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Published on 7 April 2016

Marcel Kabanda : souvenons-nous du Rwanda

"Les souvenirs sont nos forces. Ils dissipent les ténèbres. Ne laissons jamais s'effacer les anniversaires mémorables"

Publié sur le site de l'UNESCO le 7 avril 2016
 
M. Kabanda, historien rwandais, préside l'association IBUKA qui représente les victimes du génocide des Tutsi au Rwanda. Il partage son temps entre la recherche et la promotion de la mémoire. Il a été expert auprès du Tribunal international pour le Rwanda dans le procès des médias.
 
Le 7 avril 1994 commençait à Kigali le génocide qui allait emporter la vie de plus d’un million de victimes innocentes. Cette date a été désignée par l'ONU Journée internationale de réflexion sur le génocide au Rwanda. A cette occasion, l'historien rwandais Marcel Kabanda nous invite à réfléchir sur le passé, mais surtout d'observer attentivement le présent.
 
« Les souvenirs sont nos forces. Ils dissipent les ténèbres. Ne laissons jamais s'effacer les anniversaires mémorables. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux ». Voici ce qu'écrivait Victor Hugo lors de la commémoration de la Révolution française de 1848. En reprenant ses paroles, le président français François Mitterrand plaçait le devoir de mémoire au cœur du présent et de l'avenir, dans un discours prononcé lors de l'inauguration du Mémorial des enfants d'Izieu, le 24 avril 1994. « Il n'y a pas d'avenir sans la lumière du passé », déclarait-il, « il n'y a pas d'action et de progrès si la conscience qui les conduits ne puise pas aux sources de l'Histoire. Le succès des combats de demain se construit dans la mémoire des combats d'hier. C'est en elle que la jeunesse forgera les armes de l'esprit sans lesquelles rien n'est possible, elles sont nécessaires à tout destin, individuel et collectif ».
 
Cette année-là, l’Occident, et particulièrement la France, commémorait le 50e anniversaire des épisodes pénibles et des temps forts de la Seconde Guerre mondiale : la rafle des Enfants d’Izieu (6 avril 1944), le débarquement (6 juin), le massacre et la destruction du village d’Oradour-Sur-Glane (10 juin). Durant ces manifestations le « plus jamais ça » était dans l’air et dominait les esprits. Et pourtant, le « ça » était en train de se produire ailleurs dans le monde. Au Rwanda.
 
Comment en est-on arrivé là ?
 
Au tournant de l’année 1990, l’Etat rwandais est pris entre deux feux. De l’extérieur, les exilés revendiquent leurs droits à la patrie pénètrent, le 1er octobre 1990, sur le territoire national, par la frontière nord. A l’intérieur, une nouvelle génération d’élite réclame l'ouverture au pluralisme démocratique. Les deux mouvements se rejoignent sur deux points : la fin du monopartisme et l’égalité entre les citoyens.
 
Sous la pression des conflits, de la rue et de la communauté internationale, le régime consent à s’ouvrir. Une constitution multipartiste est promulguée en juin 1991. En avril 1992, un gouvernement dirigé par l’opposition démocratique est mis en place. Dès le mois de juillet, de sérieuses négociations avec la rébellion s’engagent dans la ville tanzanienne d’Arusha. Un accord de paix est signé le 4 août 1993.
 
L’espoir est de courte durée. Les extrémistes s’insurgent contre ce qui, à leurs yeux, relève de la trahison des Hutu. Le 6 avril 1994, après six mois de piétinements dans l’application de l’accord de paix, le Président Habyarimana meurt dans un attentat. Aussitôt, des barrières sont érigées dans la capitale, et rapidement après, partout dans le pays.
 
Le génocide commence, il durera trois mois et fera plus d’un million de morts. Tous les Tutsi sans exception sont ciblés, ainsi que des Hutu de l’opposition considérés comme des « complices ».
 
Une logique d’extermination
 
Loin du cliché des atavismes tribaux ou des préjugés sur la « sauvagerie naturelle » des sociétés africaines, le caractère répétitif des tueries et le choix des cibles sont significatifs d’un massacre de masse savamment ordonné.
 
Dans un premier temps, les autorités hutu démocrates - à commencer par le Premier ministre, Madame Uwilingiyimana - sont exécutées, pour faire disparaître tout obstacle sur le chemin du groupe extrémiste, militaire et politique, qui prend le pouvoir le 9 avril 1994 et qui se fait appeler « gouvernement des sauveurs ». Parallèlement, le meurtre de dix Casques bleus belges entraîne le départ d’une grande partie des forces des Nations unies, la MINUAR. Le champ est libre.
 
A Kigali, les tueries débutent dès le 7 avril 1994 au matin : le couvent des Pères Jésuites est attaqué par un groupe de militaires qui forcent les portes des chambres. Un prêtre hutu est séparé du groupe et autorisé à quitter les lieux. Les autres sont tués, ainsi que cinq prêtres diocésains qui étaient de passage.
 
Deux jours plus tard, une scène similaire se joue à la paroisse de Gikondo, où des Tutsi, mais aussi des Hutu désorientés, se sont réfugiés. Elle se trouve au centre d’un quartier où les milices du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (le parti unique au Rwanda, jusqu'en 1991) font régner la terreur depuis février 1993. On les appelle les Interahamwe. Armés de machettes, ils investissent les lieux. Ils chassent les personnes de l'église et vérifient leurs pièces d'identité. Elles comportent la mention « Hutu » ou « Tutsi». Les premiers sont renvoyés chez eux, les seconds, massacrés, sans distinction d’âge ou de sexe.
 
Témoin de l’événement, le major Maczka, officier polonais de la MINUAR, décrit ce massacre froid et horrible dans Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda (livre de R.L. Melvern, publié en français en 2010). Les militaires rwandais utilisent leurs fusils automatiques. A la machette, les miliciens entaillent les bouches, coupent les bras, les têtes, mutilent les parties génitales des hommes comme des femmes. Les cartes d’identités sont rassemblées dans un tas et brûlées. Les Tutsi doivent disparaître sans laisser de traces. Le lendemain, les Interahamwe reviennent achever des blessés cachés dans une chapelle. Ce qu'on appelle une « guerre » commence. C'est un génocide... Lire l'intégralité.