Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Un Génocide à Gaza ? L’ordonnance de la Cour internationale de Justice

29 January 2024 | 123 vue(s)
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Chronique de Bruno Halioua, diffusée sur Radio J, lundi 12 février à 9h20.

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Israël

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Le 27 janvier, jour de l’arrivée des troupes soviétiques dans le camp d'Auschwitz Birkenau est devenu le jour international de la mémoire de l’Holocauste et porte en Europe le nom de journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité. Les 17 juges de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye qui ont rendu leur ordonnance (c’est le nom officiel de leur rapport) le jour précédent étaient certainement conscients de cette nauséabonde collision de dates. Dans l’enfer où j’espère qu’il se trouve, Faurisson doit frétiller d’émotion : 79 ans plus tard, les Juifs – car Israéliens et Juifs c’est évidemment la même engeance – seraient accusés de génocide. Et pour les ennemis d’Israël, la boucle est bouclée : il y a déjà eu la fabrication de la Neqba en miroir de la Shoah, il y aura maintenant l’ordonnance de la CIJ pour l’autre fabrication en miroir, celle qui assimile le sionisme au nazisme.

 

En fait, la CIJ signale à plusieurs reprises que son ordonnance ne porte pas sur la qualification même de génocide, mais sur la recevabilité de la demande de l’Afrique du Sud et sur les mesures « conservatoires » à prendre par Israël pour éviter une détérioration la situation humanitaire à Gaza. La décision sur le fond sera prise plus tard. 

 

Quand ?

 

On peut se référer à une autre plainte pour génocide que la CIJ a traitée, celle de la Gambie contre la Birmanie au sujet des Rohingyas : la plainte a été déposée en novembre 2019, une ordonnance prise en janvier 2020 portait sur des « mesures conservatoires » et en 2024, le jugement sur le fond n’a pas encore été prononcé. La formulation de ces mesures conservatoires est d’ailleurs en grande partie identique à celles qui sont demandées à Israël : prendre toutes les mesures afin de prévenir le meurtre des membres du groupe, ou une atteinte grave à leur intégrité physique et mentale, leur soumission intentionnelle à des conditions d’existence susceptibles d’entraîner la destruction physique totale ou partielle des membres du groupe ou d’entraver les naissances au sein du groupe ; veiller à ce que des unités militaires ne se livrent pas à ces actes, ne pas détruire les éléments de preuve et fournir un rapport sur les mesures préventives prises. Israël a un mois pour faire ce rapport, le Myanmar en a quatre. Ces mesures font donc partie d’un « package » plus ou moins standard.

 

Il y a cependant deux mesures complémentaires qui sont requises d’Israël. L’une est de prendre des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide urgente afin de remédier à la situation humanitaire dramatique des habitants de Gaza. L’autre est de punir l’incitation publique à commettre le génocide.

 

Ces deux points attirent d’autant plus l’attention qu’ils ont été votés par 16 juges sur 17 de la CIJ et que contrairement à ce qu’on pourrait penser, la voix discordante n’est pas celle de Aharon Barak, le juge israélien « ad hoc » nommé par le défendeur, mais celle de la juge ougandaise. Barak estime qu’il est normal pour Israël de tout faire pour éviter une catastrophe humanitaire à Gaza et qu’il est normal aussi de poursuivre ceux qui se seraient exprimés publiquement en faveur d’un génocide (des plaintes ont d’ailleurs déjà été déposées en Israël à ce sujet).

 

Parmi les arguments de l’Afrique du Sud, un grand cas a été fait de déclarations soi-disant génocidaires d’officiels israéliens. Ces phrases sont reprises telles quelles dans l’ordonnance de la CIJ, provenant en particulier du Président Herzog (dont on ne voit pas ce que ses commentaires ont de génocidaire), du Ministre de l’Énergie Israël Katz (dont les termes, « pas une goutte d’eau, pas une batterie ») sont surtout grandiloquents et maladroits et enfin celle du Ministre de la Défense Gallant, qui sous le coup de l’émotion, s’adressant à des soldats trois jours après les massacres barbares du 7 octobre a traité leurs responsables « d’animaux humains ». J’aurais dit exactement de même, encore que les animaux ne tuent et ne torturent pas pour le plaisir, mais cette phrase a été prise comme exemple de « déshumanisation des Palestiniens ». Il va sans dire que ni l’Afrique du Sud, ni la CIJ n’ont mentionné les célèbres hadiths qui figurent dans la charte du Hamas, et assimilent les Juifs à des porcs et à des singes et demandent à chaque musulman de les exterminer le Jour du Jugement. Le Hamas n’est pas l’objet de l’ordonnance de la CIJ qui ne connait que des États. 

 

Ces déclarations jouent un rôle capital dans la stratégie de l’Afrique du Sud : elles sont supposées dévoiler « l’intention » génocidaire, élément indispensable de l’incrimination. Même si on y ajoute des déclarations éparses d’abrutis politiques israéliens éloignés des décisions militaires, le dossier est plus que mince.

