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Publié le 9 décembre dans Le Parisien
Comment concilier lutte contre la haine en ligne et respect de la liberté d'expression? C'est sur cette épineuse ligne de crête que le ministère de la Justice tente de se frayer un chemin depuis l'effroyable assassinat de Samuel Paty. Dans le volet consacré à cette question dans le projet de loi séparatisme qui sera examiné ce mercredi en conseil des ministres, le gouvernement entend procéder à une modification du code de procédure pénale. L'objectif est de permettre de traduire les auteurs de contenus haineux plus rapidement devant la justice, tout en préservant les garanties de la loi sur la presse.
En octobre dernier, Catherine Champrenault, la procureure générale de Paris, avait plaidé pour que les délits d'incitation à la haine ou d'injures racistes et antisémites ne relèvent plus de la loi de 1881 sur la presse mais du droit commun. Cette loi, regrettait la haute magistrate, ne permet pas de traduire ses auteurs selon la procédure de comparution immédiate. Les délais de comparution, notamment à Paris, sont extrêmement longs.
Dupond-Moretti promet «un régime plus rapide»
Cette proposition n'a finalement pas été retenue par la Chancellerie. « La loi de 1881 est une loi totémique, indique-t-on place Vendôme. Mais, après avoir consulté de nombreux professionnels, nous sommes arrivés à une proposition qui permet à la fois de concilier une nécessaire réponse plus rapide à ces délits et la préservation des acquis de la loi pour les journalistes. » Concrètement, le texte prévoit une modification de l'article 397-6 du code de procédure pénale qui prévoit les exceptions au recours à la comparution immédiate.
Sous sa forme actuelle, l'article dispose que les délits de presse en sont exclus. Le projet de loi entend préciser que cette exception ne pourra pas s'appliquer aux auteurs « qui ne relèvent pas de la responsabilité en cascade », c'est-à-dire qui ne sont pas sous la responsabilité d'un directeur de la publication. « Tout le monde continuera à être jugé sur le fondement de la loi 1881 mais les propagateurs de haine sur les réseaux sociaux relèveront d'un régime plus rapide », se félicite-t-on dans l'entourage d'Eric Dupond-Moretti.
Un pôle spécialisé au parquet de Paris
Spécialiste du droit de la presse, l'avocat Basile Ader se satisfait d'un texte qu'il estime équilibré. « Cela me paraissait compliqué de modifier la loi de 1881 car on risquait de créer une rupture d'égalité devant la loi. Même si les journalistes ont des droits particuliers, nous sommes tous égaux au regard de la liberté d'expression, argumente l'ancien vice-bâtonnier de Paris. Avec le principe de la responsabilité en cascade, on va préserver les organes de presse mais permettre de juger plus rapidement les internautes qui se répandent sur les réseaux sociaux. Mais, pour que cela fonctionne, il faut que cela se conjugue avec une responsabilisation accrue des plates-formes numériques et une action plus dynamique des parquets. On a laissé l'initiative des poursuites aux seules associations et il est temps que les parquets se réapproprient la matière et qu'on leur donne davantage de moyens. » Comme l'a annoncé le ministre, le parquet de Paris se dotera à la rentrée d'un nouveau pôle spécialisé dans la haine en ligne.
Les journalistes globalement rassurés
Le syndicat national des journalistes (SNJ) accueille également favorablement le projet. « Nous partageons déjà le point de départ de la réflexion : la lutte contre la haine en ligne doit être renforcée. Grâce à une large concertation, le garde des Sceaux, qui veut aller vite, a pu avancer sur le sujet, se félicite Emmanuel Poupard, le premier secrétaire général du syndicat. Nous sommes satisfaits qu'il ait tenu son engagement de ne pas toucher à la loi de 1881. »
Le patron du syndicat professionnel émet simplement deux réserves. « Une question se pose sur la définition juridique du journaliste, expose Emmanuel Poupard. Il y a des gens qui exercent ce métier mais sans avoir la qualité de journaliste professionnel. Il faudra voir comment ils seront mis à l'abri mais aussi bien faire attention à ce que, a contrario, certains ne se réfugient pas derrière le statut de journaliste pour lancer des appels à la haine. Ma seconde réserve est plus conjoncturelle. Je me demande si le timing est le bon et s'il n'y aura pas un amalgame dans la tête des citoyens avec la proposition de loi sur la sécurité globale. »