Lu dans la presse
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Publié le 28 Juillet 2020

L'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine

Les juifs de France souhaitant se tenir aux côtés des mouvements Black Lives Matter se retrouvent bien souvent face à un dilemme.
Cet article avait été publié dans le newsletter du 28 juillet 2020. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine. 
 
France - Le dilemme des juifs de France face aux mouvements anti-racistes
 
 
Publié le 24 juillet dans Haaretz sous le titre THE DILEMMA OF FRENCH JEWS AND THE FIGHT AGAINST RACISM
 
Traduction et résumé proposés par le Crif
 
« Israël, laboratoire des violences policières» , lit-on sur une pancarte tenue par deux manifestants. « Non à l’annexion d’Israël en Cisjordanie », propose un autre manifestant. Non, ce n'était pas une manifestation pour les droits des Palestiniens, c'était un rassemblement Black Lives Matter, à Paris, le 13 juin 2020, organisé par le Comité Adama.
 
Le Comité, du nom d'Adama Traoré, un Français de 24 ans décédé le 19 juillet 2016 en garde à vue après avoir été arrêté, est devenu l'un des groupes antiracistes les plus importants de France. On estime qu'au moins 20 000 personnes ont assisté à la manifestation parisienne.
 
Cela en soi aide à expliquer les slogans anti-israéliens et pro-palestiniens lors d'un rassemblement du BLM. Les militants pro-palestiniens se joignent régulièrement aux manifestations sur d'autres questions sociales, telles que les gilets jaunes pour la « justice économique » en France, et les marches des travailleurs hospitaliers et des retraités. Ils utilisent des slogans mis à jour, comme « Les Palestiniens ne peuvent pas respirer » en écho au meurtre de George Floyd.
 
Mais, c'est un autre slogan qui a fait la une des journaux après l'événement du 13 juin : « Dirty Jewish » ("Sales juifs"), crié par un homme à maintes reprises à des militants d'extrême-droite brandissant une bannière « White Lives Matter » ("Les vies des blancs comptent"). Une vidéo de la scène a été publiée sur le site d'information hebdomadaire de droite Valeurs Actuelles, qui a rapporté qu'un certain nombre de manifestants l'avaient également crié.
 
Le chef de la police de Paris a appelé les procureurs à enquêter, et le Crif a déclaré que des antisémites avaient infiltré la manifestation « en utilisant une noble cause, la lutte contre le racisme, pour répandre la haine contre les Juifs et Israël ».
 
« Cela en dit long sur la manifestation. Comment ce type d'incitation peut-il être crié encore et encore sans que les gens réagissent et exigent que ces gens partent ? a déclaré le Président Francis Kalifat à Haaretz.
 
La manifestation parisienne avait été organisée par Assa Traoré, sœur d'Adama Traoré, qui a condamné les slogans antisémites alors que la manifestation était toujours en cours. « Nous sommes tous juifs, nous sommes tous chrétiens et tous musulmans. Nous combattons le racisme ensemble », a-t-elle déclaré à la foule lors de la manifestation du 13 juin.
 
Assa Traoré entretient des liens de longue date avec la communauté juive française, travaillant pour la fondation OPEJ en tant qu'éducateur spécialisé pour les enfants. L'OPEJ avait été fondé à l'origine pour aider à cacher les enfants juifs séparés de leurs parents pendant la Shoah et les a ensuite aidés à trouver des solutions après la guerre. Aujourd'hui, l'association se consacre à aider les enfants de tous horizons, opérant notamment à Sarcelles, qui abrite l'une des plus grandes communautés juives de France.
Mais de nombreux juifs et non-juifs soupçonnent que la famille Traoré a peut-être été manipulée par des militants d'extrême gauche, décoloniaux et islamiques, comme Youcef Brakni, qui, selon les médias, appartient à un groupe appelé Mouvement de libération islamique.
 
