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Une moyenne de 12 Syriens seraient donc tués chaque jour dans les prisons du régime dans la capitale. Si, durant les six derniers mois, cette moyenne n'a pas changé (et il n'y a aucune raison de croire qu'elle ait baissé), 1960 prisonniers de plus auraient été tués. On peut donc estimer que près de 13 000 personnes ont été assassinés dans les caves des services de sécurité de Damas.
Après la publication des photos en janvier 2014, les services de sécurité du régime ont assassiné Wissam Sara, le fils du célèbre opposant Fayez Sara, membre de la délégation de la coalition nationale syrienne qui a participé à la conférence de Genève 2. Wissam avait 27 ans et était père de deux enfants. Il avait contribué activement à secourir les déplacés de la guerre en Syrie et est mort deux mois après son emprisonnement.
L'industrie du meurtre adossée à l'industrie du mensonge
Que se passe-t-il dans les autres villes syriennes, Alep, Homs, Lattakié, Deir Ez-Zor etc. ? Nous n'en savons rien, mais il n'y a pas de raison de penser que les meurtres commis contre les prisonniers du régime ne concernent que Damas. La comptabilité macabre des victimes de la torture et les photographies dont nous disposons révèlent l'existence d'une industrie du meurtre ainsi que l'a indiqué le quotidien britannique The Guardian dans son édition du 21 janvier 2014. Une raison froide et méthodique, soucieuse de dissimuler toute information sur sa manière d'opérer, organise le meurtre des prisonniers. Les familles sont informées que leurs proches sont décédés de mort naturelle. Il est par ailleurs impossible de savoir le nombre de personnes enterrées dans des fosses communes non identifiées, leur décès n'ayant pas été annoncé aux familles, ce qui n'est pas surprenant quand on se rappelle que 15 000 Syriens sont toujours portés disparus depuis la répression féroce du début des années 1980 conduite par le clan Assad.
Les services de sécurité du régime auraient numéroté les photographies des 11 000 prisonniers assassinés. Parmi ces derniers, 2000 sont victimes de privations cruelles et prolongées, comme le montre leur apparence quasi squelettique. Ce qui constitue une autre indication que ce crime collectif a été mis en oeuvre de manière intentionnelle. Sur les photographies rendues publiques, on peut observer des traces de torture brutale où l'on relève des blessures profondes et des brûlures, des poitrines et des dos lacérés, des visages énucléés, des marques de strangulation. Des témoignages révèlent que les cadavres, placés dans des sacs, sont transportés par centaines dans des véhicules spéciaux pour être enterrés dans des lieux tenus secrets. Lorsqu'il arrive que des familles récupèrent des dépouilles de leurs proches, il leur est enjoint de ne pas les exposer. Elles doivent signer un document qui stipule que la victime est décédée de mort naturelle, ou qu'elle a été tuée par les "groupes armés terroristes". L'adossement de l'industrie du meurtre à une industrie du mensonge florissante n'a certes rien d'inédit.
Avant le déclenchement de la révolution, nous savions que le régime dépendait de deux systèmes stratégiques de type orwellien, le complexe de la peur dont la fonction est d'interdire que les choses soient nommées par leurs noms, et le complexe du mensonge dont la fonction est d'appeler les choses par d'autres noms que les leurs, les deux garantissant que les Syriens soient coupés de leurs conditions de vie réelles, qu'ils ne puissent ni les nommer, ni les maîtriser… Lire la suite.