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Le Crif : Quel est l’enjeu majeur de ces élections européennes, pourquoi les électeurs français doivent, selon vous, se mobiliser et aller voter le 9 juin ?
Valérie Hayer : Parce que ces élections sont sûrement les plus importantes depuis leur création, en 1979. Les défis auxquels l’Europe fait face sont inédits, par leur nombre et leur enjeu. La question, au fond, est assez simple : souhaitons-nous renforcer ou réduire la place de l'Europe dans le monde ? Souhaitons-nous approfondir ou réduire le projet européen à l'ombre de lui-même ?
Avant de se projeter vers l’avenir, il est nécessaire de prendre du recul sur cette aventure dans laquelle la France s’est engagée il y a plus de 70 ans. Au sortir du conflit mondial le plus meurtrier, les États européens décident de coopérer. Cette décision salutaire a permis à l’immense majorité des électeurs d’aujourd’hui de vivre des décennies de paix sur notre continent. Mieux, leurs conditions de vie se sont améliorées : le pouvoir d’achat a été multiplié par cinq depuis 1960 en France, nos capacités à vivre, étudier et apprendre les uns des autres se sont multipliées. L’Union européenne n’est pas exempte de toute critique. La France a aussi trouvé les moyens de davantage peser dans le cours du monde, par l’Europe.
Demain, le 9 juin, les populistes et les extrêmes attiseront les braises et s’emploieront à polariser le débat pour monter un camp contre l’autre. Ce jeu mortifère participe au placement d’écoles sous protection policière, favorise l'entrisme des puissances étrangères pour mener des actions outrageantes comme les tags que l'on a pu voir dans les rues de Paris. Non, la radicalité ne ramènera pas la paix. Elle érodera au mieux la capacité de nos sociétés à vivre avec ses semblables.
Le Crif : Le Président de la République a souligné à plusieurs reprises les menaces que fait peser le régime de Vladimir Poutine sur l'Europe et la nécessité d'un « réarmement ». Concrètement, quelles propositions faites-vous pour renforcer la Défense de l'Europe ?
Valérie Hayer : L’enjeu, c’est la souveraineté européenne. Ces termes, employés par le Président de la République dès 2017 dans son discours de la Sorbonne, beaucoup les adoptent finalement aujourd’hui. Le retour de la guerre en Europe avec l’invasion russe en Ukraine, les menaces répétées de Vladimir Poutine vis-à-vis de l’Europe, comme les menaces proférées par Donald Trump en référence à l'OTAN, démontrent l’importance de construire une Europe plus puissante et souveraine en matière de défense.
La France s’est ainsi engagée à créer une culture stratégique commune tenant compte de l'évolution des menaces et des capacités européennes. Au niveau européen, à l’image de la France, nous avons engagé notre réarmement : adoption d’une stratégie de Sécurité et de Défense partagée, le premier budget militaire commun pour la défense doté de 13,7 milliards d’euros pour financer la livraison d’équipements militaires, renforcement de notre industrie européenne de défense avec un plan de soutien à la production de munitions de 500 millions d’euros, soutien opérationnel et livraison d’équipements militaires aux forces ukrainiennes, actions communes en matière de cyberdéfense, de coproduction d’armements ou de formation des forces ukrainiennes, volet opérationnel de l’Europe de la défense avec le lancement de quatre missions en un an (Ukraine, Arménie, Moldavie et Niger), développement avec l’Allemagne et l’Espagne du système de combat aérien du futur et du char de combat du futur, etc.
Notre ambition pour la prochaine mandature est d’accélérer ce réarmement en matière de défense, par le triplement des dépenses et des investissements des États pour l’achat et la production de matériel européen. Pour ce faire, nous proposerons notamment un emprunt commun de 100 milliards d’euros et la mobilisation de la Banque européenne d’investissement afin de financer le renforcement de nos moyens de défense collectifs et le développement de nos industries de défense. Nous défendons par ailleurs une préférence européenne pour nos industries de défense afin de réduire nos dépendances en matière d’équipements militaires et gagner en indépendance.
Le Crif : La France a signé avec l'Ukraine un accord pluriannuel de Défense, accord approuvé à l'Assemblée nationale par une large majorité, allant du Parti socialiste (PS) à Les Républicains (LR) en passant par la majorité présidentielle. Comment qualifiez-vous ceux qui se sont opposés (LFI, Parti communiste français) à ce soutien à l'Ukraine ou abstenus (RN) ?
Valérie Hayer : Ce vote a permis de faire tomber les masques. Soutenir l’Ukraine va bien au-delà des discours car les Ukrainiens attendent des actions concrètes. Cela ne consiste pas uniquement à tracer des lignes rouges pour le Président français sans en tracer aucune pour Poutine. Soutenir l’Ukraine, comme j'ai pu le constater sur place, implique un soutien humanitaire, financier et de défense, car défendre l’Ukraine revient à défendre notre propre indépendance. Ceux qui n'ont pas voté en faveur de ce texte ont en réalité adopté un esprit de défaite et se sont soumis au régime du Kremlin. Ils ne croient plus en une Europe forte car ils ne croient plus en une France forte. Moi, je crois tout l’inverse.
Le Crif : Dans les mesures d'intentions de vote pour les européennes du 9 juin, votre liste « Besoin d'Europe » est largement devancée par celle du RN de Jordan Bardella. Comment expliquez un tel niveau pour le mouvement lepéniste, et comment concrètement convaincre les électeurs de réduire cet écart ?
