Jean-Pierre Allali
Gisèle Halimi, contre toutes les injustices, par Évelyne Morin-Rotureau (*)
J’ai déjà dit, ici-même, combien les publications destinées à la jeunesse des Éditions Oskar étaient d’une telle facture, qu’elles pouvaient être lues avec profit par un public d’adultes. C’est le cas de la toute nouvelle étude sur Gisèle Halimi.
C’est à La Goulette, petite station balnéaire des environs des Tunis, que naît, le 27 juillet 1927, Zeiza Gisèle Halimi. Elle est la fille d’Édouard et de Fortunée dite Fritna Taïeb. Tunisien d’origine, Édouard a obtenu la nationalité française en 1927. Celle qui allait devenir la grande avocate que l’on sait, manifesta très jeune une volonté farouche d’indépendance doublée d’un amour immodéré pour la lecture. Très jeune aussi, la petite Gisèle sera confrontée à l’école, à un racisme récurrent. On la traitait souvent de « sale juive » et de « sale bicote ».
Elle a onze ans, le 9 avril 1938, quand elle assiste, à la fois médusée et terrorisée, à la répression par l’armée française, d’une manifestation de nationalistes tunisiens emmenée par Habib Bourguiba, futur président de la République tunisienne. Cela sera en somme l’événement fondateur qui allait l’entraîner, au fil des ans à mener son « combat contre toutes les injustices ».
À ses parents qui rêvent de la marier au plus vite, la petite Gisèle fait miroiter un avenir culturel de qualité. Elle réussit un concours et se retrouve boursière au Lycée Armand-Fallières de Tunis. Un must à l’époque.
3 septembre 1939. C’est la Guerre. Un conflit qui rejaillit sur la Tunisie, protectorat français, qui sera occupée pendant six mois par les Allemands. Les arrestations de Juifs se multiplient, les amendes exorbitantes s’abattent sur la communauté juive. Assassinats, déportations…un véritable cauchemar.
Tandis que l’une de ses cousines meurt lors de l’écroulement d’un immeuble bombardé par les forces alliées, son frère Marcel s’enfuit du pays natal en 1943. Son oncle Jacques, communiste, est entré dans la clandestinité et, plus tard, on apprendra que son père avait rejoint la Résistance. Il sera récompensé par la Légion d’honneur. Le 7 mai 1943, c’est la Libération. Les chars britanniques pénètrent dans la capitale tunisienne. Et si des milliers de Tunisiens arabes sont arrêtés pour connivence avec l’ennemi hitlérien, Gisèle constate, avec satisfaction que Bourguiba et ses amis du parti du Néo-Destour, n’ont pas collaboré.
La vie normale reprend et les études aussi. En 1945, Gisèle Taïeb est bachelière. Sous prétexte d’aller récupérer son frère qui, entre-temps, avait été arrêté, déporté à Auschwitz puis libéré, Gisèle réalise enfin son rêve et rejoint Paris en avion.
Peu après, elle s'inscrit à la Sorbonne pour suivre des études de droit. Pour subsister, elle obtient un emploi de téléphoniste et, par ailleurs, partage une chambre avec une amie, au Quartier Latin.
En 1949, ses études achevées, elle regagne Tunis où elle prête serment au Barreau local. Une avocate est née.
Pour son premier procès, elle aura à défendre un légionnaire du bataillon disciplinaire qui avait dérobé, lors d’une corvée de patates, trois kilos de légumes qu’il avait offerts à une famille tunisienne en vue de la préparation d’un bon couscous. Un échec : le soldat Jean L. sera condamné à six mois d’emprisonnement.
En 1949, Gisèle Taïeb épouse un fonctionnaire juif tunisien, Paul Halimi. Elle lui donnera deux enfants, Jean-Yves et Serge. Le couple ne durera pas et le divorce est prononcé quelques années plus tard.
Pour Gisèle Halimi, le combat anticolonialiste commence. Elle défend des syndicalistes et des membres du Néo-Destour dont Habib Bourguiba lui-même.
En 1957, elle s’envole pour l’Algérie où elle défend des combattants algériens qu’on désignait alors sous le nom de fellagas. Cela lui vaudra nombre de désagréments. En 1960, elle sera l’avocate de la fameuse Djamila Boupacha agent de liaison du FLN.. Condamnée à mort, Djamila Boupacha ne devra la vie sauve qu’à la signature des accords d’Évian en 1962.
La défense de Djamila Boupacha, envers et contre tous ou presque, sonne le départ d’un nouveau combat, celui du droit des femmes, notamment concernant l’avortement et le viol... Elle crée un mouvement, « Choisir la cause des femmes ». Plus tard viendra le combat contre la peine de mort...
Plus tard encore et malgré son attachement à de nombreux Israéliens, elle défendra le « Mandela palestinien », Marouane Barghouti.
À Paris, Gisèle va se remarier avec un avocat, poète à ses heures perdues et secrétaire de Jean-Paul Sartre, Claude Faux. Un troisième fils naîtra de cette union, Emmanuel.
Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en France en 1981, c’est l’occasion, pour notre avocate, d’entamer une carrière politique. Elle sera élue députée apparentée PS de l’Isère. François Mitterrand l'invite à l’Élysée pour la féliciter. Deux ans plus tard, il la nomme ambassadrice de France auprès de l’Unesco.
En 1998, elle est cofondatrice de l’association altermondialiste ATTAC.
Par ailleurs, Gisèle Halimi est l’auteure de nombreux ouvrages.
Au cours de sa carrière, Gisèle Halimi nouera des amitiés avec nombre d’intellectuels renommés : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Albert Camus, Simone Veil, André Breton, Guy Bedos et bien d’autres.
Gisèle Halimi a quitté ce monde le 28 juillet 2020. Elle avait quatre-vingt-treize ans.. Elle repose au cimetière du Père-Lachaise. Une vie bien remplie. À découvrir !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Oskar. Novembre 2020. 151 pages. 14,95 €.