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Publié le 29 novembre dans Le Figaro
Depuis 2014, en Israël, le 30 novembre est la Journée annuelle de commémoration de l’exil des réfugiés juifs du monde arabe. Alors que l’on parle régulièrement, aux Nations unies et ailleurs, du sort des Arabes ayant quitté la Palestine lors de la création de l’État d’Israël, on parle moins des Juifs qui ont vécu naguère dans des pays méditerranéens et orientaux, notamment en Algérie, Irak, Iran, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie, au Yémen.
Dans les quelques années qui suivirent la création de l’État d’Israël et de décolonisation, environ 900.000 Juifs ont dû quitter ces pays où ils vivaient depuis des siècles, voire des millénaires, bien avant la conquête musulmane. Beaucoup ont été privés de leurs biens et victimes de violences et de persécutions. Deux tiers d’entre eux se sont réfugiés en Israël, qui les a absorbés rapidement, après un bref passage dans des camps d’accueil. Les autres ont essaimé à travers le monde, notamment en France, Italie, Royaume-Uni, Canada, États-Unis, Argentine ou Brésil.
L’histoire de cette destruction de toutes les communautés juives en terre d’Islam n’a quasiment pas été racontée, ni analysée, sinon dans quelques films documentaires comme celui de Michaël Grynszpan, Les Réfugiés oubliés (2007), ou dans des livres. On peut citer Shmuel Trigano (L’Exclusion des Juifs des pays arabes et le contentieux israélo-arabe, Éditions In Press, 2003), Georges Bensoussan (Juifs en pays arabes. Le grand déracinement, Tallandier, 2012), ou Lyn Julius (Uprooted, Vallentine Mitchell, 2018).
Les communautés juives d’Iran, du Liban, de Libye, de Syrie, de Turquie ou du Yémen, dont certaines existaient bien avant Jésus-Christ, ont également quasi complètement disparu.
On peut également lire de nombreuses monographies nostalgiques. L’historien Benjamin Stora, né en 1950 à Constantine, raconte le triste sort des 140.000 juifs d’Algérie, fiers d’avoir obtenu la nationalité française grâce au décret Crémieux de 1870 - temporairement abrogé par Vichy - dont on fête aujourd’hui le sesquicentenaire (Les Trois Exils. Juifs d’Algérie, Pluriel, 2011). Certains d’eux voyaient d’un bon œil
les velléités d’indépendance des Algériens, mais ont dû faire vite leur valise après l’incendie de la synagogue d’Alger en 1960 et l’assassinat de Raymond Leyris, beau-père d’Enrico Macias, à Constantine en 1961, pour rejoindre en masse la métropole en 1962, comme leurs compatriotes non juifs devenus «rapatriés».
Évoquons l’autobiographie du journaliste Serge Moati, né en 1946 à Tunis (Villa Jasmin, Fayard, 2003), qui fait partie des 105.000 juifs tunisiens exilés au milieu du XXe siècle en étant autorisés à n’emporter qu’un dinar (2 euros!), après avoir subi de nombreuses spoliations. Raphaël Devico, descendant d’une lignée de juifs andalous venus à Fès après la chute de Grenade en 1492, habitant aujourd’hui à Casablanca, dévoile pour sa part la réalité complexe de la communauté juive marocaine (Juifs du Maroc. Des racines ou des ailes?, Éditions Biblieurope, 2015). Avant d’être spoliée et rançonnée pour pouvoir partir en 1961, elle fut, avec ses 265.000 membres, la plus importante du monde arabe et compte aujourd’hui encore 3000 membres.
La romancière Bat Ye’or (littéralement «la fille du Nil»), née au Caire en 1933, décrit les discriminations dont ont été victimes les 75.000 juifs égyptiens dès les années 1930, bien avant la création de l’État d’Israël, et leur expulsion par Nasser en 1956 (Le Dernier Khamsin , Éditions Provinciales, 2019). Ils furent obligés de laisser tous leurs biens, de renoncer à leur nationalité et de devenir apatrides.
Ce qui menace au XXIe siècle les chrétiens d’Orient n’est pas très différent de ce qui est arrivé aux Juifs en terres d’Islam au milieu du siècle dernier.
L’universitaire Orit Bashkin raconte l’histoire de la communauté juive d’Irak, qui comptait près de 135.000 membres (New Babylonians, Stanford University Press, 2012). Très intégrée avant la guerre, elle a quasi totalement émigré en quelques années, notamment à la suite du pogrom de 1941. Les communautés juives d’Iran, du Liban, de Libye, de Syrie, de Turquie ou du Yémen, dont certaines existaient bien avant Jésus-Christ, ont également quasi complètement disparu.
Le Musée du monde séfarade, le Mussef , qui est en projet à Paris a pour objectif de faire exister ce qui n’est plus, en retraçant au centre de la capitale l’histoire et la culture de ces communautés juives disparues en quelques années sans faire de bruit. Car il est temps pour le monde d’entendre et de voir leur histoire.
La paix en bénéficiera sans doute, car on ne bâtit pas de paix durable sans regarder la vérité en face. Longtemps après les accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie, des accords viennent d’être conclus entre Israël et les Émirats et Bahrein et sont envisagés avec le Soudan et même avec l’Arabie saoudite, mais il reste beaucoup à faire pour qu’il en soit de même dans tout le monde arabe et musulman. Et pour permettre à tout un chacun de comprendre que ce qui menace au XXIe siècle les chrétiens d’Orient n’est pas très différent de ce qui est arrivé aux Juifs en terres d’Islam au milieu du siècle dernier.
Les Amis du Musée du monde séfarade est une association loi 1901 fondée en 2018.