Crédits photo : ©Alain Azria
« Il y a des haines qui ne connaissent pas de trêve, pas même la trêve olympique. Parmi elles : la haine des Juifs et d’Israël.
En 1972, lorsque se tiennent à Munich en République fédérale d’Allemagne les Jeux olympiques, l’État d’Israël n’a que 24 ans. Depuis sa création en 1948, il poursuit un idéal : tenter d’offrir aux Juifs qui font le choix d’y vivre une vie aussi normale que possible parmi les Nations. 24 ans, un peu plus jeune même que l’âge moyen des participants aux Jeux olympiques.
Pour l’Allemagne de l’Ouest, l’organisation de ces Jeux est symboliquement très forte. Les derniers, les tristement célèbres Jeux de 1936 à Berlin, se sont déroulés dans une Allemagne nazifiée, fanatisée, et entièrement soumise à son Führer. Cette fête que sont les Jeux olympiques doit signer quelque part pour l’Allemagne son retour dans le concert des Nations.
Mais le sanctuaire de la paix qu’est supposé être l’enceinte olympique ne va pas résister à la violence meurtrière du terrorisme : l’organisation Septembre noir a profané les Jeux et l’idéal olympique.
Onze des membres de la délégation israélienne ne reviendront jamais :
L’escrimeur Andrei Spitzer
L’entraîneur de l’équipe d’athlétisme, Amitzur Shapira,
Les haltérophiles David Berger, Yossef Romano, Ze’ev Friedman
Les lutteurs Eliezer Halfin, Mark Slavin, et Moshé Weinberg
L’entraîneur de tir Kehat Shorr
L’entraîneur de l’équipe d’haltérophilie Yakov Spinger, qui avait survécu au soulèvement du ghetto de Varsovie auquel il avait pris part,
L’arbitre de lutte Yossef Gutfreund, qui est le premier à avoir vu les terroristes palestiniens du commando Septembre noir.
Est-ce que les Jeux de 1972 ont marqué la fin de l’idéal olympique ? La sidération et l’onde de choc de ce massacre ont-ils laissé une empreinte dans l’Histoire ?
Le géant de la natation Mark Spitz, septuple médaillé d’or de natation à Munich, lui, s’en souvient. Juif, il s’est retrouvé au centre de cette tragédie. Bien des années plus tard, voici ce qu’il livrait aux médias : « Il n’y avait pas beaucoup de débats sur le fait d’être un athlète juif avant le début des Jeux olympiques. On ne parlait pas du fait que le camp de concentration de Dachau se trouvait à quelques kilomètres seulement de la piscine et du stade d’athlétisme. À l’époque, ces JO devaient montrer que nous étions entrés dans l’ère moderne, que c’était les nouveaux Jeux olympiques. Personne ne se doutait que, une semaine après le début de la compétition, de tels événements allaient se produire. Je me suis retrouvé dans une situation unique, comme si j’étais devenu un porte-parole. Être juif, c’était une façon de mettre beaucoup de pression sur quelqu’un de 22 ans ».
Les Jeux nous le savons, n’ont pas été annulés, ils ont été brièvement suspendus. Comme l’écrira alors L’Express sous la plume de l’écrivain Paul Guimard : « Les Jeux ne seront plus jamais innocents ».
Pour Avery Brundage, le controversé président du CIO : "The Games must go on" (« les Jeux doivent continuer »). Comment cela doit-il être interprété ? Comme un refus de céder devant le terrorisme ? Ou au contraire, comme un intérêt très relatif porté à l’assassinat d’israéliens, chose à laquelle nous sommes confrontés aussi depuis le 7 octobre.
Mesdames, Messieurs, l’image des visages des six otages israéliens exécutés par le Hamas la semaine dernière, alors que leur libération, qu’elle soit militaire ou négociée, approchait a immédiatement évoqué pour moi deux autres images :
Celle de Daniel Pearl, otage juif américain exécuté par ses tortionnaires islamistes au Pakistan en 2002.
Mais aussi celle des onze visages des membres de la délégation olympique israélienne assassinés à Munich.
En rendant hommage ce soir aux onze destins d’Israël arrachés à la vie par le terrorisme palestinien à Munich, nous rendons aussi hommage à toutes les victimes du terrorisme, tuées au nom de la haine des Juifs ou d’Israël.
Deux mondes ne cesseront jamais de se confronter, le monde tel qu’il est et le monde tel qu’il devrait être. Nous ne cesserons jamais de nous battre pour réconcilier les deux.
Je vous remercie.
Yonathan Arfi, Président du Crif
Paris, le 5 septembre 2024
Références :
Paul Guimard, La fin de l'innocence
« Je ne crois pas que les morts d'Israël entraînent les Olympiades dans leur tombe. La beauté des exploits de ceux qui en sont les héros est irrésistible, et la télévision leur donne une dimension immense. Mais les Jeux olympiques devront se démaquiller d'une littérature révolue. Ils devront se constater pour ce qu'ils sont : une lutte féroce d'intérêts matériels et de prestiges nationaux, la continuation de la politique par d'autres moyens. Seuls, ses acteurs resteront jeunes. Comme nous, leurs spectateurs, les jeux Olympiques ont vieilli. Comme nous, ils survivront, mais ils ne seront plus jamais innocents. »
L'Express, 11 au 17 septembre 1972
Jean Daniel, L'héritage de Munich
« ... à Munich, le monde a découvert que la violence s'engouffrait désormais dans la moindre brèche laissée ouverte. (...) Il a eu le sentiment d'une rupture. Il a eu le vertige. Il a appelé cela : barbarie. Mais il y a eu autre chose. Il y a eu une manifestation allemande, chrétienne et occidentale. Les morts auxquels on a rendu hommage au cours de cette stupéfiante cérémonie, ce ne sont pas les entraîneurs et les athlètes israéliens abattus. Ce sont les juifs - qu'ils constituent un peuple, une collectivité religieuse ou une collection d'individus- qui ont subi, il y a vingt-huit ans, un génocide, lequel demeure, aujourd'hui encore, insupportable à cette conscience que l'on dit universelle. L'Occident chrétien et blanc a encore mal à ses juifs. Il a raison. La cérémonie de Munich était une messe expiatoire. Que pouvait-elle être d'autre en Allemagne - et dans ce lieu si proche des camps de concentration ? Sans le vouloir, les terroristes palestiniens de Septembre noir, au lieu de rappeler qu'il existait une nouvelle diaspora, faite d'Arabes errants et de personnes déplacées, trahies de toute part à commencer par les leurs, au lieu de concentrer les regards du monde sur la valeur de leur cause en brisant le symbole olympique, ces terroristes n'ont fait qu'aviver la conscience coupable dans les lieux privilégiés de la culpabilité.»
Le Nouvel Observateur, 11 septembre 1972, p.18
Mark Spitz, Sidération et onde de choc