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Publié le 16 octobre dans L'Opinion
Une femme voilée peut-elle accompagner une sortie scolaire ou assister à un conseil régional ?
Sincèrement, je suis sidéré par la polémique actuelle. Je ne la comprends d’ailleurs pas. La loi autorise bien entendu les femmes voilées à assister à une sortie scolaire ou à un conseil régional. Elle autorise même une femme voilée à être élue. J’ajoute que si les femmes voilées n’accompagnaient pas les enfants dans les sorties scolaires dans ma ville, Sarcelles, comme il n’y a que des femmes voilées qui accompagnent les enfants en sortie scolaire dans certains quartiers, il n’y aurait plus de sorties scolaires !
Des femmes voilées assistent-elles au conseil municipal de Sarcelles ?
Bien entendu. Et nous avons à Sarcelles des conseillers municipaux qui portent la kippa. Le port d’un signe religieux ostentatoire en tant qu’élu est tout à fait légal et autorisé. Seuls les agents publics ne peuvent en porter.
Vous avez pourtant connu le problème il y a une dizaine d’années à l’Assemblée nationale…
Oui, j’accueillais une classe de Garges-lès-Gonesse, une des élèves est venue voilée à l’Assemblée. Elle a demandé aux huissiers si elle pouvait rester dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Ils lui ont dit : « Oui Madame, vous êtes ici dans un espace public, donc vous avez le droit d’avoir un signe religieux ostentatoire ». Une élue LR l’a interpellée et l’a fait sortir. Le président de l’Assemblée s’est excusé après, car il n’y avait aucune raison. L’abbé Pierre, lorsqu’il était député, siégeait en soutane.
Avez-vous observé ces dernières années une augmentation du port du voile à Sarcelles ?
Oui, bien entendu, c’est devenu un phénomène important. On constate un autre phénomène : de plus en plus de parents de confession musulmane enlèvent leurs enfants de l’école publique pour, officiellement, les scolariser à la maison. La vraie difficulté, c’est qu’au lieu d’éduquer leurs enfants à la maison comme la loi le permet, ils les confient à des associations de quartier qui, elles, peuvent poser des difficultés.
Faut-il interdire les listes communautaires aux municipales, comme le suggère l’élu de Tourcoing Gérald Darmanin ?
Nous avons eu à Sarcelles une liste qui était exclusivement composée de Français de confession juive, qui se revendiquaient comme tels, qui se présentaient parce que juifs. On voit arriver maintenant de plus en plus de listes principalement constituées de Français de confession musulmane et se revendiquant comme tels. J’avais une candidate voilée en face de moi aux législatives, qui affirmait son appartenance à la religion musulmane. Doit-on l’interdire ? Je ne vois pas au nom de quoi et je ne pense pas que ce serait constitutionnel. La Constitution dit que nul ne peut être discriminé en vertu de sa religion. La question sous-jacente, c’est : doit-on s’opposer à l’islam politique ? Je revendique depuis longtemps qu’on ait un débat sur la place de l’islam en France.
Pensez-vous qu’il y ait un risque de fracture de la société française sur ce sujet ?
Oui, je pense qu’à un moment, il y aura une rupture entre les Français, si nous n’avons pas ce débat. Dans les banlieues, nous vivons ce phénomène et donc nous sommes capables de l’analyser. Dans certains territoires en revanche, où il y a très peu d’expressions de faits religieux, les gens ne comprennent pas et ils prennent la présence du voile ou de candidats religieux comme une provocation, voire une agression. Je vois grandir cette fracture entre Français de jour en jour.
Les deux points de vue sont-ils réconciliables ?
Je l’espère ! La France a eu ce débat sur les juifs en 1808, sur les catholiques en 1905, il faut qu’un jour elle ait le débat sur les musulmans. Il y a urgence à crever l’abcès, à parler de ce sujet de façon raisonnée et dépassionnée.
Pourquoi Emmanuel Macron n’arrive-t-il pas à tenir un discours clair sur ce sujet ? Il disait en 2015 que la société française avait « une part de responsabilité » dans le terrorisme islamique, il appelle aujourd’hui à combattre "l’hydre islamiste"…
Emmanuel Macron avait au début une vision relativement ouverte et très tolérante vis-à-vis de certaines pratiques de l’islam, y compris de l’islam politique. Mais les évènements l’ayant rattrapé, en particulier les attentats, je pense qu’il a évolué. Le drame, c’est qu’il ne veut pas aborder le problème. Il n’est pas le seul : Nicolas Sarkozy l’avait promis en 2007 et ne l’a pas fait, en tout cas pas suffisamment ; François Hollande n’a pas du tout abordé la question ; Emmanuel Macron, qui promet le débat depuis deux ans, ne l’aborde pas non plus.