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Le Crif : Dans cette campagne des élections européennes, comment mieux faire comprendre aux Français l’importance des enjeux européens qui détermineront notre avenir ? Quels sont, pour vous, les deux ou trois domaines où la dimension européenne des décisions à prendre sont les plus importants ?
Nathalie Loiseau : Nous sommes trop souvent devenus des rentiers : de la paix, de la démocratie, de l’Europe. Nous avons hérité d’un continent libre, prospère et solidaire, qui est aujourd’hui face à des défis considérables. Si nous voulons transmettre à nos enfants ce dont nous avons bénéficié, il va falloir continuer à renforcer la construction européenne.
En matière d’industrie et de commerce, aucun pays européen ne fait le poids, seul, face aux États-Unis ou à la Chine. En matière de défense, nous savons que le monde est devenu instable, que la menace russe comme la menace terroriste islamiste nous imposent de nous réarmer. Là encore, l’Europe est la bonne échelle, car le parapluie américain n’est pas éternel. Nous avons enfin un modèle de société à défendre, celui de la démocratie libérale. Il est harcelé par des ingérences incessantes de la part de dictatures ou de mouvements islamistes qui détestent nos valeurs de libre arbitre. Les combattre justifie que nous soyons unis en Européens et non divisés et affaiblis.
Le Crif : La tête de liste du parti lepéniste RN, lié en Europe à d’autres mouvements d’extrême droite, poursuit la stratégie de banalisation de Marine Le Pen. Jordan Bardella arrive à caracoler nettement en tête dans les intentions de vote, loin devant la liste de Valérie Hayer. Comment expliquez-vous ce niveau, est-il seulement dû à une canalisation d’un « vote protestataire », et comment pensez-vous possible de réduire ce vote d’ici un mois ?
Nathalie Loiseau : Jordan Bardella parle de tout sauf d’Europe. C’est normal, il n’a pas de bilan, un projet dangereux et des alliés inmontrables. Il cherche à se faire passer pour un agneau mais il siège avec les loups : l’AFD allemande, le FPÖ autrichien, l’EKRE estonien sont des nids d’antisémites. Quant au RN, il continue de soutenir non seulement Vladimir Poutine mais Bachar El Assad, qui nie l’existence d’Israël et mange dans la main des mollahs de Téhéran. De tout cela, Jordan Bardella préfère ne pas parler. Il trompe ses électeurs.
Pendant longtemps, le vote d’extrême droite a servi de vote défouloir aux élections européennes, sans réelles conséquences tant le Front national (FN) puis le Rassemblement national (RN) restaient marginaux. Aujourd’hui, il faut rassembler les forces et voter utile pour protéger l’Europe de ses démolisseurs. Malheureusement, les députés français de Les Républicains (LR), du Parti socialiste (PS) ou des Verts ont très peu d’influence au Parlement européen. Seule la majorité présidentielle pèse vraiment : Valérie Hayer a présidé un groupe politique central, sans lequel il n’y aurait eu ni plan de relance, ni contrôle plus strict des flux migratoires, ni soutien au nucléaire, ni amorce d’une défense européenne. Les promesses que nous avons faites il y a cinq ans, quand je conduisais la liste, ont été tenues et nous avons aidé les Français à surmonter les crises. Quelle autre liste peut en dire autant ?
Le Crif : Des universités sont agitées par un activisme radicalisé qui se présente comme « pro palestinien ». Sciences Po a été bloqué à Paris, Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise (LFI) se sont mobilisés pour soutenir ce blocage, Rima Hassan (liste LFI) a même appelé au « soulèvement » (terme qui, comme l’a relevé Oriane Mancini de Public-Sénat, se traduit en arabe par « Intifada »). Vous qui avez dirigé l’ENA, comment en être arrivé là à Sciences Po ? Et comment y établir une nouvelle gouvernance, permettant le respect des règles élémentaires du monde académique ; l’État ne doit-il prendre rapidement ses responsabilités en la matière ?
Nathalie Loiseau : À l’ENA, j’ai initié la première collaboration entre l’École et les Cadets du service civil israélien, les futurs hauts fonctionnaires de l’État. C’est une grande fierté d’avoir fait dialoguer des jeunes israéliens, dont beaucoup n’avaient jamais quitté leur pays, et de jeunes Français. Je suis résolument hostile à l’arrêt des échanges entre Sciences Po et des universités israéliennes. Les jeunes qui manifestent aujourd’hui se rendront compte un jour à quel point ils ont été instrumentalisés et le réveil sera amer. Les mollahs de Téhéran les félicitent, LFI se sert d’eux, ils brandissent les mêmes mains rouges que les bourreaux du Hamas…
Ils veulent le cessez-le-feu à Gaza ? C’est le Hamas qui le refuse. Est-ce qu’ils réclament la libération des otages ? Est-ce qu’ils pleurent leur ancien camarade Omri Ram, qui revenait d’un semestre à Sciences Po quand il a été massacré par le Hamas au festival Nova, un festival de musique pour la paix ? Avec le collectif 7 octobre, nous demandons qu’une plaque à sa mémoire soit installée dans les locaux de Sciences Po. Sciences Po forme les élites de demain. Je les appelle à sortir de leurs certitudes, à se confronter au doute, à se méfier du manichéisme et à réserver l’intolérance à l’intolérable : l’antisémitisme, le racisme, la barbarie terroriste, la soif de mort et la haine de la vie.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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