Valérie Hayer : Il ne suffit pas de déplorer la montée de l’extrême droite, il faut la combattre ! Je m'engage depuis fin février à dénoncer son hypocrisie, ses revirements sur tous les sujets : l’euro, la défense et les frontières. Voter RN le 9 juin, c’est approuver un Frexit déguisé. Quand vous souhaitez baisser la contribution de la France à l’Union, quand vous voulez sortir des traités, quand vous voulez remettre en place les frontières intérieures, vous vous mettez en dehors de l’Union. C’est ce que propose le RN.
Cette montée de l’extrême droite s'appuie sur une lame de fond qui touche malheureusement de nombreux pays européens. Cette poussée populiste découle en grande partie de la méconnaissance de l'Europe et des nombreux mythes parfois entretenus délibérément à son encontre et d’attentes auxquelles il nous faut encore apporter des réponses.
Le Crif : Depuis le 7 octobre la France a connu une flambée sans précédent d'actes et de menaces antisémites. Qu'est-ce que cela vous inspire personnellement et quelles sont les propositions que vous portez pour permettre de mieux lutter contre ce fléau, au niveau français et européen ?
Valérie Hayer : Le 7 octobre 2023 a été le jour du plus grand massacre antisémite de notre siècle. Tous les Français et tous les Européens l’ont vécu dans leur chair, parce qu’un pays et un peuple amis ont été frappés, parce que plusieurs de nos compatriotes comptent parmi les victimes et les otages, et parce que les terroristes du Hamas ciblaient aussi nos valeurs universelles communes.
L’Europe n’était pas épargnée par les violences et les slogans antisémites : en 2021, neuf Juifs sur dix estimaient que l'antisémitisme avait augmenté dans leur pays. Les massacres du 7 octobre ont encore attisé les actes et les déclarations inacceptables. Nous constatons, chaque jour en France, que ces actes se multiplient, parfois influencés par des puissances étrangères. Notre réponse collective doit être d’une absolue fermeté. C’est le cas dans notre pays, où des milliers d’interpellations ont été menées face à l’augmentation des actes antisémites. Le Garde des Sceaux, par circulaire, a également appelé les Procureurs à une réponse pénale systématique quelques jours après le massacre du 7 octobre.
Au-delà, le Président de la République a rappelé, le 18 mars dernier à l’occasion des 80 ans de votre organisation, que l’universalisme, l’école, l’enseignement de l’Histoire, la transmission mémorielle, restent et resteront notre meilleure réponse. Enfin, les partis et responsables politiques ont une responsabilité morale. Je ne comprendrai jamais les dirigeants d’extrême gauche qui ont soufflé sur les braises et voulu envenimer la situation. Ils ont légitimé la haine. Ceux qui ont fait alliance avec eux portent aussi une responsabilité : on ne s’allie pas avec ceux qui ne sont pas clairs sur la République et ses valeurs.
L’Europe, de son côté, doit faire plus et mieux. Beaucoup a été fait en quelques années, notamment dans le sillage de l’adoption de la Stratégie globale de lutte contre l'antisémitisme et de soutien à la vie juive. Mais il y a urgence à aller plus loin. Europol doit être mobilisé à chaque fois que la dimension transfrontière d’un acte antisémite est avérée. Des financements européens supplémentaires doivent être dégagés pour protéger les lieux de culte. Le nouveau règlement sur les services numériques (DSA) doit être appliqué strictement : quand un discours haineux est publié en ligne, nous devons pouvoir le savoir et le faire retirer ! Les influences étrangères au sein des institutions européennes, notamment par des organisations ou des associations liées à des structures islamistes, doivent être définitivement prohibées. Enfin, l’Europe doit désormais inclure les discours et les crimes de haine dans la liste des crimes de l’Union européenne, afin d’assurer des sanctions et des standards clairs dans toute l’Europe.
Le Crif : Compte tenu de la situation humanitaire à Gaza et des victimes civiles, la France réclame un cessez-le-feu. Israël veut assurer le démantèlement des infrastructures militaires du Hamas et obtenir la libération de tous les otages. Comprenez-vous ces conditions préalables et que le progrom du 7 octobre ait provoqué un traumatisme sans précédent dans la population israélienne ?
Valérie Hayer : Au lendemain de cette attaque effroyable commise par le groupe terroriste Hamas, le Président de la République et le Gouvernement ont exprimé une position claire. Nous n’avons jamais varié, ni tergiversé. Israël a connu l’attaque terroriste la plus tragique de son histoire et la France l’a immédiatement condamnée avec la plus grande fermeté. Israël a le droit de se défendre et de lutter contre le terrorisme, lutte dans laquelle la France s’est engagée avec force il y a plus de dix ans.
Il faut regarder le 7 octobre comme ce qu’il est, un attentat terroriste, une barbarie antisémite que nous n’avons pas le droit de minimiser ou de relativiser. Il ne peut jamais y avoir face au terrorisme ou face à l’antisémitisme de « oui, mais » et nous nous devons, comme le soulignait le Président de la République, d’être impitoyables avec tous les porteurs de haine.
Notre soutien est d’autant plus ferme et global que cette attaque terroriste du 7 octobre par le Hamas a suscité un effroi à travers les frontières et endeuillé le monde entier et particulièrement la France avec plusieurs de nos ressortissants lâchement assassinés.
Après la peine et l’effroi, il ne doit pas s’y ajouter maintenant l’angoisse pour nos compatriotes juifs de revivre des périodes de haine et d’antisémitisme.
Combattre le terrorisme et respecter nos valeurs fondamentales, c’est l’équilibre précaire que doivent rechercher nos démocraties si elles veulent rester elles-mêmes. C’est pourquoi, dans la riposte israélienne, le droit humanitaire international doit être respecté et les populations civiles protégées. Cette position est aussi simple que ferme : nous condamnons très fermement l’attaque du Hamas contre Israël et appelons à la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages encore détenus.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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