Jean-Pierre Allali
Rien ne nous séparera, par Thierry Cohen (*)
Les enlèvements crapuleux d’enfants en bas-âge et revendus à des couples souvent sans scrupules, font régulièrement la Une de l’actualité : au Chili, en Argentine, en Espagne, à La Réunion… Le monde juif n’est pas épargné par ce terrible fléau. C’est ainsi, que dans les années 1990, une affaire pénible a secoué Israël : des familles juives ont accusé les autorités d’avoir kidnappé des milliers d’enfants juifs yéménites pour les confier frauduleusement à d’autres familles dans lesquelles ils auraient été élevés. L’affaire, connue sous le nom de dossier « Uzi Meshoullam » n’a pas vraiment été élucidée. C’est au Maroc que le romancier Thierry Cohen nous transporte pour nous narrer cette affaire, sous la forme d’une lecture très agréable. Basé sur des faits véritables, son récit nous choque et nous indigne. On se demande : mais comment cela est-il possible ?
Nous sommes près d’Azrou, au Maroc en 1964. C’est là que vivent modestement, Jacob, un agriculteur, son épouse, Sarah et leurs deux enfants, Salomon et Dina. Le malheur pour cette famille juive pauvre mais heureuse va se présenter un jour avec la visite d’un certain Maurice, émissaire dit-il, de Charles Lançon, fondateur de l’Institut de la Seconde Chance, une association d’aide aux orphelins et aux enfants dont les parents sont en situation précaire. Maurice propose à Jacob et à Sarah de se charger de l’éducation de leurs enfants et de les ramener chez eux plus tard. Jacob est enthousiasmé par l’idée mais sa femme refuse obstinément de se séparer de ses petits. Pour convaincre définitivement Jacob, Maurice ajoute que la dotation qu’il allouera aux deux époux leur permettra d’acheter quelques bêtes et de creuser un puits. Une véritable aubaine !
En réalité, on le découvre au fil des pages, Maurice, avec la complicité du commissaire Afad Kasmi, qui sera d’ailleurs assassiné par la suite, est un escroc de la pire espèce car les enfants qui lui sont imprudemment confiés sont en réalité revendus à des familles riches en mal de progéniture. Dès lors, Salomon et Dina, après bien des vicissitudes, sous la férule de deux employés de Maurice, Anaya et Tahar, vont se retrouver à Casablanca chez un couple fortuné, Raymond et Juliette Gazan. Salomon sera reconverti en Jonathan et Dina en Eva.
Le récit nous conduit du Maroc aux États-Unis et en Israël avec, en toile de fond, une question : les deux enfants kidnappés retrouveront-ils un jour leur famille biologique ?
En fin d’ouvrage, l’auteur prétend que la fameuse médaille des Justes a été attribuée au Sultan du Maroc. C’est une erreur, en effet car on ne saurait oublier que de grandes réserves sont manifestées par nombre de chercheurs sur cette aide apportée à des Juifs en détresse par des Algériens de France et plus généralement par des Musulmans, au temps terrible de la Shoah. En effet, depuis sa fondation, en 1953, le Mémorial de Yad Vachem a attribué près de 30 000 médailles à des personnes qui, souvent au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs aux heures sombres du nazisme. Parmi eux, un certain nombre de Musulmans : l’Albanie compte 73 Justes, la Bosnie-Herzégovine, 42, parmi lesquels Mustapha et Zaïneba Hardaga, sauveurs de la famille Kabilio et la Turquie, un, le célèbre Salahettin Ülkümen qui, en 1943, était consul de Turquie à Rhodes et qui, lors de l’occupation de l’île par les Allemands, a obtenu que les sujets juifs turcs soient épargnés. Mieux, il parvint à faire passer pour turcs des Juifs d’autres nationalités.
Il s’agit là de Musulmans. Pour ce qui est des Arabes, en Tunisie, malgré les témoignages de nombreuses personnes qui ont rapporté l’action généreuse de certains Musulmans sous l’occupation nazie, du 13 novembre 1942 au 7 mai 1943, aucune médaille n’a été attribuée. L’historien Robert Satloff avait, en son temps, mené une campagne pour que Khaled Abdul-Wahab, qui selon lui, aurait sauvé de nombreux Juifs tunisiens en les cachant dans sa propriété, n’a pas eu gain de cause. Nombreux sont ceux, par ailleurs, qui voudraient que la fameuse médaille soit attribuée au Roi du Maroc, Mohamed V et au Bey de Tunis, Moncef. Sans résultat à ce jour. Enfin, pour ce qui est de l’Algérie et plus spécifiquement de la Mosquée de Paris, rien n’a été retenu, pour l’heure, par Yad Vashem.
Il a fallu attendre 2013 pour qu’un Juste arabe, le premier et le seul jusqu’à présent, un médecin égyptien, le docteur Mohamed Helmy, natif de Khartoum, au Soudan, qui, installé à Berlin, depuis 1920, avait, du 10 mars 1942 à la fin de la Guerre, caché une Juive, Anna Boros et plusieurs membres de sa famille, reçoive la Médaille des Justes. Hélas, sous prétexte que cette distinction était décernée au nom de l’État d’Israël , la famille a refusé de recevoir la médaille à titre posthume. Il a fallu attendre octobre 2017 pour qu’un membre de la famille, Nasser Kutbi, accepte finalement de recevoir la distinction.
Dans l’affaire des Juifs de la Grande Mosquée de Paris, il serait temps que Yad Vashem fasse une annonce argumentée et définitive, dans un sens ou dans un autre afin que les choses soient claires. Et, pour revenir aux propos de Thierry Cohen, non le roi Mohamed V n’a pas reçu la fameuse distinction.
Par ailleurs on notera que le thème du test ADN utilisé il y a peu par Philippe Amar dans son ouvrage Les trois vies de Suzanna Baker qui a été récompensé il y a peu par le Prix Alexandra Leyris de la loge George Gershwin du B’nai B’rith France est de nouveau introduit. C’est décidément à la mode ! Un roman captivant à découvrir de toute urgence.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Plon, juin 2022, 432 pages, 18 €
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