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Il aura fallu près de trois mois à Clément Weill-Reynal pour commenter mon enquête, “ Au nom de l’antisémitisme ”, publiée dans le numéro de décembre 2002 du Monde diplomatique. Et pourtant sa réponse ne convaincra que les convaincus.
Clément Weill-Reynal me reproche, sans rire, d’“ introduire la question de l’antisémitisme dans le débat sur la guerre israélo-palestinienne ”. Nombreux sont - hélas ! - les journalistes et, plus généralement, les intellectuels à pouvoir témoigner que la critique de la politique du gouvernement israélien leur a valu, depuis deux ans, d’être diffamés, voire accusés d’antisémitisme : trop longue pour être reproduite intégralement, la liste comporte, entre autres, Dominique Bromberger, Jean-Yves Camus, Sylvain Cypel, Charles Enderlin, Alain Lipietz, Daniel Mermet, Edgar Morin, Mouna Naïm, Sami Naïr, Gilles Paris, Edwy Plenel, Danièle Sallenave, Alexandra Schwartzbrod, Xavier Ternisien… et le signataire de ce droit de réponse. Certains d’entre eux furent même l’objet de procès pour antisémitisme, que les plaignants ont d’ailleurs tous perdus.
Qui est derrière cette chasse aux sorcières ? Clément Weill-Reynal écarte d’un revers de main l’idée que des Juifs d’extrême droite puissent y jouer un rôle important. Et il dénonce comme un “ amalgame ” l’affirmation selon laquelle des Juifs se réclamant de la gauche ont laissé faire. En vérité, il suffit de parcourir Internet pour vérifier l’une et l’autre sur les sites (répugnants) de l’extrême droite juive. Un exemple suffira. Le 7 février 2003, le site du Comité pour une information authentiquement juive (CPIAJ) - qui combat les “ déchets ” (c’est-à-dire les Palestiniens et, par extension, les Arabes) et les “ déchétophiles ” - vitupérait “ la frange de fange juive composée de quelques centaines de traîtres et de malades existentiels ” contre qui “ la batte de base-ball ou la barre de fer seraient appropriées ” et s’écriait : “ Mais quels progrès ! (…) Nous sommes fiers et heureux de constater la téchouva de certains qui étaient très loin, comme Finkelkraut, BHL et même E. Schemla. et tant d'autres. ” Vu sa défense et illustration de la politique d’Ariel Sharon, Clément Weill-Reynal ne déparerait pas dans cette liste…
Quel est le but de ce terrorisme intellectuel ? À mon avis, il s’agit de contraindre à l’autocensure ceux qui écrivent et disent qu’Israël viole la légalité internationale. Clément Weill-Reynal, tentant de nier cette évidence, se prend les pieds dans la Quatrième convention de Genève (que je n’évoquais d’ailleurs pas dans mon article), dont tout juriste lui confirmera pourtant qu’elle s’applique à l’ensemble des territoires occupés ( ). Un conseil : qu’il se contente des résolutions des Nations unies, et il constatera que celles-ci, depuis plus d’un demi siècle, se sont prononcées successivement pour le partage de la Palestine en deux États ainsi qu’un statut international pour Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs foyers ( ), le retrait d’Israël des (“ de ” en anglais) territoires arabes occupés en 1967, mais aussi contre l’annexion de Jérusalem-Est, la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza, les destructions de maisons et le “ transfert ” de populations, etc. Israël n’est bien sûr pas seul en cause dans la non application de ces résolutions, mais comment ne pas reconnaître qu’il porte une grande part de responsabilité ?
Clément Weyl-Reynal “ comprend ”, dit-il, mon “ embarras ” concernant la coïncidence entre l’éclatement de la seconde Intifada et la multiplication des incidents anti-juifs. Quel embarras ? Selon lui, ce sont les images du conflit du Proche-Orient qui auraient enflammé les banlieues. Dois-je comprendre qu’il fallait cacher l’extrême violence de la répression israélienne, lors de l’éclatement de la seconde Intifada, de l’opération Rempart ou des actuels assassinats en série ? Et, par souci d’équilibre, devrait-on peut-être ne pas montrer les monstrueux attentats-kamikazes ? Absurde ! Réfléchir sur la force des images et manier celles-ci avec responsabilité est une chose, censurer la réalité en est une autre…
Mais revenons sur la simultanéité des événements. Car elle confirme que, contrairement aux affirmations irresponsables de ceux qui ont osé parler de “ Nuit de cristal ”, voire d’“ Année de cristal ”, la France n’est pas redevenue subitement antisémite, pas plus d’ailleurs que les jeunes Maghrébins dans leur ensemble. Les informations dont nous disposons désormais indiquent que les actes anti-juifs sont en général le fait de jeunes marginaux de quartiers dits “ sensibles ”, arabes ou non, qui s’y livrent à bien d’autres actes de violence. Raison de plus pour travailler à la mobilisation commune de toutes les forces démocratiques - indépendamment de leurs origines, de leurs opinions et de leur religion -contre tous les racismes.
Appeler, comme le 7 avril 2002, à une manifestation contre l’antisémitisme ET pour le soutien à Israël, c’est gêner ce nécessaire rassemblement unitaire, au profit d’un repli identitaire qui isole les Juifs de leurs alliés. Sans doute la prise de conscience croissante de cette nécessaire unité antiraciste explique-t-elle pour une part les remous suscités, jusqu’au sein du Comité représentatif des institutions juifs de France (CRIF), par les déclarations de Roger Cukierman sur l’alliance “ brun-vert-rouge ” : il est réjouissant que même des responsables communautaires, comme Alain Jacubowicz, aient eu le courage de rappeler au président du CRIF que son rôle n’est pas de défendre la politique du gouvernement israélien…
Clément Weill-Reynal estime enfin que la couverture du conflit du Proche-Orient par Le Monde diplomatique n’est pas assez “ contradictoire ” et nous suggère d’exposer les “ thèses du Likoud ”. Je doute que nous puissions exaucer ce vœu : Le Monde diplomatique, il ne s’en cache pas, est un journal d’opinions, et parmi celles-ci ne figurent pas les thèses de la droite israélienne. En revanche, les Internautes visitant le site du CRIF apprendront sans doute avec intérêt que, parmi nos collaborateurs, figurent Joseph Algazy, Elie Barnavi, Yossi Beilin, Boaz Evron, Amira Hass, Amnon Kapeliouk, Amos Kenan, Yehuda Lancry, Benny Morris, Shimon Pérès, Marius Schattner, Zeev Sternhell, Abraham B. Yehoshua, etc.. Rien là d’étonnant : n’en déplaise à mon confrère, Le Monde diplomatique n’est pas pro-palestinien, ni anti-israélien. Notre conviction, c’est que seule la création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël est de nature à garantir, non seulement le droit à l’autodétermination des Palestiniens, mais aussi la pérennité de l’État juif. Ceux qui s’opposent à cette perspective menacent les deux peuples d’une guerre interminable à laquelle, démographie aidant, ni l’un ni l’autre ne survivra.
Clément Weill-Reynal a, il est vrai, des circonstances atténuantes : de son propre aveu, il s’endort avant la fin des articles du Monde diplomatique...
Dominique Vidal
(1) Les statuts de la Cour pénale internationale, entrée en vigueur le 1er juillet 2002, considèrent même les colonies de peuplement dans un territoire occupé comme un crime de guerre.
(2) Ce droit a d’ailleurs été officiellement reconnu par Israël et ses voisins arabes, le 12 mai 1949, par un protocole, dans le cadre de la conférence de Lausanne.