 

Quant aux descriptions de la catastrophe humanitaire à Gaza elles sont omniprésentes dans l’ordonnance de la CIJ et, s’il n’est pas question de nier la gravité de ce drame humain, il ne saurait entraîner une conclusion de génocide que s’il était prouvé que cette catastrophe est l’objectif réel des Israéliens. Or leur objectif est l’éradication du Hamas et non l’extermination des Palestiniens. Au regard des abominations du 7 octobre c’est un objectif absolument justifié, dont on sait que dans la situation du Hamas à Gaza (installations souterraines, intrication totale entre bâtiments civils et militaires) il impose malheureusement des destructions étendues. Dans le rapport de la CIJ (qui rappelle que la guerre a été provoquée par les massacres du 7 octobre commis par le Hamas et d’autres organisations), ces contraintes sur le terrain ne sont pas prises en compte. Au contraire une large place est faite à la description apocalyptique présentée par des organisations internationales. Or celles-ci ne sont pas toutes neutres dans ce conflit, que ce soit le groupe de rapporteurs spéciaux, dits « indépendants » (mais souvent choisis par les instances de l’ONU en fonction de leurs partis pris), l’OMS ou, bien évidemment l’UNWRA dont le rôle catastrophique commence enfin à émerger dans la communauté internationale. On peut noter que l’OMS écrit le 21 décembre que 93 % de la population de Gaza atteint des taux de famine critique, alors que le Programme alimentaire Mondial écrivait le jour précédent que 25 % de la population était confrontée à une faim extrême. La CIJ rapporte les deux pourcentages sans s’interroger sur leur discordance. À Gaza, les chiffres ne doivent pas être pris pour argent comptant…

 

Mais il y a dans l’ordonnance de la CIJ une présence et une absence qui changent drastiquement les conséquent du rapport. 

 

La partie sud-africaine avait « oublié » de parler des otages israéliens. Or, la CIJ rappelle que toutes les parties au conflit dans la bande de Gaza sont liées par le droit international humanitaire et elle appelle à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. Voilà une remarque bienvenue.

 

Quant à l’absence, elle saute aux yeux. La première demande de l’Afrique du Sud était celle d’un cessez-le-feu immédiat. Pas un mot dans l’ordonnance de la CIJ. Les ennemis d’Israël ont beau déclarer que le cessez-le-feu est inclus ipso facto par la demande de fourniture d’aide humanitaire adéquate car il en est le seul cadre possible, c’est évidemment faux. Si la CIJ l’avait voulu, elle l’aurait écrit, et même si les décisions de la Cour ne sont que consultatives, cela aurait considérablement fragilisé la position d’Israël. L’absence d’exigence de cessez-le-feu est un élément majeur de l’ordonnance de la CIJ. Elle explique que celle-ci a été perçue par beaucoup d’Israéliens comme une victoire aux points.

 

C’est néanmoins beaucoup dire. La Cour Internationale de Justice a statué, il faut le répéter, non pas sur le fait qu’Israël avait ou non commis un génocide, mais sur le fait qu’il devait prendre des mesures pour éviter qu’il y ait un. C’est là que réside la « plausibilité » de la plainte sud africaine et c’est sur cet argument que les mesures d’urgence « conservatoires » ont été édictées, laissant pendante la question de fond, alors que Israël demandait que la demande de l’Afrique du Sud fût déclarée irrecevable. 

 

Ces mesures, Israël les prend déjà, alors qu’il est engagé dans une lutte existentielle, sur laquelle la CIJ considère qu’elle n’a pas vocation à se pencher. La Cour ne désire pas sortir d’un juridisme que les non juristes vont qualifier d’étroit : il faut voir avec quel luxe de détails elle approfondit ce qui est une évidence, le désaccord entre l’Afrique du Sud et Israël, car cette notion est centrale dans la validité de la procédure. 

 

Elle ne veut pas non plus montrer qu’elle est insensible à la souffrance de la population palestinienne. À sa manière, elle a fait du « en même temps ». 

 

Les conséquences sont malheureusement connues d’avance : le qualificatif de « génocidaire » sera appliqué larga manu à Israël même si la Cour n’a pas statué là-dessus et qu’elle n’est pas prête de le faire.

 

L’incrimination d’Israël soulève le coeur au regard de la réalité, des règles d’engagement strictes auxquelles s’astreint l’armée israélienne et que ses ennemis ne respectent en aucune façon, jouant sur le registre d’une victimisation qui masque toutes les turpitudes avec une efficacité accablante.

 

La plainte de l’Afrique du Sud, pays dont les liens avec le Hamas sont avérés, relève d’une habile et abjecte opération politique. C’est ce qu’a exprimé la juge ougandaise, Julia Sebutinde. Elle encourt de ce fait le désaveu des dirigeants politiques de son pays. Honneur à elle. 

 

 

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif 

 

 

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