«Peut-être qu'Assa Traoré est naïve, mais elle est clairement entourée et manipulée par un groupe de militants antisémites», explique Gershon Nduwa, qui dirige la Conseil représentatif des juifs noirs.
 
L'ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a déclaré à la radio française le 15 juin : «La famille a peut-être été manipulée, peut-être utilisée, mais sa demande de justice est légitime.»
 
Certains Juifs ont rejoint la manifestation BLM, y compris la sénatrice Esther Benbassa, mais les principales organisations juives de France se sont abstenues, affirmant qu’elles continueraient à lutter contre le racisme aux côtés de leurs partenaires traditionnels, y compris le groupe antiraciste historique SOS Racisme.
 
«On m'a appris à combattre le racisme de manière universelle. Une bataille unie contre la discrimination. C’est ce que je fais encore aujourd’hui mais le comité Adama n’agit pas de manière universelle, il divise les gens », a déclaré à Haaretz Noémie Madar, responsable de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). 
Le Crif partage cet avis : "Ces manifestants disent qu'ils sont contre la discrimination et la haine, alors pourquoi n'ont-ils pas protesté lorsque Sarah Halimi et Mireille Knoll ont été assassinées ?" s'interroge Francis Kalifat.
 
« Je pense que ce qu'il faut faire maintenant, c'est intensifier nos actions contre le racisme, pousser plus pour le changement, dénoncer toute discrimination. La lutte universelle contre le racisme peut donner des résultats. » souligne le Président du Crif.
 
Sarah Halimi, 65 ans, a été tuée par son voisin, Kobili Traoré (aucune relation avec Adama et Assa Traoré), le 4 avril 2017, déclarée inapte à être jugé par le tribunal. Mireille Knoll, 85 ans, était une survivante de la Shoah et a été assassinée pour des motifs antisémites en 2018.
 
Interrogé sur la question de savoir si des groupes juifs avaient déjà agi contre des brutalités policières excessives et du racisme contre des personnes de couleur, Francis Kalifat répond que probablement pas assez. «Peut-être n'étions-nous pas pleinement conscients de l'ampleur du problème. » explique t-il.
 

Un dilemne 

 

Au cours de la dernière décennie, la police française protège constamment les institutions et les synagogues juives du terrorisme, de l'antisémitisme et même des émeutiers en colère. Cela rend-il difficile pour les Juifs français la critique de la police ? Non, répondent Francis Kalifat et Noémie Madar : la police ou toute autre institution gouvernementale doit être exemplaire et doit être critiquée en cas d'erreur.
 
 
Les Juifs de France sont donc face à un dilemme. S'ils ne réagissent pas aux slogans antisémites, l'animosité à leur encontre pourrait s'intensifier. S'ils réagissent, s'ils critiquent le mouvement BLM comme étant politisé et anti-Israël, ils pourraient devenir une cible potentielle. Jetés au milieu d'une bataille entre les autorités et les manifestants, ils pourraient être utilisés comme un outil pour discréditer le mouvement BLM.
 
Le grand rabbin de France Haim Korsia a déclaré à Haaretz qu'il ne demanderait à personne de boycotter le comité Adama, mais a déclaré qu'il ne souhaitait pas être associé au groupe après les slogans entendus lors de la manifestation du 13 juin.
 
Il semble que le mouvement français BLM ait récemment tenté de se donner une image plus modérée.
 
Aucun slogan antisémite n'a été signalé lors de sa manifestation du 18 juillet. Un orateur a déclaré que les militants étaient opposés au meurtre par la police de Noirs, d'Arabes et de Juifs, bien qu'il n'y ait aucun incident connu de Juifs français tués lors d'une arrestation au cours des dernières décennies.
 
Aucune drapeaux palestiniens n'a été vu pendant le rassemblement. On ne sait pas si le Comité Adama Traoré avait demandé aux militants pro-palestiniens de se faire discrets cette fois-ci, mais l'un des groupes participant à la marche avait averti ses membres : "N'apportez aucun drapeau à cette manifestation."