fort que le cadre global de l’existence juive ait changé et que le modèle communautaire que nous connaissons ne lui soit plus adapté. Nous avons quelques années pour juger si c’est bien ce qui se passe, voir quelle direction prend la société civile et l’Etat et évaluer les chances de la continuité juive dans le nouvel ordre socio-politique qui est en gestation. Je ne suis sûr de rien.

Si ce verdict se confirme, cela représenterait une expérience dure et éprouvante, on s’en doute bien. Si j’en crois l’enquête d’Eric Cohen pour le FSJU, ce pronostic est envisagé comme possible par 1/5 des Juifs de France, soient 100 000 personnes, qui avouent leur intention de quitter la France dans les années à venir (c’est une vérification de l’ébranlement dont je parle). C’est là un phénomène social très réel et significatif.

Le travail que nous accomplissons avec l’Observatoire, ce livre même dont nous parlons, n’ont de sens à mes yeux que pour prévenir cette éventualité négative. Ils témoignent de notre confiance dans le langage et la raison, mais aussi dans la responsabilité de nos concitoyens. Le seul objectif immédiat des Juifs de France doit être l’assurance que les règles universelles de la citoyenneté soient respectées dans la nouvelle configuration socio-politique qui se met en place et dans le respect la réalité de ce qu’ils sont, une réalité toujours en conformité avec les lois, bien sûr.

Propos recueillis par Marc Knobel
Observatoire des médias


( 1) L’ébranlement d’Israël. Philosophie de l’histoire juive, Paris, Le Seuil, 2002 ; L’idéal démocratique à l’épreuve de la Shoah, Paris, Odile Jacob, 1999 ; Un exil sans retour? Lettres à un Juif égaré, Paris, Stock, 1996 ; Le temps de l’exil, Paris, Manuels-Payot,2001 ; Qu’est-ce que la religion ?, Paris, Flammarion, 2001 ; Gallimard,2001. La nouvelle question juive, l'avenir d'un espoir, Paris, Gallimard, 1979, réédité in Folio-Gallimard, 2002…
Shmuel Trigano a dirigé La société juive à travers l'histoire en quatre tomes Paris Fayard 1992-1993

(2) Bulletin n°1 « Les Juifs de France, victimes de l’Intifada ? », novembre 2001 ; Bulletin n°2 « Les agences de presse et la couverture de la deuxième Intifada : déontologie journalistique et choix idéologiques face à Israël », mars 2002, et dans la série Dossiers et documents de l’Observatoire du monde juif : « Le conflit israélo-palestinien : les médias français sont-ils objectifs, », juin 2002 ; Bulletin n°3 « Le néo-gauchisme face à Israël : la dissociation de l’«antiracisme » et de la lutte contre l’antisémitisme », juin 2002 ; Bulletin n°4-5 « L’islamisme et les Juifs : un test pour la République » Décembre 2002
(Trimestriel, 22 € par an, à Observatoire du monde juif, 78 Avenue des Champs Elysées, 75008 Paris).