Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Huwara, est-ce un pogrome ?

02 March 2023 | 222 vue(s)
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Opinion

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Pendant que je regardais les vidéos impressionnantes des incendies allumés dans la petite ville de Huwara, à quelques kilomètres de Naplouse, une déchirante chanson Yiddish m’est montée à la mémoire. Vous la connaissez, Lea, « s’brennt, bridelech, inser shtetl brennt » : il brule, mes frères, notre village brûle… ». Cette chanson dont l’auteur, Mordechai Gebirtig, fut plus tard assassiné dans le ghetto de Cracovie, se réfère au pogrome de Przytyk, en 1936 en Pologne. Des paysans en colère et un parti politique, l’Endecja, chauffant les braises de l’antisémitisme… Le terme de pogrome a été critiqué par certains historiens qui préfèrent parler d’émeute et le nombre de morts, un paysan polonais et un couple de Juifs, ne se compare pas aux pogromes de Kichinev, Bialystok, Odessa, Iasi, Jedwabne, du Farhoud de Bagdad, Kielce, Alep et bien d’autres.

L’Autorité palestinienne, avec la modération qu’on lui connaît, a assimilé Huwara à la Nuit de cristal (90 morts, 7 000 immeubles et 1 000 synagogues brûlées et 30 000 Juifs envoyés en camp de concentration…). Les événements de Huwara ont provoqué du côté palestinien un mort apparemment dans une confrontation armée, plusieurs blessés surtout par inhalations de fumées et ont dévasté une trentaine d’immeubles et une centaine de véhicules.

Peut-on parler de pogrome ?

Elie Wiesel, après les émeutes de Crown Heights de 1991, provoquées par des jeunes Noirs après qu’un enfant eut été tué par une voiture conduite par un membre du Habad, protesta contre l’usage exagéré par les Juifs de ce terme à la définition particulièrement floue. 

Inversement, pour les ennemis d’Israël, accuser les Israéliens d’un pogrome serait un nouveau trophée linguistique ajouté à leur arsenal de mots boomerangs, Shoah-neqba, sionistes-nazis, etc.

Le fait que des commentateurs habituellement prompts à attaquer Israël aient parlé de pogrome pour qualifier les événements de Huwara a soulevé des protestations compréhensibles, car les dommages contre les Palestiniens étant essentiellement matériels, ce mot servait d’argument dans le débat politique.

Mais c’est une autre affaire lorsque le Major Général Yehuda Fuchs, responsable militaire de tout le centre du pays, parle lui aussi de pogrome, regrette que l’armée n’ait pas été en mesure de l’éviter et s’inquiète de la détermination des émeutiers, plusieurs centaines, qui ont d’ailleurs failli deux jours plus tard en venir aux armes avec les militaires.

 

Le pogrome de Huwara ne survient pas sans cause directe et on comprend la colère de ceux qui ont connu les deux jeunes frères, Hillel et Yagel Yaniv, tués à Huwara par un tireur Palestinien qui n’a pas encore été retrouvé, alors que son nom est connu, ou bien Elan Ganeles, le jeune israélo-américain assassiné dans sa voiture près de Jericho, dont les meurtriers ont été « neutralisés » ou bien ces sept habitants de Jérusalem assassinés le 27 janvier à la sortie de la synagogue et que nos journaux bienpensants assimilent aux neuf terroristes en préparation d’attentats éliminés plus tard à Jénine par l’armée israélienne. On ne peut qu’être révulsé par les manifestations de joie, les feux d’artifices et les distributions de gâteaux qui fêtent l’assassinat d’un Israélien, et les proclamations qu’il n’existe pas de civils israéliens et que Tel Aviv aussi est un territoire à libérer. 

Cela étant, les événements de Huwara, qu’on les appelle comme on veut, sont absolument incompatibles avec la tradition politique israélienne et contraires à l’engagement moral dont le judaïsme se prévaut. 

 

En dehors même de leur gravité propre, la polarisation qu’ils attisent fait en outre le jeu des ennemis d’Israël et rien n’arrange mieux les affaires du Hamas et de ses sponsors iraniens que des représailles collectives indiscriminées qui appellent à la vengeance et fracturent la société israélienne. Car de l'autre côté, un million de shekels a été collecté en Israël même pour les victimes des déprédations…

Bezalel Smotrich, qui a obtenu des pouvoirs majeurs sur l’administration des territoires et a proposé au ministre de la Défense israélien de démissionner s’il n’était pas d’accord, vient d’appeler à détruire (למחוק) la ville de Huwara. 

Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité intérieure, traite d’anarchistes ceux qui manifestent en masse contre la réforme judiciaire et utilise contre eux des mesures policières inhabituellement rigoureuses.

C’est une banalité que de dire que dans chaque société il existe des éléments extrémistes, exaltés, qui ont une force d’entraînement proportionnelle à leur enthousiasme simplificateur. Dans une démocratie, ils sont maintenus aux marges. En Israël, aussi minoritaires qu’ils soient, ils occupent aujourd’hui des positions de pouvoir considérables. C’est l’effet pervers du jeu des coalitions, a priori pourtant le plus démocratique qui soit.

Avec ceux qui prétendent de plus tirer une légitimité politique particulière de leur proximité avec une loi divine qu’ils orientent au gré de leurs idiosyncrasies, les risques sont grands. La Shoah a montré avec une clarté aveuglante que l’Histoire humaine ne peut pas s’analyser en termes de récompenses et de punitions divines. Il est de ce point de vue inquiétant d’entendre un ancien grand Rabbin d’Israël prétendre que les tremblements de terre sont une conséquence du laxisme de la société envers les homosexuels.

Une éducation aux valeurs du judaïsme est utile en Israël où certains sont tentés de ne voir qu’une société de consommation, peut-être seulement plus efficace que d’autres. 

Mais le risque théocratique est d’autant plus à prendre en considération que le pays doit faire face à une authentique et abominable théocratie, celle d’un Iran qui vient de franchir le seuil nucléaire…

 

Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif 

 

 

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